Tennis de table : retour gagnant contre Alzheimer

Comme chaque année, le 21 septembre met la maladie d’Alzheimer sous les projecteurs. L’association France Alzheimer et maladies apparentées a choisi de placer cette édition 2023 de la Journée Mondiale Alzheimer sous le signe du sport et de l’activité physique adaptée. Par-delà le calendrier olympique, l’association s’investit depuis de nombreuses années dans ce domaine. Pour preuves, le partenariat noué avec la Fédération française de tennis de table (FFTT) et le lancement conjoint, fin 2022, d’une étude sur les bienfaits de cette pratique sportive, en partenariat avec la faculté des sciences du sport et le CHU de Montpellier. Pour être en phase, escale dans la Sarthe, pour une immersion dans un club de pongistes.

Si Claude, 76 ans, pouvait passer toutes ses journées au ping-pong, il ne s’en priverait pas. « C’est un mordu », commente, amusée, son épouse Jacqueline, 75 ans. Diagnostiqué il y a dix ans, Claude pratique le tennis de table depuis trois ans, au sein du Mans Sarthe Tennis de Table (LMSTT). Comme beaucoup de personnes de sa génération, il y a joué à l’école, sur la table du préau. « Tous ses réflexes de renvoi de balles sont revenus, témoigne Jacqueline. Au quotidien, il est en train de perdre plein de choses, il ne peut plus faire sa toilette seul, par exemple, mais quand vous le regardez jouer, vous ne pouvez pas deviner qu’il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Franchement, son visage s’éclaire, il est souriant. Le vendredi, qui est le jour du tennis de table, il prépare son sac, ses raquettes, ses balles, il met ses chaussures : il est prêt ! » Fin octobre, le couple quitte la Sarthe pour se rapprocher d’un de ses deux fils, installés dans le sud de l’Hexagone. Claude a prévenu : il veut continuer le ping-pong.

Tous les joueurs de la petite bande de pratiquants qui se retrouvent le vendredi matin n’éprouvent peut-être pas la même passion pour cette activité, mais tous font des étincelles, une fois à la table, à l’instar de Claude, un autre, âgé lui de 83 ans. « C’était un bon pongiste », observe Marie-José, sa femme, 71 ans. En général, il ne veut pas y aller, persuadé qu’il va mourir, mais une fois qu’il y est, ses angoisses s’évanouissent : « Il joue de bon cœur, il est content de jouer avec moi. Et pour qu’il soit encore plus heureux, je le félicite, je le valorise, j’enjolive un peu. La maladie modifie les rapports dans le couple, donc, je joue le jeu au maximum ».

S’adapter, accompagner, rassurer

Le Mans Sarthe TT est l’un des quarante clubs de tennis de table affiliés à la Fédération Française de Tennis de Table (FFTT), à avoir passé un partenariat avec France Alzheimer, via son association départementale sarthoise. Et cela, dès le début du partenariat, initié en 2020. « Le rapprochement entre la maladie d’Alzheimer et le ping-pong m’a paru intéressant à deux titres, raconte Jean-Claude Meignan, le président de France Alzheimer Sarthe. Proposer une activité physique, dont le potentiel en termes de maintien des capacités est important et permettre aux personnes malades et à leurs aidants de se retrouver dans un milieu inclusif. » Six bénévoles se relayent pendant le cours, en plus de l’animateur, Alex Lelaure, un jeune entraîneur du club de 23 ans. Depuis 2021, année de son arrivée au Mans, il s’occupe du groupe. Il a suivi 3 modules de formation, via la FFTT et France Alzheimer, pour mieux comprendre la maladie, son impact sur le cerveau, son évolution. « Mon rôle est d’accompagner et de rassurer, ce qui demande une grande adaptabilité. Les situations sont très hétérogènes, entre les personnes mutiques et celles, au contraire, qui tiennent des discours fleuves, illogiques parfois. Avec certains, je ne vais pas parler, juste montrer des gestes, avec d’autres, je vais dire un mot, pas plus, précise Alex Lelaure. Je me fiche un peu qu’ils sachent faire des coups droits, des revers, etc., ce que je veux, c’est qu’ils aient la banane et qu’ils soient contents d’être là. » Les séances durent 90 minutes, axées sur le jeu, avec une ou deux fois par mois des exercices à la table pour travailler la mobilité des épaules, la coordination, l’équilibre. « Même si la maladie leur enlève beaucoup de choses, ils ont gagné en endurance et en résistance à l’effort, remarque Alex Lelaure. Ils peuvent tenir 15 échanges avec moi sans que la balle tombe, et certains jusqu’à 70 ! »

Le Pr Claire Paquet est cheffe du service neurologie cognitive de l’hôpital Lariboisière, à Paris. Elle se souvient d’avoir été « bluffée » en assistant à un cours de Ping-Pong où évoluaient des patients atteints de la maladie d’Alzheimer : « Pour eux, c’est un vrai moment de joie, où ils se sentent intégrés avec d’autres personnes, pas obligés de converser – suivre plusieurs conversations en même temps est souvent compliqué pour eux – et, de fait, il y a plein d’automatismes moteurs qui reviennent, comme par exemple ramasser une balle quand elle tombe. Enfin, la spécificité du tennis de table est de stimuler tout ce qui est neuro-visuel, c’est-à-dire l’orientation dans l’espace, la coordination et la rapidité, ce qui fait que même des personnes qui ont du mal à s’habiller réussissent à attraper une cible en mouvement ». Et tout cela, dans des conditions d’accessibilité (physique) et de sécurité pour les patients que n’offrent pas des sports comme le tennis ou le badminton.

