Pesticides SDHI : un futur scandale sanitaire ?

Que penseriez-vous d’un pesticide, qui, utilisé à la base comme fongicide et également comme vermicide, s’en prend en réalité à la fonction respiratoire présente dans n’importe quel organisme vivant ? Autoriseriez-vous leur utilisation sur 70 % des surfaces traitées de blé tendre, 80% en orge d’hiver (chiffres de 2014), ainsi que sur les fruits tels que les tomates, le raisin, les agrumes, les fraises ? Le répandriez-vous à grande échelle sur les pelouses, notamment des terrains de golf ou de football, sur lesquels jouent nos enfants, pour tuer les vers responsables du jaunissement des pelouses ? C’est pourtant ce que l’on fait avec les SDHI, une famille de pesticides qui, comme son nom complet l’indique (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) inhibe l’activité de l’enzyme SDH, appelée succinate déshydrogénase.

Cette enzyme, le directeur de recherches au CNRS Pierre Rustin, la connaît bien. En effet, il étudie les mitochondries (dont la fonction est de fournir de l’énergie aux cellules) depuis une quarantaine d’années, or la SDH est une enzyme présente dans les mitochondries et elle assure un rôle crucial dans leur fonction respiratoire. L’enzyme SDH est donc essentielle à tout organisme vivant sur terre, du plus petit au plus grand, qu’il soit animal ou végétal. C’est une donnée scientifique de base, unanimement reconnue. C’est pourquoi Pierre Rustin et sa collègue Paule Bénit de l’Inserm n’auraient pas même pu imaginer que l’on puisse autoriser la mise sur le marché d’un produit altérant cette enzyme SDH, jusqu’à ce qu’ils réalisent en 2017, que non seulement un tel produit avait obtenu une autorisation de mise sur le marché, mais que nous en usions tant, qu’il y en a désormais partout dans la terre, l’eau, l’air, les aliments que nous mangeons, etc. et que l’on en retrouve assez facilement dans nos cheveux désormais.

Effaré, il appelle, pour prévenir, l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses), qui ne semble pas plus affolée que cela. Rejoint par de nombreux chercheurs, cancérologues, médecins, et toxicologues, du CNRS, de l’Inserm, de l’Université, et de l’Inra, le lanceur d’alerte cosigne alors, en avril 2018, une tribune publiée dans Libération afin de faire bouger les institutions et d’avertir l’opinion publique. En janvier 2019, l’ANSES rend un avis sur les SDHI et considère finalement que l’alerte est injustifiée. Pour Pierre Rustin, qui a accepté de répondre à nos questions, cet avis est incohérent. Probablement, des intérêts économiques l’ont-ils, une fois de plus, emporté dans cette affaire sanitaire qui met la biodiversité et la santé de tous en danger.

Face au lobby de l’agroalimentaire, que nous reste-t-il ? Avaler bien gentiment notre petit cocktail de pesticides journalier jusqu’à ce qu’un, puis deux, puis dix puis cent agriculteurs, jardiniers ou golfeurs, développent cancers, maladies neurologiques et meurent, pour que l’on puisse enfin prouver que les SDHI s’attaquaient bel et bien, comme on le leur avait demandé, aux fonctions respiratoires de nos cellules ?

 

INTERVIEW DE PIERRE RUSTIN, DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS ET LANCEUR D’ALERTE SUR LES SDHI

 66 MILLIONS D’IMPATIENTS : Que savons-nous exactement de la toxicité des SDHI et de leur impact sur l’homme ou sur son environnement ?

PIERRE RUSTIN : Les SDHI, c’est certain, agissent sur une cible qui est présente dans tous les organismes vivants. Leur toxicité va ensuite dépendre des doses et de la fréquence d’exposition, de la façon dont ils sont ingérés, et éventuellement des interactions avec d’autres produits phytosanitaires ou chimiques de manière générale. Or tout ceci est très difficile à déterminer. Actuellement, la dose de toxicité chez l’homme est calculée sur la base de la dose fatale pour la souris, qui est tout simplement multipliée par un facteur arbitraire 100 ou 1000. On ne prend pas en compte, ni la fréquence, ni la durée de l’exposition, ni le fait qu’il puisse s’agir de bébés, de personnes âgées ou malades, de leur environnement chimique et des interactions possibles.
Dans tous les cas, la fonction respiratoire des enzymes atteintes par les SDHI est une fonction que l’on trouve depuis les bactéries jusqu’à l’homme. Tous les êtres vivants sont concernés. Si l’on répand des SDHI dans un champ, on déséquilibre complètement la microflore du terrain, en créant des mutants de champignons notamment, mais peut-être également de bactéries ou d’autres micro-organismes. On sait également que la rémanence de ce produit est très longue, à l’instar de nombreux pesticides, puisque l’on retrouve encore des traces de pesticides interdits pourtant depuis plusieurs années.
Cependant, à ce jour, nous n’avons pas la démonstration que les SDHI provoquent des maladies humaines ou aient tué des gens, d’autant que les maladies que l’on soupçonne causées par les SDHI sont des maladies dues à un dysfonctionnement des mitochondries, qui génèrent souvent des pathologies neurologiques, dont l’évolution est très lente. Le lien de cause à effet est d’autant plus compliqué à établir pour un SDHI donné, qu’à ce jour, 12 SDHI sont autorisés en France.
Ce qui est certain en revanche, c’est qu’en laboratoire, de nombreux animaux et les cellules humaines meurent bel et bien sous l’effet des SDHI. Nous demandons donc, par précaution, de changer les modalités d’utilisation des produits contenants des SDHI, voire de retirer les autorisations de mise sur le marché.
En outre, si pour l’homme on n’a pas de démonstration établie de maladies ou de décès directement imputables aux SDHI, on sait parfaitement que les SDHI tuent les vers de terre, puisque c’est précisément l’une des indications de ces pesticides. Les SDHI ont donc un lourd impact délétère sur la biodiversité. L’ANSES elle-même ne remet pas en cause ce constat. On se focalise beaucoup sur la toxicité directe des produits phytosanitaires sur l’homme, mais détruire la biodiversité c’est mettre également l’homme en grand danger pour sa survie.

