Les premiers Etats généraux de l’obésité se tiennent ce lundi 3 mars au ministère de la Santé. Alors que le nombre de Français concernés ne cesse d’augmenter, les enjeux sont nombreux : la lutte contre les discriminations, la reconnaissance de l’obésité comme maladie chronique, voire l’obtention de la Grande cause nationale.
C’est une première dans l’Hexagone et il y a urgence. A l’appel du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), qui défend depuis plus de vingt ans les personnes souffrant d’obésité, et sous le haut patronage de l’Elysée, les premiers Etats généraux de l’obésité se dérouleront ce lundi 3 mars. Experts, patients, professionnels de santé, décideurs politiques, seront réunis au ministère de la Santé pour débattre des enjeux de l’obésité en France. Avec quels objectifs ? Obtenir la reconnaissance de l’obésité comme maladie chronique, la création d’un plan interministériel sur 10 ans renouvelable (à l’image des plans de lutte contre le cancer) et l’obtention de la Grande cause nationale 2026.
Anne-Sophie Joly, présidente du CNAO, en explique les enjeux : « Cette reconnaissance changerait tout ! On formerait correctement les professionnels de santé et paramédicaux sur cette pathologie, notamment sur les nombreuses comorbidités spécifiques chez les personnes en situation d’obésité (diabète, apnée du sommeil, arthrose etc…). On améliorerait enfin la prise en charge de l’obésité. Et la société reconnaîtrait que ce sont des personnes malades qui n’ont pas choisi d’être obèses ! Aujourd’hui, notre société est grossophobe, les discriminations sont trop nombreuses ».
« Le poids sur la balance et celui du regard des autres »
A l’occasion de cette journée, le CNAO va publier les résultats d’une étude portant sur les discriminations envers les personnes souffrant d’obésité. Un seul chiffre, communiqué à France Asso Santé en avant-première, qui en dit long : « Au moins 55% des médecins sont discriminants envers les patients obèses. Cela va de la petite phrase désagréable sur le poids à l’absence de matériel d’examen adapté (ex : brassard trop petit pour prendre la tension), au refus d’examen gynécologique pour les femmes obèses ou encore au refus de soins par les dentistes. Il y a encore trop de médecins ou paramédicaux qui se permettent de dire à des patients obèses qu’ils vont casser leur table d’examen s’ils montent dessus. C’est inacceptable ! », rapporte Anne-Sophie Joly. Ce chiffre ne surprend pas Camille, infirmière âgée de 34 ans, souffrant d’obésité. « J’ai eu trois enfants en cinq ans. Mes suivis de grossesse et accouchements ont été les moments les plus compliqués de mon parcours de soin. Je me souviens par exemple d’un échographiste qui appuyait fort sur mon ventre en me disant qu’on ne pouvait pas voir le fœtus à cause de la graisse. Quand on est obèse, il y a le poids sur la balance et le poids du regard des autres, déplore la jeune femme. Le corps médical doit être formé à accueillir tous les patients, quel que soit leur poids. »
Ces stigmatisations et discriminations ne sont pas l’apanage des professionnels de santé, tempère le Dr Antoine Epin, médecin généraliste et nutritionniste spécialisé dans l’accompagnement des personnes vivant avec une obésité, qui a rédigé sa thèse sur le sujet. « Toutes les catégories socio-professionnelles ont les mêmes préjugés et discriminations envers les personnes obèses, les professionnels de santé pas plus que les autres. Le problème, c’est lorsque cela se traduit par une carence dans la prise en charge ou un refus de soins. Par exemple, le fait de demander à une personne obèse de perdre du poids avant une grossesse ou une chirurgie orthopédique : ces discours sont toujours présents, même si un peu moins implantés qu’avant », observe-t-il. Dans le monde du travail aussi, les stigmatisations ont la vie dure. « Il est déjà très difficile de décrocher un poste quand on est en situation d’obésité. Quand vous y parvenez, on continue à vous traiter différemment des autres salariés et à vous faire sentir que vous pouvez vous estimer heureux ! », témoigne Anne-Sophie Joly.
