C’est sous l’impulsion de Thomas Sannié, son ex-président, et avec l’arrivée en tant que bénévole de Geneviève Piétu, que l’Association française des Hémophiles (AFH) a développé l’idée de créer des évènements permettant aux patients et aux chercheurs de se rencontrer.
C’est ainsi que sont mis en place, chaque année, des rencontres « patients-chercheurs » dédiées à la recherche sur les maladies hémorragiques rares, des stages de 3 jours durant lesquels les patients revêtent la blouse pour une initiation dans un laboratoire de recherche de l’INSERM, et également régulièrement des journées consacrées aux avancées de la recherche.
L’intérêt pour la recherche à l’Association française des Hémophiles (AFH)
Le fait que les patients s’intéressent à la recherche n’était pas particulièrement ancré dans « l’ADN » de l’Association française des Hémophiles (AFH). C’est une maladie dont on ne guérit pas mais pour laquelle des traitements existent, même si de nombreux patients souffrent de saignements, surtout internes, parfois très douloureux, qui peuvent entraîner des cas d’arthrose sévère au niveau des articulations et nécessite alors souvent une pose de prothèse (lire notre article sur le quotidien des malades hémophiles).
Thomas Sannié, le précédent président de l’AFH, était cependant désireux de valoriser et soutenir la recherche. Il lui semblait important de faire comprendre aux malades que les traitements pouvaient encore évoluer et être améliorés, notamment grâce à l’émergence de thérapies innovantes.
Geneviève Piétu, ancienne chercheuse de l’INSERM à la retraite, dont un proche souffre d’hémophilie et qui s’était engagée comme bénévole auprès de l’AFH, a donc rappelé ses anciens collaborateurs pour organiser des rencontres avec les patients depuis 2015.
Ces dernières années, de plus en plus de malades sont donc informés et formés sur les enjeux de la recherche et les nouveaux traitements mais il reste encore du chemin à parcourir. Dernièrement, lors d’une journée consacrée aux nouveaux traitements, l’AFH s’est rendu compte que parmi les participants, certains étaient très au fait des avancées quand d’autres n’avaient même pas entendu parler de molécules sorties il y a déjà deux ans.
Les stages de 3 jours « Tous Chercheurs »
Ces stages, financés par l’AFM et l’INSERM, ont lieu en général au Généthon à Evry ou dans un laboratoire de l’INSERM de Marseille. Les chercheurs accueillent tout au long de l’année diverses associations de patients par groupe de 12 personnes. Geneviève Piétu a fait en sorte qu’une fois par an, il soit dédié aux maladies hémorragiques rares en accueillant un groupe de 12 personnes, patients ou proches de l’AFH. Les frais d’hébergement sont également pris en charge.
Le stage commence par un rappel des bases de la biologie, puis les stagiaires pratiquent des expériences à la paillasse, comme le font les chercheurs, avec une blouse, des gants, des pipettes, des tubes à essai, un microscope. Ils apprennent les gestes effectués par les chercheurs au quotidien et cultivent par exemple des bactéries, préparent de l’ADN, marquent des protéines, etc.
Des conférences et des échanges avec les chercheurs sont également organisés durant ces 3 jours.
Les journées « patients-chercheurs »
Les journées patients-chercheurs sont quant à elles entièrement orientées sur la recherche concernant l’hémophilie, la maladie de Willebrand et les maladies plaquettaires. Il s’agit d’une immersion complète d’une journée dans le laboratoire de recherche du Kremlin-Bicêtre, le laboratoire référent de l’INSERM qui travaille sur ces pathologies. Il y a, à chaque fois, entre 20 et 25 participants. Cela commence par une présentation du métier de chercheur, des activités du laboratoire, de son fonctionnement et un échange sur ce que les malades attendent de la recherche. Ensuite les participants assistent à des manipulations de laboratoire menées par les chercheurs comme des tests de coagulation. Les jeunes chercheurs du laboratoire sont tous impliqués et invités à poser leurs questions aux malades. En réalité, comme l’explique Geneviève Piétu, la journée est trop courte et cette année, pour la journée qui aura lieu en septembre, l’AFH essayera d’organiser un diner-débat la veille.
TÉMOIGNAGE D’OLIVIER CHRISTOPHE, DIRECTEUR DE RECHERCHE À L’INSERM
« Je dirige une équipe qui travaille sur plusieurs projets de recherche dans une unité fondatrice de l’INSERM consacrée à l’hémostase. Nous sommes donc particulièrement spécialisés sur la maladie de Willebrand et l’hémophilie.
J’ai finalement attendu 25 ans, donc bien trop longtemps, avant de rencontrer des malades ! Le rapprochement avec l’AFH s’est fait grâce à Geneviève Piétu qui était chercheur à l’INSERM et avait travaillé quelques années dans cette unité consacrée à l’hémostase.
Rencontrer les malades régulièrement change désormais notre façon de travailler.