Votre alerte fait suite à une découverte fortuite ?

Effectivement, nous écrivions une revue sur les mécanismes des cancers entrainés par le mauvais fonctionnement de la SDH. Nous cherchions des facteurs dans l’environnement qui pourraient interférer avec cet enzyme SDH et expliquer l’évolution de ces maladies humaines que l’on comprend peu. C’est alors que nous sommes tombés, totalement par hasard, sur les SDHI et que nous nous sommes rendu compte combien ils étaient massivement utilisés. Notre domaine de recherche, sur les mitochondries, ne nous amène pas forcément à nous intéresser aux pesticides. Nous n’avions pas connaissance de la mise sur le marché des SDHI, ni de la banalisation des leurs usages. Nous n’imaginions même pas que l’utilisation de tels produits soit possible, encore moins qu’ils puissent être répandus dans de telles quantités ! Pourtant dans l’histoire des pesticides, il y a eu d’autres produits dits phytosanitaires qui bloquaient également la fonction des mitochondries, c’est à dire leur respiration, et qui ont été retirés du marché. Pourquoi ceux-là ont-ils été et sont-ils toujours autorisés ?
Des collègues californiens, dans les années 1970, avaient déjà alerté sur les effets extrêmement toxiques de ce qui étaient à l’époque l’« ancêtre » des SDHI et avaient bien recommandé de ne pas les utiliser dans la nature car il s’avéraient être très efficaces contre l’enzyme SDH des mammifères, donc sur l’enzyme humain.

Pourquoi l’ANSES n’est-elle pas aussi soucieuse que vous du danger que représentent ces pesticides ?

Lorsque, dans les heures qui ont suivies notre découverte, j’ai appelé l’ANSES pour leur en faire part, je m’attendais à ce qu’elle soit aussi effarée que nous, mais elle a finalement faiblement réagi et a émis, quelques mois plus tard, un avis bien peu alarmiste.
C’est très difficile de donner une interprétation concernant l’avis de l’ANSES qui ne soutient finalement pas l’alerte que nous avons lancée. Honnêtement je ne comprends pas, car les arguments et études que nous avançons sont simples et imparables. J’hésite entre deux hypothèses. En premier lieu, le fait qu’étant impliqués dans la mise sur le marché des pesticides de façon générale, et des SDHI en particulier, il est très délicat pour l’Agence de revenir en arrière. Il est difficile de reconnaître que l’on a autorisé un produit que l’on aurait dû interdire. L’autre hypothèse est qu’ils subissent peut-être des pressions terribles de la part des milieux économiques et des laboratoires qui fabriquent ces pesticides.

L’ANSES s’est engagée à poursuivre ses recherches sur les SDHI. Sont-elles effectivement en cours ?

Absolument, mais ces recherches n’ont aucun intérêt. Il s’agit d’études rétrospectives d’épidémiologie qui ont peu de chances d’aboutir car on ne sait pas comment les gens ont pu être exposés aux SDHI et qu’encore une fois il s’agit de maladies neurologiques à évolution très lente. Si l’on veut espérer des résultats sérieux, cela prendra des années. L’Anses peut décider de continuer ces études, mais en attendant, il faut alors, par précaution, retirer les autorisations de mise sur le marché de ces produits.
Les études que nous avons présentées à l’ANSES sont largement suffisantes pour faire prévaloir le principe de précaution mais cela ne va sans doute pas ni dans le sens de l’intérêt économique de certains, ni dans celui d’une pratique agricole basée exclusivement sur ce type d’usage des pesticides je pense.

 

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