VIH : les femmes encore trop invisibilisées

Elles représentent 30 % des personnes séropositives en France et plus de la moitié dans le monde, pourtant les femmes restent les grandes oubliées de l’épidémie. Des essais cliniques aux campagnes de santé publique, leur absence est criante.

C’est un fait qui ne manque pas d’interloquer et qu’on croirait presque sorti d’une autre époque : le Sida représente toujours, en 2023, la première cause de mortalité mondiale chez les femmes en âge de procréer. Selon les chiffres d’ONUSIDA – le programme des Nations Unies consacré au VIH – 39 millions de personnes vivaient avec le virus de l’immunodéficience humaine à travers la planète en 2022, dont 53 % de femmes et de filles. Elles ne représentaient que 46 % en 2002 : l’épidémie s’est donc féminisée.

« Où sont les femmes ? »

En France, si leur part est un peu inférieure, elles représentent tout de même chaque année environ un tiers des quelque 5000 découvertes de séropositivité. Malgré leur nombre, elles pâtissent d’un déficit d’image dans la lutte contre le VIH. « Où sont les femmes ? », demandait l’association AIDES l’an dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. « Elles ont été et continuent d’être invisibilisées dans les campagnes de prévention et dans les politiques de santé publique, déplore Camille Spire, la présidente de AIDES. De fait, elles sont les grandes oubliées de la lutte contre le Sida, un fait en partie lié à la représentation encore caricaturale de la maladie dans l’imaginaire collectif, héritée des débuts de l’épidémie dans les pays occidentaux où le virus concernait surtout les hommes gays. » Cette invisibilisation est d’autant plus injuste que les femmes sont physiologiquement plus à risque d’être contaminées que les hommes. D’abord car les muqueuses vaginales sont très vascularisées et, par conséquent, sensibles à la contamination. Ensuite, car la concentration virale dans le sperme est plus importante que dans les sécrétions vaginale et parce que le sperme peut stagner plusieurs heures dans l’appareil génital féminin après un rapport sexuel. Enfin, car les risques sont encore majorés par les lésions anatomiques résultant de violences, un phénomène auquel ont été confrontées de nombreuses femmes séropositives au cours de leur vie, ou consécutives à la diminution de la lubrification et à l’amincissement de la paroi vaginale consécutives à la ménopause.

Un point commun : la précarité

« Parmi les femmes les plus frappées par l’épidémie en France, on retrouve essentiellement des migrantes, des travailleuses du sexe, des consommatrices de produits psychoactifs et des femmes trans, observe Camille Spire. Toutes partagent un point commun : la précarité. »

Ce qui est valable pour toutes les pathologies l’est encore davantage pour le VIH : la précarité fait le lit des épidémies. Les femmes issues de l’immigration payent un tribu particulièrement lourd : selon les chiffres de Santé Publique France, plus de trois femmes sur quatre nouvellement diagnostiquées sont nées à l’étranger, majoritairement en Afrique sub-saharienne. « Ce sont les plus touchées car la prévalence du VIH dans leurs pays d’origine est souvent très élevée, note le Dr Karen Champenois, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Surtout, ce qu’elles ont vécu lors de la migration et leurs conditions de vie une fois arrivées en France les placent dans une grande précarité sociale, donc augmente fortement les risques de contamination. » Selon l’étude ANRS Parcours, publiée en 2017 dans la prestigieuse revue The Lancet, une grande part de ces femmes ont été confrontées à des violences sexuelles lors de leur parcours de migration. « C’est le cas de 26 % d’entre-elles au cours de leur première année de présence en France et de 75 % avant leur arrivée, rapporte Camille Spire. Ces rapports forcés multiplient par quatre le risque de contracter le VIH. »

A la précarité qui caractérise une majorité des femmes vivant avec le VIH s’ajoutent des difficultés dans la prise en charge médicale. D’abord parce que les traitements sont conçus sans les prendre en considération. Dans les essais cliniques pour la mise au point de nouveaux médicaments, elles ne représentent ainsi que 15 à 20 % des personnes incluses dans les cohortes. Résultat, « comme les spécificités de genre ne sont pas prises en compte, les traitements sont moins testés chez les femmes et induisent davantage d’effets indésirables, regrette la président d’AIDES. Il est toujours possible de redoser ou de changer de ligne de médicament, mais en règle générale les femmes subissent plus de conséquences délétères des traitements que les hommes. Il serait évidemment souhaitable que chaque molécule soit testée chez les deux sexes afin de vérifier si des adaptations sont nécessaires. Mais cela réclamerait plus de moyens et rallongerait les essais cliniques. » Des contraintes qu’on retrouve dans les essais cliniques pour la plupart des pathologies ; de fait, la sous-représentation féminine est commune aux travaux du monde du médicament dans son ensemble.

Une moins bonne observance

Être une femme augmente donc le risque de subir des effets indésirables, mais n’altère toutefois pas l’efficience des molécules. Du moins, en théorie. « La plupart des études qui s’intéressent aux différences de genre montrent qu’elles n’influent pas sur l’efficacité des médicaments pour atteindre une charge virale indétectable, note Karen Champenois. Mais dans la réalité, l’isolement, la précarité sociale, les conditions de vie compliquées, parfois l’impossibilité de partager son statut sérologique par peur du rejet, voire l’obligation de se soigner en secret, concourent à une moins bonne observance, donc à une santé de moindre qualité. Tous ces éléments peuvent donner l’impression que les traitements sont moins efficaces chez les femmes que les chez hommes. » D’autant que s’ajoute à cette situation des rapports soignants-soignées souvent emprunts de préjugés.

