De l’anxiété au suicide, les enfants fortement touchés par la crise sanitaire

Loin de l’école, de leurs amis, privés de leurs activités préférées, les jeunes de moins de 15 ans n’ont pas toujours eu la possibilité de partager leur ressenti, d’évacuer leur stress ces derniers mois. Pourtant, la crainte de la Covid et de ses conséquences ne les a pas épargnés.
Tout comme l’a montré, le 3 juin dernier, le reportage d’Envoyé Spécial tourné à Rennes au sein du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, les observations du Pr Delorme, chef du département psychiatrique pour enfants et adolescents à l’hôpital Debré à Paris dresse, plus d’un an après le début de la crise, un état des lieux inquiétant concernant le niveau d’anxiété des enfants.
Pourquoi et à quel moment les enfants ont-ils le plus souffert de cette crise sanitaire, quels sont les signes qui doivent alerter les parents pour éviter d’éventuelles tentatives de suicide, comment les aider le cas échéant ? C’est ce que nous explique le Pr Delorme.

66 Millions d’Impatients : Qu’avez-vous constaté ces derniers mois au sein de votre département ?
Pr Delorme : Ces derniers mois, le nombre de consultations d’urgence à Robert Debré, pour des troubles anxieux, a doublé. Dès le mois de novembre 2020, nous avons lancé une alerte auprès de l’Agence régionale de santé, pour signaler le nombre massif de tentatives de suicides que nous observions depuis le mois de septembre chez les enfants de moins de 15 ans.
S’il y a eu un phénomène de « lune de miel » pendant les premières semaines de la crise sanitaire, notamment pour les enfants qui souffraient par exemple de troubles de l’apprentissage ou de phobie scolaire et qui se sont sentis plus à l’aise durant le long confinement du printemps 2020, une certaine détérioration s’est faite sentir en juillet et en août. Nous l’avons alors attribuée au fait que les Parisiens avaient eu moins l’occasion de partir en vacances du fait de la situation sanitaire. Malheureusement, la rentrée et la reprise du chemin de l’école a marqué une véritable aggravation de l’état de santé mentale des enfants et des adolescents, notamment de ceux qui vivaient déjà des difficultés à l’école. Ils ont mal vécu de devoir sortir de leur cocon, dans un contexte sanitaire qui demeurait anxiogène.

Quelles sont les raisons de cette anxiété chez les plus jeunes ?
Les raisons de cette anxiété sont assez polymorphes. Il s’agit plutôt d’un cumul de facteurs de risques, comme le fait d’avoir eu des proches malades, peut-être hospitalisés, voire décédés, de vivre dans un contexte de promiscuité pendant le confinement et les couvre-feux, de voir ses parents craindre pour leur emploi, leurs revenus, etc. et dans le même temps, le fait d’un manque d’activités plaisantes comme de voir ses amis, de faire du sport, etc.
L’aggravation de l’état d’anxiété peut être comparée à une bouteille qui se remplit plus vite qu’elle ne se vide. Face à la crise, et du fait que nous avons tous des capacités et des ressources différentes, certaines personnes ont été plus ou moins rapidement submergées par l’anxiété, sans trouver d’exutoire pour soulager leur stress. L’effet anxiogène de la crise a touché des personnes, enfants comme adultes, de divers milieux sociaux, qui avaient déjà des fragilités psychiatriques mais également des personnes qui n’étaient jamais venues consulter auparavant.
N’oublions pas que la souffrance se considère plus qu’elle ne se compare et même lorsque les enfants n’ont pas vécu, pendant la crise, de situation personnelle particulièrement difficile, qu’ils ont eu la chance peut-être de vivre le confinement dans des conditions agréables, ils peuvent avoir été pourtant affectés par cette période troublée et en souffrir.

On a tendance à penser que les enfants s’adaptent plus facilement que les adultes, qu’ils vivent dans leur bulle et sont moins affectés par les difficultés de la vie. Est-ce vrai ?
Il y a effectivement cette pensée commune qui consiste à croire que les enfants ne sont pas particulièrement touchés par ce qui les entoure jusqu’à l’âge de 14 ou 15 ans et qu’ensuite seulement, ils commencent à s’opposer et à réfléchir par eux-mêmes. On imagine ainsi que les enfants, surtout les plus petits, vivent ou se réfugient naturellement dans un univers bienveillant, loin des réalités, mais ce n’est pas le cas. On trouve évident de penser que l’on ne voit pas les choses de la même façon à 25 ans ou à 90 ans, mais que pour autant, quel que soit l’âge, on a conscience des réalités. C’est pareil pour les enfants. Ils voient les choses différemment mais sont, eux aussi, touchés par la réalité.
La littérature montre d’ailleurs que l’impact de la Covid est présent chez des enfants dès l’âge de 2 ou 3 ans. Ils sont certes plus résilients que les adultes, mais on sait par exemple qu’au début de la crise, parmi les enfants de moins de 11 ans, 1 sur 5 s’inquiétait du devenir financier de la famille, quand 1 sur 3 avait peur de mourir de la Covid.

