« Très régulièrement, mes patients me demandent de leur prescrire quelque chose pour la fatigue. Malheureusement, il n’y a pas de formule miracle. Dans certains cas, on trouve la cause, on peut la traiter, et la fatigue s’atténue ou se dissipe. Mais très souvent, les médecins n’ont pas de solution efficace et parfois d’ailleurs, ils ne trouvent même pas de cause évidente à la fatigue de certains patients. », rapporte le Dr Elkaïm, médecin généraliste.
Effectivement, pour appliquer un traitement adapté, la base est bien entendu de faire une investigation pour connaître la ou les causes de la fatigue. Il peut s’agir d’une fatigue inhérente à une maladie (affections auto-immunes, maladies infectieuses, atteintes neurologiques), à des troubles du sommeil (voir notre article sur le sujet), à un cancer, à des troubles psychologiques (dépression, anxiété, trouble bipolaire, etc.). La fatigue peut aussi s’expliquer par la consommation de toxiques (voir notre article sur l’alcool et la fatigue), ou la prise de certains médicaments. Elle peut aussi être due à du surmenage, une mauvaise hygiène de vie ou diverses carences, comme celle en fer par exemple. Enfin, il existe le cas particulier du syndrome de fatigue chronique (lire notre article sur le sujet), pour lequel on est sur le point de trouver bientôt des marqueurs biologiques et qui est donc encore difficile à diagnostiquer. Ce syndrome se définit, entre autres signes, par l’existence depuis plus de 6 mois d’une fatigue physique et cognitive pouvant aller jusqu’à l’épuisement, ponctuée de malaises post-efforts, avec des douleurs musculaires, des troubles digestifs, etc.
66 Millions d’Impatients : La fatigue est-elle une fatalité lorsque l’on a une maladie chronique ?
Dr Elkaïm : Pas toujours heureusement. Pour certains cas, dès lors que l’on parvient à traiter efficacement la cause, on élimine la fatigue. Prenons l’exemple d’une hypothyroïdie bien traitée où le patient retrouvera finalement une bonne énergie. Cependant, pour de nombreuses maladies chroniques, et a fortiori les maladies évolutives, puisque par définition, on n’en guérit pas, la fatigue persiste plus ou moins selon les patients et selon l’efficacité des traitements de la maladie.
Dans tous les cas, avant de poser un diagnostic dans le cadre du déclenchement ou de la persistance d’une fatigue, on fera dans tous les cas, un bilan complet (biologique et imagerie). Pour ce qui est des carences éventuelles, on peut aussi anticiper les changements de saison et faire des cures de vitamines au début de l’automne par exemple, quand le froid arrive et que la lumière décline.
Par ailleurs, lorsque l’on recherche les origines d’une fatigue, des causes somatiques et des causes psychologiques peuvent se cumuler. Il est souvent difficile de déterminer laquelle est apparue en premier d’autant qu’elles peuvent s’auto-entretenir, comme c’est le cas pour la douleur et la dépression. Heureusement, de nos jours, hormis si un diagnostic de dépression est établi, on ne donne plus systématiquement d’antidépresseurs à un patient qui se plaindrait de fatigue.
66 Millions d’Impatients : Existe-t-il des traitements pour le syndrome de fatigue chronique ?
Dr Elkaïm : Pour le syndrome de fatigue chronique, également appelé “encéphalomyélite myalgique”, bien qu’il commence à y avoir des essais cliniques en cours dans le monde et donc beaucoup de pistes de méthode diagnostic et de possibles traitements, on ne connaît toujours pas encore complètement les causes et les mécanismes qui déclenchent cette maladie. A ce jour, en termes de traitement, on ne peut proposer que des « béquilles » à nos patients qui souffrent de ce syndrome. Cela passe principalement par des conseils d’hygiène de vie et par le fait d’apprendre à gérer leurs efforts, notamment en les fractionnant, pour ne pas dépasser un seuil au delà duquel peuvent survenir un malaise post-effort. C’est ce que l’on appelle la méthode « Pacing » (lire notre article sur cette méthode). Nous pouvons également proposer certains compléments comme de la vitamine D, ou C ou du magnésium mais c’est très loin d’être suffisant. Certains trouveront, à force d’essayer différentes choses, des compléments alimentaires qui pourront améliorer leur état. Cela prend du temps et est souvent onéreux car bien sûr ces produits ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie. En outre, il n’est pas évident de savoir à quel dosage et sous quelles formes prendre ces compléments alimentaires. Le cas de la vitamine C est intéressant par exemple, car celle qui est à privilégier est la vitamine C liposoluble, et ce n’est pas celle que l’on trouve le plus couramment. Par ailleurs, il ne faut pas oublier certaines disciplines comme le yoga et la méditation qui permettent à des personnes susceptibles d’avoir des troubles cognitifs, des douleurs physiques ou de la fatigue musculaire, de bouger, de s’étirer, de respirer, de calmer le système nerveux, et de soulager un temps le mal-être.