Echanges entre aidantes et mixité

Au vu des métamorphoses qui s’opèrent au moment où les patients, quel que soit le stade de leur maladie, se mettent à jouer, Jean-Claude Meignan est convaincu que « le tennis de table permet aux capacités restantes qu’il mobilise de durer plus longtemps que s’il n’y avait pas cette activité ». Des études cliniques confortent cette hypothèse. « Qu’est-ce que cela freinerait dans le cerveau, interroge la Pr Paquet, on ne le sait pas. On peut imaginer que l’exercice améliore la vascularisation du cerveau, c’est-à-dire son oxygénation, et diminue l’inflammation, avec pour effet de retarder la destruction de certains neurones. Mais faut-il encore le prouver. » En revanche, une chose est acquise : indépendamment de la maladie, la pratique tout au long de la vie d’une activité sportive adaptée permet de lutter contre les effets du vieillissement. « Même si beaucoup de patients Alzheimer deviennent apathiques, ou plus lents à initier des choses, ils ont encore des ressources qu’il faut solliciter pour leur permettre de rester mobiles », souligne la neurologue.

Autre bénéfice avéré de l’activité physique, et en particulier du ping-pong, c’est de permettre les interactions sociales. « Le ping-pong permet à la personne malade d’avoir un accompagnement autre que celui de son conjoint. L’apport d’un tiers est différent, dégagé de tout lien affectif, l’une des difficultés principales dans les couples », relève Jean-Claude Meignan. « Mon mari peut jouer avec d’autres partenaires, ce qui me permet de me délester un peu du stress lié à la gestion du quotidien, constate Marie-José. Et puis, il y a le contact avec les autres aidantes – il n’y a que des femmes. Des amitiés se sont nouées, on fait volontiers du covoiturage. Le ping-pong est vraiment une belle activité. » La convivialité est soigneusement cultivée par le club associatif du Mans Sarthe TT. « J’aime bien prendre des nouvelles des femmes aidantes, savoir comment elles vont, connaître leur forme du jour, écouter leurs difficultés, etc. C’est aussi important pour elles que pour leurs époux de venir au cours. Je mets parfois de la musique de leur époque et tout le monde se met à chanter, tout en continuant à jouer. C’est très vivant », développe Alex Lelaure qui organise aussi des jeux mixtes entre les enfants et les patients. Sans oublier les deux repas de fin d’année, très appréciés, paraît-il.

Saisir les opportunités

C’est justement au « fardeau des aidants », selon la formule ad hoc, que sera consacrée l’étude à visée de publication, financée par France Alzheimer. Il s’agit en réalité d’un repositionnement. « Pour des raisons de méthodologie, liées au manque de données préliminaires et d’outils adaptés, il est apparu que l’objectif principal initial qui devait s’intéresser à la qualité de vie des patients (bien-être, estime de soi…) était difficilement faisable, explique Pierre Louis Bernard, maître de conférences à l’université de Montpellier et gérontologue, chargé de piloter l’étude. Si les marqueurs psychologiques et physiologiques sont provisoirement limités, au profit des marqueurs à dominante relationnelle, nous travaillerons dessus dans un second temps. » Comme le déclarait Marie-José, la pratique se faisant au sein d’un collectif, la prise en charge ne repose plus sur une seule personne. « Du point de vue social, c’est un moyen d’ouvrir la sphère relationnelle, reprend Pierre Louis Bernard. Nous ferons en sorte de quantifier cet apport. » Le questionnaire est validé, le protocole aussi, qui se déroulera sur la base de deux cours de tennis de table encadrés par semaine, avec un programme précis, pendant trois mois, et ainsi de suite avec de nouvelles recrues. Idéalement, il faudrait réunir un peu plus d’une centaine de personnes. Début de l’étude au printemps 2024, résultats prévus dans deux ans.

En attendant, le ping-pong a déjà réussi un tour de force : montrer une image dynamique d’une maladie encore très stigmatisée. « Elle n’isole pas seulement les patients, mais les aidants aussi », cautionne Jean-Claude Meignan. Or, rappelle la Pr Paquet, « tous les patients ne sont pas à un stade évolué de la maladie avec une perte d’autonomie importante. Les personnes à un stade débutant ont une vie normale et beaucoup continuent à vivre à leur domicile ». Le mot de la fin à Jacqueline : « Voir notre conjoint heureux, c’est notre grande satisfaction pour nous les aidantes. Il faut se saisir de ces opportunités, parce que le matin, quand on se réveille, ce n’est pas toujours facile ». Et le tennis de table en est incontestablement une.

Bientôt deux traitements médicamenteux

Ces deux médicaments sont le Lecanemab et le Donanemab. Au moins un de ces nouveaux traitements pourrait être disponible en France au cours du premier semestre 2024. En l’occurrence, le Lecanemab, déjà autorisé aux Etats-Unis. « Ces deux médicaments s’attaquent à l’amyloïde, une des deux protéines impliquées dans la maladie d’Alzheimer, indique la Pr Claire Paquet. Ils ralentissent l’évolution de la maladie de 30 %, pour les formes précoces. Leur efficacité n’a jamais été démontrée dans les formes plus avancées. » Ce qui représente plus de la moitié des patients. En cela, l’activité physique est importante, et notamment face à une maladie dont la progression est lente. Dernier chiffre : plus de 140 molécules sont actuellement en développement.

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