Y’a t-il des signes particuliers, marqueurs d’anxiété chez les enfants ?
Tous les changements d’attitude ou d’habitudes chez les enfants peuvent être des signes d’alerte. Cela dit, ce n’était pas si simple de les remarquer ces derniers mois, car les changements éventuels ont pu être attribués à la situation exceptionnelle que nous traversons. Concrètement, ces signes peuvent se traduire par le fait de ne plus vouloir dormir seul, de faire des crises de colère intenses, de faire à nouveau pipi au lit, de manquer d’appétit ou au contraire de trop manger et d’avoir pris anormalement du poids, de rester au lit toute la journée, de se désinvestir par rapport à ses centres d’intérêt, de voir ses résultats scolaires chuter, etc.
Les pédiatres ont également remarqué une nette augmentation de plaintes pour diverses douleurs, de cas de petits enfants qui présentent des difficultés pour marcher ou s’alimenter. Autant de signes, heureusement la plupart du temps sans gravité, qui peuvent refléter un certain niveau d’anxiété.

Les nombreuses heures passées par les enfants devant les écrans pendant les confinements et couvre-feux ont-ils pu accentuer leurs troubles anxieux ?
Certainement, et il y a d’ailleurs eu une mise en garde par l’ONU, sur le harcèlement en ligne pendant la crise Covid. Enormément d’enfants ont surconsommé du temps d’écran, notamment de jeux vidéos, et ont du mal à arrêter aujourd’hui. En juin, nous avions environ deux cas par jour de parents qui s’inquiétaient car leur enfant parlait de suicide si on leur interdisait de jouer aux jeux vidéo. Ces épisodes ne sont pas à prendre à la légère en ce moment. A l’hôpital Necker-Enfants malades par exemple, alors qu’avant la crise ils avaient environ une défénestration par mois, ils en ont eu 1 par semaine ces derniers mois. Plus d’enfants sont morts par suicide pendant la crise sanitaire, qu’à cause de la Covid et on a constaté que les tentatives de suicide chez les enfants sont plus graves qu’à l’accoutumée.
S’il est vrai que pour la plupart des jeunes, l’augmentation de temps passé devant les écrans n’a pas eu de conséquences graves, il y a malheureusement eu un phénomène de dépassement pour beaucoup et l’addiction aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux est devenue un véritable problème de santé publique désormais.

Comment réagir si on voit son enfant devenir anxieux, si on a un éventuellement une crainte qu’il pense au suicide ?
Sur le sujet de l’anxiété et du suicide, nous avons résumé les stratégies sur une des fiches outils de notre site internet CléPsy. En résumé, si l’on perçoit des signes d’anxiété, on peut commencer, si ce n’est pas déjà le cas, à faire davantage d’activités en famille, à faire attention à conserver un certain rythme pour les repas, le sommeil, à laisser à nouveau son enfant reprendre les sorties entre amis, les activités extra-scolaires, etc.
Si on a un doute sur l’apparition de troubles anxieux, on peut aussi interroger les instituteurs et professeurs, les amis de son enfant, pour savoir s’ils ont remarqué eux-aussi des changements de comportement.
Dans tous les cas, l’important est d’essayer d’établir un dialogue, de ne pas s’enfermer dans ses incertitudes. Si l’on se sent dépassé, il ne faut pas tarder à consulter le médecin de famille, un pédiatre ou un psychiatre.
Une des règles en psychiatrie est que si les parents pensent au suicide de leur enfant, c’est que l’enfant y a souvent déjà pensé lui aussi. Dans tous les cas, il vaut mieux prendre les devants. Cela ne donnera pas d’idées de suicide à un enfant qui n’y a jamais pensé mais cela peut en revanche soulager un enfant qui y songe.
Rappelons qu’un dispositif se met en place, dans le contexte de la crise sanitaire, pour la prise en charge psychologique des enfants et des adolescents. Il s’agit de Psy Ado Enfants qui propose pour les 3 à 17ans, 10 consultations avec un psychologue, entièrement remboursées.

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