Au départ, cela m’a semblé compliqué d’échanger avec les malades, car ils connaissaient bien leur maladie par rapport à ce qu’ils ressentaient mais ils ne connaissaient pas l’aspect scientifique des choses. Je me souviens de ma première rencontre avec les malades, au cours de laquelle j’ai demandé aux participants l’idée qu’ils se faisaient du travail d’un chercheur, sans me présenter d’emblée. Je me suis alors aperçu que pour eux, nous étions enfermés dans une tour d’ivoire, et qu’ils croyaient qu’il n’y avait pas spécialement de travaux de recherche en cours sur l’hémophilie, encore moins en France. Cela m’a beaucoup surpris, d’autant que nous sommes plutôt bien placés en France sur la recherche en hémophilie. Nous avons donc commencé par présenter aux malades notre métier, nos activités en général et sur l’hémophilie en particulier, en France et dans le monde. De notre côté, nous avons pu constater à quel point chaque malade présentait un cas unique de la maladie. Nous savions déjà qu’il n’y avait pas une seule sorte d’hémophilie, mais en rencontrant les malades, on en a pris encore plus conscience. Cela a changé notre façon de comprendre la maladie, d’appréhender nos projets et de redéfinir nos axes de recherche. On a notamment réalisé les limites des traitements pour les patients qui, en outre, varient d’un patient à l’autre. On ne peut donc pas imaginer qu’une thérapie unique puisse répondre aux attentes de tous les patients. On peut avoir tendance à imaginer qu’une molécule magique va arriver et résoudre tous les problèmes, mais ce n’est pas si simple. En tant que chercheurs, on ne peut donc pas se limiter à un seul axe de travail et nous devons nous ouvrir sur plusieurs solutions possibles. Les rencontres avec les patients nous ont motivé à étendre nos projets. Nous avons également réalisé qu’en plus de traiter l’hémophilie, il y avait également la douleur à prendre en compte, qui est un aspect important dans la vie des malades hémophiles puisque les saignements internes, dont ils souffrent, peuvent être douloureux et entraîner en outre de graves problèmes d’arthrose au niveau des articulations. Cet aspect nous a donc incité à collaborer davantage avec d’autres disciplines médicales. »
TÉMOIGNAGE DE JM, 51 ANS, PATIENT HÉMOPHILE
« J’ai participé au stage « tous chercheurs » de 3 jours et à la journée de rencontre entre patients et chercheurs organisée par l’Association Française des Hémophiles à laquelle je suis adhérent, puisque je suis moi-même hémophile.
Il se trouve que j’ai une formation scientifique et que j’aurais aimé faire de la recherche bien que j’aie finalement fait carrière dans l’informatique. Comme en ce moment il y a beaucoup d’avancées de la recherche concernant l’hémophilie, grâce notamment aux thérapies géniques, j’ai eu un regain d’intérêt pour la recherche ! La maladie a été assez présente dans ma vie sans trop m’empêcher pourtant de la mener comme je le veux. Dernièrement on m’a posé une prothèse pour un problème d’arthrose et je suis désormais sous prophylaxie, c’est-à-dire que j’ai régulièrement des injections de facteurs de coagulation en intraveineuse pour empêcher les saignements. J’ai cependant bon espoir que les traitements puissent encore s’améliorer et pourquoi pas, grâce à la thérapie génique, de me débarrasser totalement de cette maladie.
Le stage de 3 jours m’a permis de revoir des connaissances acquises durant mes études mais que j’avais peu à peu oubliées. Durant la journée de rencontre avec les chercheurs, j’ai pu découvrir quelle était la réalité de leur travail, comment ils décidaient de leurs axes de recherche, comment ils réorientaient leurs travaux suivant les résultats obtenus. Comprendre leur démarche intellectuelle pour arriver à des idées de traitements m’a beaucoup plu. On cerne aussi mieux également leurs difficultés au niveau des financements ou des tâches administratives. Je pensais qu’il y avait dans les laboratoires de recherche des personnes en charge de l’administratif et que le seul travail des chercheurs était de « chercher », ce qui n’est pas du tout le cas.
J’ai eu le sentiment que les chercheurs aimeraient connaître davantage nos attentes dans les traitements mais qu’à la fois ils étaient un peu enfermés dans leur objectif de découvrir de nouvelles molécules plus efficaces.
En ce moment, une nouvelle thérapie propose non pas de suppléer les malades en facteurs de coagulation manquants mais de créer l’équilibre entre les facteurs de coagulation et les anticoagulants en retirant des anticoagulants de notre organisme. Je comprends que cela puisse fonctionner mais en tant que patient, je me sens mal à l’aise à l’idée que je souffre déjà d’une maladie où il me « manque quelque chose » et que la solution que l’on me propose soit de me retirer encore autre chose. J’ai l’impression qu’au lieu de me rapprocher de la normalité, on m’en éloigne encore davantage. C’est ma vision en tant que malade et je comprends que les chercheurs en aient une autre, mais quelque part, je ne me sens pas entendu dans mes attentes.
Je trouve dommage que les chercheurs ne rencontrent pas davantage les patients et que dans l’ensemble cela ne soit pas leur initiative mais plutôt celles des associations des patients. »
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