Entre pistes d’améliorations et…de restrictions
Tout comme l’enquête Premier Pas, menée par l’IGAS en 2019, le rapport de Claude Evin et Patrick Stefanini sur l’AME, conclue que celle-ci constitue un dispositif sanitaire utile, en termes de santé individuelle et collective, bien maitrisé, et sans relever d’abus ou de fraude caractérisés. Le rapport balaie en outre l’argument selon lequel l’AME constituerait un appel d’air à immigration. Les auteurs alertent sur les difficultés qu’engendrerait sa suppression ou son remplacement par une Aide Médicale d’Urgence (AMU), avec des risques de renoncements aux soins, la difficulté pour les soignants d’être confronté à refuser de soigner des personnes et à évaluer ce qui relèverait du cadre de l’urgence, et la pression que cela porterait sur les établissements de santé déjà en difficulté.
Le rapport relève en outre les difficultés d’accès à l’AME pour les étrangers en situation irrégulière, ainsi que les ruptures de parcours.
Des pistes d’amélioration soutenues par France Assos Santé :
- Réfléchir à l’accès à une couverture santé pour les personnes dont le niveau de ressource dépasse le plafond de l’AME. Parmi ces personnes nombreuses sont celles qui travaillent et cotisent, et qui pour autant ne bénéficient d’aucune couverture, il est donc nécessaire de prévoir un dispositif de prise en charge,
- Porter la durée de validité de l’AME de 1 à 2 ans, ce qui permettra d’éviter les renouvellements annuels et facilitera la continuité de la prise en charge pour les bénéficiaires, et soulagera les Caisses d’assurance maladie,
- Intégrer les bénéficiaires de l’AME aux campagnes de prévention et particulièrement aux dépistages organisés des cancers,
- Instaurer une carte AME dématérialisée,
- Permettre l’accès aux services du numérique en Santé, tel que l’Espace Santé numérique, pour une meilleure coordination et prise en charge des bénéficiaires de l’AME.
Nous nous interrogeons sur d’autres propositions, telle que l’obligation de déclarer un médecin traitant. Si nous sommes favorables à ce que les bénéficiaires de l’AME puissent avoir un médecin traitant, la démographie médicale actuelle, avec plus de 11% des assurés qui n’ont déjà pas de médecins traitants, cette obligation de déclaration nous parait dès lors inadaptée, et en tout état de cause, l’absence de médecin traitant ne devra en aucun cas pénaliser l’accès aux soins de ville.
De même concernant l’instauration d’un bilan de santé à l’entrée sur le territoire, nous émettons une vigilance quant à l’objectif poursuivi. Nous sommes très favorables à la proposition d’un bilan de santé permettant d’orienter les étrangers en situation irrégulière vers une prise en charge adaptée, un accompagnement dans les démarches d’accès aux soins, qui pourrait être bénéfique. Celui-ci pourrait alors être effectué par les Centres d’Examen de Santé de l’Assurance maladie ou des associations qui accompagnent ces populations. Nous sommes en revanche opposés à la proposition selon laquelle cet examen pourrait être effectué par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), qui constitue selon nous un mélange des genres entre politique migratoire et politique de santé. Les rapporteurs soulignent d’ailleurs bien que l’AME est un dispositif de santé et ne relève pas d’une politique d’immigration.
Mais aussi des propositions ou pistes de réflexion qui ne font pas sens et risquent de dégrader l’accès aux soins, auxquelles France Assos Santé s’oppose :
- L’obligation de la présence physique pour chaque démarche, y compris les renouvellements ou retrait de la carte, alors même qu’aujourd’hui où cette présence est obligatoire uniquement pour les premières demandes, elle entraine des difficultés majeures d’accès à l’AME, comme démontré par une étude inter-associative menée au printemps 2023 : limitations du nombre d’agences traitant des demandes d’AME et éloignement géographique ; accessibilité difficile, ; obligation de rendez-vous avec des délais pouvant atteindre plus de 2 mois dans certaines agences ; mauvaises informations et orientations ; entrainant in fine un taux faible de dépôt effectif de la demande ou de la carte. L’exigence de la présence physique pour chaque démarche, alors même que le rapport souligne la complexité et le faible taux de recours à l’AME, nous parait incohérente et viendrait encore compliquer cet accès.
