En octobre 2019, l’Assemblée nationale a voté la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Le texte, entré en vigueur au 1er janvier 2020, est en attente de son décret d’application. Ce fonds, revendiqué par l’association Phyto-Victimes depuis de nombreuses années et soutenu depuis 2016 par des parlementaires socialistes, a finalement été inscrit par Agnès Buzyn, ministre de la Santé, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020. Phyto-Victimes salue la prise en charge de victimes, ne pouvant être reconnues comme telles avant, mais déplore le manque d’ambition général de ce dispositif gouvernemental.
L’INDEMNISATION DES VICTIMES DE PESTICIDES AVANT LA CRÉATION DU FONDS
Les malades victimes de pesticides ont déjà du mal à être reconnus au titre d’une maladie professionnelle et quand c’est le cas, leurs indemnités sont souvent dérisoires.
Dominique Marchal, exploitant agricole, est le premier en 2006 à être reconnu en maladie professionnelle liée aux pesticides et est aujourd’hui très peu indemnisé. Ne pouvant prouver qu’il a été intoxiqué par un produit en particulier pour se retourner contre son fabricant, comme l’a fait Paul FRANÇOIS contre Monsanto, les procédures juridiques qu’il engage échouent toutes, après 10 ans de bataille. Ce cas emblématique est à l’origine de l’idée de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.
Témoignage de Pascal Fourneau, 55 ans, Bourgogne, allergique aux produits chimiques : « Après 30 ans comme ouvrier viticole, j’ai souffert de douleurs dans les jambes qui m’empêchaient de marcher. Les médecins ont mis plus de 7 ans à comprendre que c’était lié à une allergie aux produits chimiques. J’ai eu de nombreux arrêts maladie puis licencié pour inaptitude au poste de travail. Je me bats devant les tribunaux depuis 8 ans, en vain, pour être reconnu en maladie professionnelle, d’autant qu’il a fallu que je me reconvertisse, puisque je ne pouvais plus exercer mon métier et que je ne suis pas pris en charge pour mes médicaments qui me coûtent 4000€/an. Je travaille à nouveau mais de manière occasionnelle et je souffre régulièrement de douleurs aux jambes et aux bras, de problèmes respiratoires et de troubles cognitifs. Je continue de me battre et espère aussi que ce fonds pourra enfin aider les victimes. »
LA GENÈSE DE LA CRÉATION DU FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE PESTICIDES
Pour permettre aux professionnels ou à leur entourage, de toucher une indemnisation décente pour une maladie causée par des produits phytosanitaires, Phyto-Victimes s’appuie sur des schémas de fonds d’indemnisation comme pour l’amiante. L’association participe à l’élaboration d’une proposition de loi portée par Nicole Bonnefoya, sénatrice de la Charente, et adoptée par les sénateurs mais qui ne parvient pas à franchir le vote à l’assemblée nationale. Contre tout attente, à l’automne 2019, Agnès Buzyn, s’engage à ce qu’un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides soit créé dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020. La loi est votée mais le texte change et manque d’ambition selon Phyto-Victimes, reçue fin janvier 2020 au ministère de l’agriculture en présence de nombreux acteurs de la santé, pour discuter des modalités du futur décret d’application.
Antoine Lambert, vice-président de Phyto-Victimes, fait le point sur la situation : « Il y a évidemment des avancées, mais il n’y aura pas d’indemnisation intégrale des préjudices pour les victimes de pesticides. Pourquoi les victimes impactées par l’amiante ont droit à une indemnisation intégrale alors qu’un malade à cause des pesticides n’y aurait pas droit ? Ainsi, un salarié indemnisé par l’ancien système n’aura rien de plus via le fonds d’indemnisation. En revanche, les personnes non-salariées agricoles, en grande majorité les exploitants dont l’indemnisation actuelle est nettement en-dessous de celle des salariés, auront droit à une indemnisation équivalente. En outre, le dispositif indemnisera également certaines personnes non salariées, comme les aides familiales ou les conjoints collaborateurs qui ont un statut légal mais ne sont pas salariés, ne cotisent pas et n’avaient droit à aucune indemnisation. Rentreront également dans le spectre du fonds, les enfants de professionnels exposés qui souffriraient de malformations ou de maladies causées par les pesticides. Enfin certains retraités qui n’avaient pas cotisé au régime AT-MP (Accidents du Travail – Maladies professionnelles), puisque ce n’était pas obligatoire avant 2002, pourront également être pris en charge par le fonds. Les fonctionnaires en seront exclus car il est estimé que leur régime actuel est plus avantageux. Phyto-Victimes se bat également pour que de nouveaux tableaux de maladies professionnelles en lien avec les pesticides soient créés, en se basant sur les connaissances scientifiques actuelles *, afin que les droits des victimes puissent évoluer et que ces dernières puissent être indemnisées via le fonds d’indemnisation. »
QUI VA FINANCER LE FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE PESTICIDES ?
La ressource de ce fonds sera celle de l’ancien dispositif, donc celui des cotisations AT-MP consolidée par un financement via une revalorisation de la taxe de « pharmacovigilance » , déjà existante et payée par les fabricants de produits phytopharmaceutiques.
Phyto-Victimes aurait préféré que l’État prenne également ses responsabilités et participe au financement de ce fonds, puisqu’il s’agit de la mise en cause de produits officiellement homologués et utilisés dans un contexte de développement de l’agriculture dont l’État a soutenu, et soutient toujours, les procédés.
Pour Marie-Annick Lambert de chez France Assos Santé, qui travaille sur la création d’un fonds médicament, les questions de son financement et de sa gestion ne font pas l’unanimité parmi les associations de patients. Est-ce la bonne solution de faire supporter le financement d’un fonds d’indemnisation par la collectivité, plutôt que par les laboratoires ou les fabricants ? En effet, si le financement est assuré par l’État, il paraît difficile de mettre en cause sa responsabilité, souvent recherchée en matière de scandale sanitaire, qu’il s’agisse de produits de santé ou d’environnement. Dans le cas du fonds « pesticides » il est vraisemblable que s’il avait été financé exclusivement par des fonds publics, le blocage n’aurait pas été levé, et sa création serait toujours attendue ! Par ailleurs, dès lors que ce fonds est abondé par les fabricants, on peut espérer qu’ils hésiteront à mettre sur le marché un nouveau produit dangereux qui risquerait de majorer leur contribution au fonds d’indemnisation. Enfin, au-delà du financement du fonds, Marie-Annick Lambert soulève la question de sa gestion. Si elle est confiée à un organisme public, le contrôle de Bercy sera fort et ce dernier trouvera toujours son coût de fonctionnement trop élevé.
* L’association participe aux travaux de la COSMAP depuis 2018
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