66 Millions d’Impatients : Peut-on appliquer la méthode du pacing à d’autres cas que le syndrome de fatigue chronique ?
Dr Elkaïm : Oui, pourquoi pas. Cette méthode peut s’appliquer dans de nombreux cas finalement. Notamment pour les cas de « burn-out », où il faut envisager un grand repos au début pour reprendre des forces. Cette méthode semble aussi très pertinente par rapport à une maladie d’actualité, à savoir le Covid. J’ai en effet reçu beaucoup de patients dont la fatigue extrême a perduré, parfois durant des mois après la phase aigue de la maladie. Il se trouve que j’ai moi-même eu le Covid et connu cette fatigue extrême persistante pendant plusieurs mois. J’ai arrêté de travailler durant un mois entier et n’ai repris qu’à mi-temps au début. Or, beaucoup de mes patients m’ont confié que leur médecin traitant ne croyait pas vraiment à cette fatigue et leur ont fait reprendre trop tôt leur travail, de sorte qu’ils n’ont pas eu la possibilité de récupérer un bon niveau d’énergie, avec le risque de s’enfoncer dans une fatigue qui se chronicise. J’ai notamment arrêté une patiente post-covid qui me semblait avoir repris trop tôt son travail, en lui précisant bien qu’il fallait qu’elle se repose vraiment et éviter même de faire du sport. Malgré le repos, sa fatigue a persisté plusieurs mois et j’ai craint qu’elle ne bascule vers un syndrome de fatigue chronique. Finalement elle s’est mieux portée petit à petit et a repris le travail à mi-temps mais j’ai insisté pour que dans tous les domaines de sa vie, que ce soit personnel ou professionnel, elle alterne les phases de repos et d’activités. Enfin, aujourd’hui, après plus de 6 mois, elle va bien. La méthode du pacing ne s’oppose pas au fait de pratiquer une activité physique qui est évidemment très bénéfique pour la santé. Il y a simplement des phases où il faut accepter que ce n’est pas le bon moment, et le reste du temps, si l’on a un terrain fatigable, l’idée est de toujours fractionner ses efforts et les alterner avec du repos.
Témoignage de Valérie Gisclard, Présidente de l'UNSED (Union Nationale des Syndromes d’Ehlers-Danlos)
Pour ma part, les traitements pour lutter contre la fatigue sont avant tout du bon sens, une certaine organisation dans ma vie, une bonne hygiène de vie, le moins de stress possible, l’auto-hypnose. La fatigue a toujours fait partie de ma vie. Dernièrement elle s’est accentuée car en plus du syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, j’ai une leucémie, un syndrome respiratoire chronique sévère, des algies vasculaires de la face, un ulcère duodénal, une cholestase aiguë, un syndrome du côlon et de l’intestin irritables et une gastroparésie.
Cet amalgame de pathologies entraine évidemment à un moment donné, une saturation au niveau du corps.
Pour soulager ma fatigue j’ai commencé en premier lieu par changer de literie. Aujourd’hui, j’ai un lit médicalisé et j’ai investi un peu plus d’une centaine d’euros dans mon propre matelas pour gagner en confort. Le constat est simple, si je suis mal dans mon lit, je souffre, si je souffre, cela me fatigue, si je suis fatiguée, les douleurs augmentent. Si je ne dors pas, je ne récupère pas… C’est un cercle vicieux. Je me suis également rendue compte que j’étais sensible aux ondes, et désormais j’éteins totalement l’ordinateur et la télévision plutôt que de les laisser en veille quand je ne les utilise pas. C’est bon pour la planète et pour moi.