- De même le renforcement des contrôles et justificatifs, alors même que le rapport souligne que l’AME est très contrôlée et qu’il n’y a pas d’abus ni de fraude caractéristique démontrée, nous parait inadaptée, et ne viendra que compliquer encore l’accès à l’AME.
- L’instauration d’un panier de soins, soumis à accord préalable, élargi, et ce sans aucune limitation de durée, qui comprendrait notamment les soins pour les pathologies lourdes et chroniques. Pour rappel, la réforme de 2019 avait déjà instauré un panier de soins, caractérisé comme lié à des pathologies non sévères, soumis à accord préalable pendant les 9 premiers mois. Le rapport propose à la fois de supprimer le délai de 9 mois, et de maintenir l’accord préalable tout au long du droit AME, mais également d’élargir les actes et les soins tenus à cet accord préalable. Ainsi, alors même que le rapport souligne les risques de laisser s’aggraver des situations de santé, il serait proposé de restreindre encore l’accès aux soins, notamment pour des pathologies chroniques, ce qui est en totale contradiction avec les notions de préservation de la santé, et risque d’induire des soins plus couteux à terme. Cela engendrerait par ailleurs pour le service médical de l’Assurance maladie, une surcharge de travail, alors même que celui-ci est déjà sous pression.
- Le partage de fichiers entre la Préfecture et l’Assurance maladie entraine des risques majeurs concernant la protection des données et du secret médical qui ne sont pas acceptables.
- La suppression du droit à la Protection Universelle Maladie pour les demandeurs d’Asile, pour la remplacer par l’AME, sous couvert d’une meilleure continuité des droits en cas d’avis défavorable de la demande. Si une harmonisation des régimes est souhaitée, celle-ci n’a d’intérêt qu’en harmonisant vers le dispositif le plus favorable, et nous demandons donc au contraire l’intégration de l’AME dans le régime de la Protection Universelle Maladie
- L’obligation de réévaluer le droit au séjour dans le cadre des renouvellements AME , qui risque d’ inciter les personnes à ne pas faire la demande de renouvellement par crainte de se voir notifier des mesures d’expulsion. Si le rapport souligne que l’AME ne constitue pas un appel d’air à l’immigration, il pose l’hypothèse qu’elle pourrait néanmoins inciter les étrangers à rester sur le territoire. Or rien n’étaie cette hypothèse, l’enquête Premiers Pas soulignaient que même après 5 années sur le territoire, 35% des personnes éligibles continuaient à ne pas en bénéficier.
- Le conditionnement de la prise en charge des soins chroniques et lourds à l’absence d’accès aux traitements dans le pays d’origine, avec proposition de transfert sanitaire, alors même que les personnes peuvent être installées depuis plusieurs années en France, avec leur famille, et que le risque serait grand de renoncer à se soigner plutôt que d’accepter ce retour.
In fine, sans surprise, le rapport confirme l’importance de l’AME dans le cadre des politiques de santé individuelle et collective, et que celle-ci est bien maitrisée, avec des dépenses cohérentes avec la croissance des bénéficiaires mais des dépenses moyennes stables depuis 15 ans. Les auteurs excluent la transformation de l’AME en AMU en soulignant les effets négatifs pour les bénéficiaires, la population globale ainsi que l’organisation du système de santé. Plusieurs propositions permettant d’améliorer la prise en charge des étrangers en situation irrégulière sont émises, mais parallèlement sont maintenus un dangereux mélange des genres entre santé et politique migratoire ainsi qu’ une complexification des démarches qui risquerait d’aggraver le non-recours à l’AME, et d’alourdir la charge des caisses d’assurance maladie.
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