Retour sur la Biennale des Fatigues, édition 2023

Le 21 novembre est désormais une date à retenir comme étant celle, tous les deux ans, de la Biennale des Fatigues. Cette année 2023, se tenait la deuxième édition de ce rendez-vous, lancé en 2021 par le Groupe national de Travail sur les Fatigues, né de l’union de diverses associations de patients et d’usagers du système de santé et de Tous Chercheurs, sur une idée de l’Association Française du Syndrome de Fatigue Chronique (ASFC) et dont France Assos Santé a été, dès le début, partenaire.

Cette année, après une dizaine d’ateliers en visio-conférences, qui se sont tenus tout au long du mois de novembre, un évènement organisé à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière et retransmis en direct sur internet, a été le point d’orgue de cette seconde édition de la Biennale.

Cette édition a été l’occasion d’échanger sur l’exploration et l’exploitation, ces deux dernières années, des nombreuses et précieuses données recueillies lors de la première édition, à savoir les 5300 réponses de l’enquête « Ma fatigue et moi », ainsi que les 200 « lettres à ma fatigue » envoyées par autant de patient.e.s.

Un second temps lors de la journée parisienne a laissé place à une table ronde sur le thème « Ensemble face aux défis de la fatigue : quels axes, méthodes et synergies pour développer des recherches (réellement) transversales et (réellement) collaboratives ? », et où il était bien entendu beaucoup question d’intégrer la parole, l’expérience, et les actions des patients, pour enfin prendre en charge efficacement TOUTES leurs fatigues.

Les fatigues mal traitées et maltraitées

C’est avec ce constat navrant, habilement nuancé, que Claude Rambaud, vice-présidente de France Assos Santé a ouvert les débats de cette journée de conférences. Alors que la première édition de la Biennale des fatigues s’était tenue en 2021 sous le Haut Patronage d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé de l’époque, cette année le ministère a décliné la demande de patronage du collectif. Quel message faut-il y voir ? Sûrement pas, en tous cas, la prise en compte du ressenti des 5300 répondants de l’enquête menée par la Biennale en 2021 et qui révélait que la fatigue représente 70% ou plus du fardeau de la maladie chez 2/3 des répondants !

En effet, les fatigues sont un sujet transversal pour la plupart des malades, et donc des associations qui les représentent et qui se sont naturellement associées au projet de la Biennale. Le collectif, rejoint par des chercheurs de tout bord, mène de front des travaux de pédagogie, de plaidoyer, des recherches sur les savoirs expérientiels, cliniques, etc. dans le but annoncé de sensibiliser, rassembler, soulager tous les malades, et tous ceux concernés, de près ou de loin par les fatigues… Les siennes, celles de ses proches, celles liées à une maladie chronique, avec les différentes facettes qu’elles peuvent présenter selon que la maladie est musculaire, digestive, auto-immune, mentale, rhumatismale, etc. Sont concernées également les fatigues causées par une blessure, un virus passager, mais qui au fil des mois semblent s’éterniser, celles qui font suite à un épisode de vie bouleversant, un épuisement professionnel et heureusement parfois tout simplement à une jolie fête…

Nos fatigues ont mille visages. Chacune et chacun y sont un jour confrontés. Pourtant dans le monde de la santé, les fatigues sont peu entendues, extrêmement rarement évaluées, quasiment jamais prises en charge, car faute de traitements, il semble que les médecins préfèrent éluder la question que d’affronter leur impuissance à soulager leurs patients. Ainsi nos fatigues sont-elles tues, ainsi deviennent-elles muettes… jusqu’au ministère de la Santé, où sûrement elles courent partout dans les couloirs, mais où l’on ne veut pas en entendre parler…

Recueillir, exploiter des données. Construire des plaidoyers, des référentiels.

« Travailler à la reconnaissance de la fatigue en suivant l’exemple de ce qui a été fait concernant la prise en charge de la douleur à la fin des années 1990 est une piste à explorer », soulève Claude Rambaud.

Elle rappelle qu’il a fallu en passer par 2 lois pour que soulager la douleur devienne un droit fondamental et que sa lutte soit une priorité. C’est ainsi que les financements et les moyens dans le champ de la douleur ont été débloqués. Pour cela cependant, il faut des données, l’élaboration de plaidoyers, des parlementaires qui soutiennent le combat, etc. Or c’est justement ce travail qu’ont initié les partenaires de la Biennale et la première partie de l’après-midi du 21 novembre a d’ailleurs été consacrée à la restitution des premières exploitations des résultats de l’enquête « Ma fatigue et moi », et des 200 « lettres à ma fatigue ».