Je fais aussi régulièrement des prises de sang pour ma leucémie, ma cholestase et on en profite pour vérifier si des carences liées à l'immunothérapie sont présentes. Il n’est pas question de prendre des compléments au hasard, même s’ils sont naturels.
On le sait, prendre des vitamines de toutes sortes quand on n’en manque pas peuvent être néfastes pour la santé et peuvent surcharger le foie ou les reins notamment. En outre, aussi naturel soit-il, le pamplemousse par exemple compromet le traitement pour ma leucémie. Par ailleurs, prendre des compléments sans savoir s’ils sont utiles revient très cher et alourdit la charge mentale. Je parle en connaissance de cause, car au début de ma maladie, alors que je ne savais pas ce que j’avais, pour soulager ma fatigue et mes douleurs, j’ai avalé tout ce qui était disponible dans les magasins bio. Cela dit, je me fais encore avoir… Récemment j’ai tenté la spiruline, mais elle a terminé à la poubelle car j’ai fait des effets indésirables connus. Idem pour le CBD qui n’a donné aucun effet positif pour ma part.
La fatigue ou l’asthénie ne sont pas à prendre à la légère et sont partis intégrantes de nos quotidiens de malade chronique que sont les syndromes d’Ehlers-Danlos.
Par force, j’ai réussi à faire le distinguo entre la fatigue morale et physique, mais ce n’est pas toujours évident. Je fais notamment pour cela de l’auto-hypnose, dont le principe est finalement d’aller chercher en soi ses propres ressources. Par ce biais, j’ai appris à gérer mon énergie qui est en réalité est déjà à zéro dès le matin. Bien dormir n’est pas suffisamment réparateur avec une fatigue chronique. De fait, si je dois sortir de mon domicile je me booste mentalement, les jours précédents.
Cela peut paraître anecdotique car mes activités sont déjà très réduites depuis plusieurs mois, mais pour vous donner un exemple, je me conditionne psychologiquement depuis quelques jours car je dois sortir faire mes papiers d’identité alors que je ne suis pas sortie depuis plus de 4 mois de mon domicile (je ne tiens plus assise même sur mon fauteuil roulant électrique). Ainsi, le jour J, même si mon corps est fatigué, mon mental sera plus fort que mon corps pour cette sortie. En rentrant, je serai physiquement à bout, mais moralement fière d’y être parvenue. Ce sont des challenges du quotidien, anecdotiques pour des personnes lambda mais qui sont vitaux pour moi.
Je profiterai de cette occasion pour parler plus largement des Syndromes d’Ehlers-Danlos. Comme il est décrit dans notre protocole national diagnostic et de soins (PNDS) pour les malades atteints de Syndromes d’Ehlers-Danlos, la fatigue chronique est l’une des caractéristiques majeures de certains Syndromes d'Ehlers-Danlos non vasculaires, en particulier le SED hypermobile, et peut conduire à un déconditionnement physique.
La fatigabilité est multifactorielle (musculaire, troubles de la proprioception, dysautonomie, douleurs…) et peut majorer des troubles neuropsychologiques.
Il est important de rechercher et traiter d’éventuels facteurs aggravants comme l'anémie, des carences nutritionnelles, des médicaments, des troubles du sommeil, des allergies.
Les preuves sont à ce jour insuffisantes pour recommander des médicaments contre la fatigue. Il n’existe aucun traitement pharmacologique ou traitement curatif de la fatigue en soi. Les grandes revues systématiques n’ont pas identifié de traitements efficaces, mais de nombreux médicaments sont efficaces contre certains symptômes (par exemple, les maux de tête) et les affections concomitantes qui entraînent la fatigue.
N’oublions pas également que les personnes gravement fatiguées peuvent avoir besoin du soutien d’une équipe pluridisciplinaire, par exemple d’infirmiers, ergothérapeutes, diététiciens, psychologues, physiothérapeutes et médecins de la douleur. La fatigue, parlons en ! Ce sujet ne doit pas être un tabou. L’UNSED est d’ailleurs heureuse de s’associer à la Journée des fatigues et permettre de sensibiliser sur les conséquences quotidiennes de l'asthénie chronique associées à nos maladies rares.
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