« On retrouve des rapports de pouvoirs dans la mise sous traitement, explique Julia Charbonnier, la directrice d’Actions Traitements. Il existe une minorisation du savoir des femmes – surtout de celles qui sont racisées – par les professionnels de santé, qui s’appuie sur des clichés. Certains soignants considèrent a priori ces femmes comme incapables de recevoir tel ou tel traitement et ne leur proposent même pas. »

L’invisibilisation des femmes se retrouve dans les chiffres d’utilisation de la PrEP – ou prophylaxie préexposition – un traitement préventif qui rend le risque de contamination infime. Le constat est éloquent : sur cent utilisateurs, trois seulement sont des femmes. La sous-représentation féminine n’est pas surprenante puisque cet outil a d’abord été pensé pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. « Mais seulement 3%, c’est vraiment très peu, souligne Karen Champenois. En pratique, il est compliqué de faire entrer dans le dispositif PrEP les femmes qui en auraient besoin et de les y garder car la gestion du traitement pose des difficultés, la perception du risque n’est pas toujours bien définie et parce que nombre de femmes concernées changent souvent de lieu de vie, ce qui rend le suivi plus aléatoire. » A cela s’ajoute l’absence criante de campagne orchestrée par les pouvoirs publics sur le sujet, comme si la question de la PrEP ne concernait pas les femmes. « C’est ce quelles nous disent sur le terrain, rapporte Camille Spire. Elles ne se reconnaissent pas dans cet outil de prévention qui souffre parfois d’une image réductrice, comme s’il était réservé aux personnes qui multiplient les partenaires sexuels. « Ce n’est pas pour moi », répètent fréquemment les femmes auxquelles nous présentons la PrEP. De plus, le médicament à prendre quotidiennement peut constituer un frein, surtout quand la séropositivité doit être cachée. Une partie du public féminin préfère attendre que cette prophylaxie soit disponible sous forme injectable pour y recourir. Mais quelle que soit la forme qu’il prend, ce traitement garantit l’indépendance vis-à-vis du partenaire, il permet de prendre en main sa propre prévention et devrait, à ce titre, être soutenu par les pouvoirs publics. Or, il ne l’est absolument pas. »

D’une façon plus large, les autorités ont certainement des lacunes à combler en matière d’accompagnement et de prévention à destination des femmes.

« Il faut des campagnes de santé publique adaptées pour déconstruire cette vieille image de maladie de gays et de drogués, réclame par exemple Julia Charbonnier. Les femmes ont besoin d’outils qui leur parlent et qui savent prendre en compte leurs besoins : affiches, spots publicitaires, distribution de flyers, développement de centres de santé communautaires, etc. Il est notamment sidérant qu’il n’existe pas, en dehors du Planning familial, de centre de santé sexuelle pour les femmes. »

Fin de l’AME et du droit au séjour pour soin : l’inquiétude des associations

L’aide médicale d’urgence va-t-elle être supprimée ? C’est en tout cas le souhait de la majorité des sénateurs qui ont adopté, début novembre, un article du projet de loi relative à l’immigration allant dans ce sens. Mise en place en 2000, l’AME garantit une prise en charge médicale aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois. « Enormément de femmes profitent de ce dispositif, indique Julia Charbonnier. Elles sont même de plus en plus nombreuses. Si ce dispositif prenait fin, le nombre de dépistages s’effondrerait et des ruptures de soins très importantes se multiplieraient. » Même inquiétude chez AIDES :

« Supprimer l’AME briserait toute la stratégie de rupture de la chaîne de contamination qui permet de contrôler l’épidémie, analyse Camille Spire. En éloignant du soin des personnes porteuses du VIH, le principal risque est de voir l’épidémie flamber en France, et pas uniquement auprès des populations marginalisées. En outre, la mesure finira par coûter plus cher que les économies qu’elle cherche à faire : les personnes malades seront de toute façon soignées, mais à un stade avancé de la pathologie, donc avec des dépenses de santé bien supérieures. »

La grossesse banalisée, l’allaitement pas encore

La maîtrise des antirétroviraux permet aujourd’hui aux femmes séropositives de concevoir naturellement un enfant et de le porter sans crainte qu’il soit lui-même contaminé. Chaque année, environ 1500 femmes vivant avec le VIH deviennent ainsi mères en France. « Avec le dépistage systématique en début de grossesse, le risque est minime, commente Julia Charbonnier. Les cas de transmission materno-fœtale sont donc devenus exceptionnels. La question de l’allaitement pose en revanche plus de difficultés. » En effet, les recommandations officielles font de la séropositivité une contrindication à l’allaitement. La situation pourrait toutefois évoluer prochainement, à l’image du virage opéré par les autorités sanitaires américaines début 2023. Les nouvelles recommandations y prévoient que « les personnes séropositives qui suivent un traitement avec une charge virale indétectable maintenue et qui choisissent d’allaiter doivent être soutenues dans cette décision. » C’est précisément ce qu’un collectif associatif – composé notamment de AIDES, Actions Traitements, Sidaction et le Planning familial – a réclamé dans une tribune publiée en avril dernier. « Les recommandations actuelles doivent évoluer, reprend Julia Charbonnier. La représentation culturelle de l’allaitement, notamment chez les femmes migrantes, poussent certaines à allaiter en cachette alors que leur charge virale n’est pas indétectable. Il est indispensable de leur proposer un accompagnement dans un cadre de décision partagée plutôt que de leur opposer un refus de principe. » C’est ce vers quoi pourraient pencher les recommandations qui sont en cours de révision par le groupe d’experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH.

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