François Faurisson, médecin et ingénieur de recherche INSERM retraité et bénévole à Tous Chercheurs, ouvre le bal pour présenter de nouvelles analyses issues des 5300 réponses l’enquête « Ma fatigue et moi ». Des analyses qu’il a menées avec Bérengère Saliba-Serre, ingénieur d’études et statisticienne à Aix-Marseille Université. Ensemble, ils ont fait un pas de côté par rapport à 2021, où l’enquête a été présentée souvent sous la forme de moyennes, questions par questions. Ils ont choisi une approche basée sur une analyse de « correspondance multiple avec classification hiérarchique ». Quelques mots techniques pour une méthode simple qui s’intéresse à l’idée de classer les personnes par groupes selon qu’elles ont tendance ou non à répondre aux questions de façon identique. On parle alors de proximité des individus et 3 grands groupes pertinents se sont démarquées pour « Ma fatigue et moi » dans leur faculté à communiquer sur leur fatigue. Le premier groupe ose parler et a la sensation d’être entendu et soutenu, le deuxième groupe, plus en souffrance, a du mal à communiquer, se sent peu entendu et peu soutenu. Enfin le troisième groupe rassemble des personnes qui ne ressentent pas le besoin de communiquer autour de leur fatigue, considérant qu’il s’agit d’un sujet intime, personnel. Cette approche par typologie permet d’affiner les résultats bruts. Si un groupe se sent particulièrement discriminé du fait de sa fatigue alors qu’un autre ne ressent que très peu de discrimination, on pourra, par exemple, affiner la façon de travailler sur la lutte contre la discrimination liée à la fatigue.

La parole est ensuite donnée à Valérie Kokoszka, philosophe, titulaire d’un master en management des institutions de soins et de santé, maître de conférences (Centre d’Éthique Médicale, Université Catholique de Lille). Elle aussi a commencé à exploiter des données recueillies par le collectif en 2021, à savoir les 200 « lettres à ma fatigue ». Au-delà de chaque témoignage touchant, interpellant, la philosophe propose une approche phénoménologique, c’est-à-dire de cerner un phénomène à travers le vécu, afin de « donner une texture, une chair à l’expérience ». Il est question pour Valérie Kokoszka de chercher ce qui ressort dans ces nombreuses lettres et de leur donner corps, en observant, par un travail d’immersion, les diverses catégories des expériences vécues, les diverses trames (objective, incarnée, personnelle, sociale, professionnelle, relationnelle, affective, médicale, etc.) et les interactions qui se jouent entre elles. Autant d’informations qui pourront participer à améliorer la reconnaissance et la prise en charge de la fatigue.

Objectiver les fatigues de tous les patients

Reconnaître la fatigue est effectivement la première étape à franchir, alors qu’Isabelle Fornasieri, Vice-Présidente de l’ASFC et modératrice de la grande table ronde de la Biennale, nous rappelle que la littérature et les cliniciens ont plutôt tendance à la définir comme étant inclassable. Est-ce seulement possible d’évaluer un symptôme inclassable comme on le fait, par exemple, pour la douleur ? En effet, sans évaluation, peut-on appréhender, traiter un symptôme ? Selon Claire Tourny, Professeur des universités (Centre d’Études des Transformations des Activités Physiques et Sportives de l’université de Rouen Normandie), tout ce que l’on ressent peut être mesurable et objectivé. Invitée à la grande table ronde de la Biennale, elle évoque ses travaux sur la physiologie de l’exercice et dans la cadre de la fatigue, elle précise qu’il est possible de la mesurer en s’intéressant notamment au niveau du système nerveux autonome et aux variations perçues au niveau cardio-vasculaire. Ainsi, en partant d’échelles de fatigue établies sur la base de l’expression verbale de patients, on parvient, en monitorant ces mêmes patients pendant quelques jours, en même temps qu’ils font un exercice physique spécifique, à établir des relations entre l’expression de leur fatigue et les résultats mesurées par le monitoring. Il est donc possible de mesurer objectivement des états de fatigue et de montrer sur des tracés leur réalité. La difficulté reste que même chez une seule personne, la fatigue peut être ressentie différemment d’un jour à l’autre et qu’entre deux individus aussi, la fatigue prend de nombreuses formes, que cela soit au niveau des ressentis et de son intensité.

Une chose est certaine, et tous les intervenants* de la Biennale s’y sont entendus, le seul moyen de faire avancer la reconnaissance, la recherche, la prise en charge, les traitements, de la fatigue sera de travailler de façon collaborative entre, chercheurs, soignants et patients, quelle que soit leur maladie, quelle que soit l’origine de leur(s) fatigue(s).

*Liste des intervenants lors de la Biennale à Paris, le 21 novembre 2023
Ingrid Banovic,
Professeur des universités, Centre de Recherches sur les Fonctionnements et Dysfonctionnements Psychologiques, université de Rouen‑Normandie
Christian Baudelot, Sociologue, Vice-Président de Renaloo
Anne Buisson
, Directrice de l’AFA Crohn RCH France
François Faurisson, Médecin et Ingénieur de Recherche INSERM retraité, bénévole à Tous Chercheurs
Isabelle Fornasieri, Vice-Présidente de l’ASFC
Mathieu Gruet, Professeur des Universités, Université de Toulon, Faculté des Sciences du Sport, UFR STAPS
Valérie Kokoszka, Philosophe, Titulaire d’un Master en Management des institutions de soins et de santé, Maître de conférences, Centre d’Ethique Médicale, Université Catholique de Lille

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