« En termes de santé publique, il faut mener une politique de valorisation du sport »

Pour des millions de Français, 2024 restera l’année des Jeux olympiques de Paris. Mais se souvient-on qu’à la faveur de cet événement planétaire, qui a suscité la ferveur du pays organisateur, la promotion de l’activité physique et sportive avait été consacrée Grande Cause Nationale 2024 ? Elle a même eu son slogan : « Bouge chaque jour ». Un an après, quel bilan ? Nous avons posé la question à Pierre Rondeau, économiste et codirecteur de l’Observatoire du sport à la Fondation Jean-Jaurès et coauteur du livre « Les Français et le sport. Bâtir une nation sportive, le défi français », publié aux éditions Le Cherche-Midi (oct.2024).

Les JO ont remporté un succès phénoménal. D’abord réfractaires, les Français se sont mués, le moment venu, en supporters indéfectibles. Mais ne seraient-ils pas, in fine, davantage supporters que pratiquants ?   

Pierre Rondeau – Si l’on compare avec l’ensemble des pays, on constate qu’il y a une pratique. Les deux tiers des Français de 15 ans et plus ont une activité physique et sportive régulière en 2020, selon le Baromètre national des pratiques sportives 2023 de l’Injep. Mais le terme de « nation sportive », qui sous-entend une nation tournée vers et pour le sport, n’est pas pour autant approprié. Contrairement aux pays nordiques, par exemple, la France n’incite pas à la pratique sportive.

Des messages sont régulièrement diffusés, notamment via le Programme National Nutrition Santé (« Manger Bouger »), invitant les Français à marcher au moins 30 min par jour…

Pierre Rondeau – La menace aujourd’hui, c’est la sédentarité. On peut avoir une activité physique et sportive, être inscrit dans un club et n’en être pas moins sédentaire, pour peu que l’on reste inactif plus de 10 heures par jour. Selon l’OMS, la sédentarité est une des causes majeures de décès prématurés : elle est responsable de 9 % des décès en France. Elle favorise certaines maladies (cancers, infarctus, diabète 2, dépression, etc.) et/ou la perte d’autonomie. Dès le plus jeune âge, il y a un intérêt à avoir une activité, qu’il faut maintenir tout au long de sa vie, y compris au-delà de 60 ans, âge qui marque bien souvent une rupture.

Une notion a fait son apparition il y a une dizaine d’années, le « sport-santé », sur la base d’études scientifiques. Cela n’a-t-il pas permis de mobiliser ?

Pierre Rondeau – On connaît les bénéfices d’une activité sportive ou physique régulière termes de santé publique – chez les sportifs réguliers ou occasionnels, la question de la santé prédomine dans 70 % des cas – mais aussi d’économies, selon une enquête de 2020 menée par le ministère des Sports et l’Injep. Reste la question de la représentation, voire de la réputation faite au sport dans notre société. Ecole, université, entreprise (moins d’une sur cinq propose du sport à ses collaborateurs) : nulle part, il n’est valorisé. Dans l’inconscient collectif, le sport est secondaire.

Résultat, 2 % des dépenses de santé sont consacrés à la prévention, ce qui est loin d’être suffisant…

Pierre Rondeau – Ces derniers mois, on ne parle plus que de la nécessité de faire des coupes dans les dépenses publiques. Si on s’en tient au secteur sanitaire, l’activité sportive et physique pourrait être une source importante d’économies. Le coût de la sédentarité est estimé à 17 milliards d’euros (absentéisme, maladie, perte autonomie, risques sociaux…). Quant à l’investissement nécessaire pour permettre à l’ensemble des Français d’accéder à une activité sportive ou physique et prévenir ainsi les risques sanitaires évoqués ci-avant, il se monterait à 9 milliards d’euros – normalisation des ordonnances sportives, rénovation des infrastructures, soutien aux clubs sportifs, professeurs d’éducation physique et sportive (EPS), etc. –, soit au final 8 milliards d’économies générées. A ce stade, les décideurs politiques ne semblent pas prêts à investir 9 milliards pour en gagner 8 !