L’urgence d’une reconnaissance comme maladie chronique
L’OMS a reconnu l’obésité comme affection longue durée (ALD) en 1997 et certains pays européens ont suivi, à l’instar du Portugal en 2004 et de l’Italie en 2019. Mais en France, à ce jour, l’obésité ne fait pas partie des pathologies figurant sur la liste des ALD, dont les frais sont remboursés à 100 % par la Sécurité sociale. La reconnaissance de l’obésité permettrait pourtant une meilleure prise en charge et améliorerait le remboursement des soins. « Aujourd’hui, l’accès aux soins est trop complexe pour les personnes en situation d’obésité, qui sont aussi souvent des personnes en situation de précarité, juge le Dr Epin. La prise en charge de l’obésité nécessite un parcours pluriprofessionnel (qui a été formalisé par la HAS, en février 2024) avec des rendez-vous médicaux, mais aussi une prise en charge diététique, psychologique et un suivi en activité sportive adaptée (APA). Or, ces prises en charge ne sont pas financées par l’Assurance maladie. » Au-delà du financement Sécu, les mutuelles ne remboursent pas toujours les consultations préconisées – ou pas à la hauteur des frais engagés chaque année. Conséquence : le renoncement aux soins et les restes à charge sont problématiques. « Les atteintes liées à l’obésité sont nombreuses. L’intégralité du corps et de ses fonctions sont impactés. Les consultations de psychologue notamment sont indispensables pour les personnes atteintes d’un trouble du comportement alimentaire », pointe le Dr Epin.
Camille a été confrontée à ces carences de prise en charge et restes à charge : « Je suis montée jusqu’à 108 kilos pour 1,70m, mais pour le corps médical, ce n’est pas grave tant que vous n’avez pas de comorbidité et il faut se débrouiller pour trouver de l’aide. J’ai consulté plusieurs nutritionnistes et un hypnothérapeute, tout cela en payant de ma poche. Aujourd’hui, je teste le Mounjaro, un des médicaments qui vient d’arriver sur le marché français. Avec mon mari, nous avons décidé de mettre de l’argent de côté pour financer le traitement mais c’est une sacrée somme. Heureusement, je suis désormais suivie par un spécialiste qui me demande enfin comment je vais et me consacre du temps ».
Lacunes des soignants et traitements miracles
Dans ce contexte, la porte est grande ouverte aux traitements miracles, ce qui engendre des surcoûts non négligeables pour les personnes concernées, sans résultat. « Le fait que le parcours de soins tel qu’il est défini par la HAS ne soit pas applicable en vie réelle ouvre entraîne un recours à des soins inefficaces, à connotation magique, comme des régimes, crèmes de massages ou autres thérapies révolutionnaires », souligne le Dr Antoine Epin. D’où l’urgence à rendre ce parcours de soins applicable. Par ailleurs, la question de la formation des professionnels de santé sur cette pathologie multifactorielle est également cruciale et sera abordée lors de ces Etats généraux. « Il reste aujourd’hui de nombreuses inconnues sur l’obésité, ses nombreux déterminants et ses nombreuses formes. Ce n’est pas en quelques heures que l’on peut appréhender cette pathologie. Il faut du temps de formation puis du temps pour la prise en charge au quotidien : un bilan obésité prend entre 3 et 5 heures, précise le Dr Epin. La mise en confiance aussi prend du temps : 70% des patients ne sont pas à l’aise pour parler avec leur médecin de leur rapport à la nourriture, car c’est en fait une question très intime. » Pour le CNAO, ces Etats généraux doivent être « une machine de guerre », selon les termes de Anne-Sophie Joly, pour ouvrir un grand débat sur toutes ces questions.
L’obésité en chiffres
17 % des adultes sont obèses en France (IMC supérieur à 30), soit plus de 8,5 millions de personnes, d’après une étude menée par l’Inserm en collaboration avec la Ligue contre l’obésité et publiée en 2023.
Avec le surpoids (IMC supérieur à 25), ce sont au total 47 % des Français concernés par un excès de poids ! Les chiffres chez les jeunes sont particulièrement alarmants : depuis 1997, l’obésité a été multipliée par 4 chez les 18-24 ans.
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