C’est même le contraire qui se passe, au prétexte de la nécessaire réduction du déficit…

Pierre Rondeau – Les ordonnances n’ont pas été normalisées, on a réduit les heures d’EPS, sauf dans les zones d’éducation prioritaire, il n’y a toujours pas de soutien en faveur du sport en entreprise… et cerise sur le gâteau, la baisse de 10 % du budget alloué au sport par rapport à 2024. Or, il faut une politique volontariste qui se traduise par des actions incitatives pour amener les gens à avoir une activité physique ou sportive (accès à des enceintes sportives en toute sécurité, bonnes capacités d’accueil et de pratique, etc.).

De ce point de vue, le chapitre consacré à ce qui se fait à l’étranger est éclairant, en termes de choix politique et sociétal…    

Pierre Rondeau – Le modèle parfait n’existe pas. Prenez la Finlande : si elle est exemplaire en matière de sport-santé, avec 90 % des adultes qui font de l’exercice 2 fois par semaine et un ministère qui regroupe la culture, l’éducation et le sport, elle ne brille pas par ses performances sportives. C’est une constante des pays scandinaves, qui ne prônent pas la culture de l’élite sportive, mais celle du sport pour tous. Aux Etats-Unis, c’est l’inverse : si le soutien à l’élitisme universitaire se traduit par un niveau d’excellence très élevé, ce pays est aussi celui où le taux d’obésité en population générale est l’un des plus importants au monde. La France tendrait plutôt à soutenir financièrement le sport d’élite.

L’engouement soulevé par les performances des sportifs Français durant les JO de Paris ne peut-il pas susciter des vocations ?  

Pierre Rondeau – Contrairement à une idée reçue, l’excellence de l’élite n’entraîne pas d’effet de ruissellement et, donc, de pratique durable ou de généralisation à toute la population. Il faut que les infrastructures – piscines, dojo, etc. – suivent pour répondre à la demande et garantir l’offre, et, dans le même temps, il faut mener une politique de valorisation du sport.

N’est-ce pas le cas avec le plan « 5 000 équipements sportifs » 2024-2026, dont un tiers dans les quartiers prioritaires ? L’occasion de souligner que le sport est aussi un facteur discriminant…    

Pierre Rondeau – Le sport est à l’image de la société ! Les hommes pratiquent plus que les femmes (71 % versus 60 % – source, Insee) l’accès aux équipements diffèrent selon que vous habitez dans un quartier aisé ou défavorisé, etc. L’archétype du pratiquant sportif est un homme, citadin, entre 20 et 40 ans, plutôt issu de la classe aisée. Depuis le Covid, la multiplication des salles de sport privées qui favorisent des pratiques d’ordre individualisante témoigne de cette segmentation. Pour les Jeux olympiques 2024, on a construit un bassin aquatique en Seine-Saint-Denis (nord de Paris) parce que, dans ce département, 1 jeune sur 2 ne sait pas nager.

Il faudrait aussi citer le cas des personnes en situation de handicap…

Pierre Rondeau – Sur 180 000 clubs répertoriés, seulement 1,4 % d’entre eux se disent à même d’accueillir ces personnes. Même si l’Agence nationale du sport (ANS) a accordé beaucoup de moyens aux sportifs paralympiques, comparé aux précédentes olympiades, et que la couverture médiatique a par ailleurs été conséquente, tout comme le succès public, on reste sur un « one shot », et pas sur une pérennisation. Or le sport, c’est aussi ce qui rapproche et ce qui, au-delà de la solidarité, permet de rompre l’isolement et de procurer une forme de bien-être collectif.

Conclusion, les JO, un trompe-l’œil ?

Pierre Rondeau – On se souviendra très longtemps des Jeux de Paris, à tous égards, mais la grande cause nationale 2024 n’a rien produit de concret, en termes d’engagement public en faveur d’une pratique sportive quotidienne pour toutes et tous. Or, l’action publique est indispensable pour permettre l’accès à des infrastructures sportives, partout, sur tout le territoire.

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