Obésité : les « coupe-faim » miracle ne résoudront pas le problème

L’arrivée sur le marché français de médicaments très attendus pour perdre du poids ne doit pas faire oublier l’immense défi de la prévention et de la prise en charge. Et en particulier la lutte qui reste à mener contre la malbouffe.

Une injection dans le ventre chaque semaine pour espérer perdre 15 % de son poids au bout d’un an de traitement : c’est la promesse du Wegovy, le traitement anti-obésité vedette du laboratoire Novo Nordisk, commercialisé en France depuis début octobre 2024. Bientôt, ce sera au tour du Mounjaro, du concurrent Eli Lilly, d’arriver dans nos pharmacies. Et il faut s’en réjouir, car cette révolution thérapeutique est un progrès majeur pour les patients souffrant d’obésité massive.

Le stylo injecteur Wegovy libère en effet une molécule, le semaglutide, qui ralentit la vidange gastrique et envoie au cerveau un message de satiété. Le résultat est qu’on mange moins. C’est le même principe actif que l’Ozempic, déjà distribué par le même laboratoire pour les patients diabétiques, mais à un dosage plus élevé.

Pour éviter que son usage ne soit détourné pour réussir à entrer dans une robe, par exemple, comme on a pu le voir aux Etats-Unis avec l’Ozempic, vanté par des instagrameuses cherchant à perdre du poids, le Wegovy  sera très encadré en France : il ne pourra être prescrit qu’aux patients souffrant d’obésité sévère avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35, ce qui peut concerner jusqu’à 5 % de la population, et l’ordonnance devra être rédigée par un médecin spécialisé en endocrinologie-diabétologie-nutrition.

A ce jour, le Wegovy n’est pas encore remboursé, et son prix tourne autour de 300 euros par mois. Ce coût, loin d’être anodin – et potentiellement prohibitif pour certains patients –, n’interdit pas l’enthousiasme des professionnels : « Ce médicament est une chance, il peut permettre d’améliorer la santé d’obèses sévères qui non seulement perdront du poids mais verront aussi d’autres bénéfices, notamment une diminution significative du risque cardiovasculaire », se réjouit Martine Laville, professeur de nutrition aux Hospices Civil de Lyon. Dix-huit maladies, comme le diabète ou l’hypertension artérielle, sont en effet associées à l’obésité.

Au moins 17 % d’obèses

Espoir réel pour les patients et manne financière pour les laboratoires pharmaceutiques qui la produisent, cette nouvelle arme ne doit pas pour autant occulter les besoins criants de prévention, d’information et de prise en charge de l’obésité en France. « On ne peut pas continuer à enregistrer autant de cas d’obésité et considérer qu’on n’a rien à faire car une molécule arrive et suffirait à régler la question, s’exclame Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO). On doit impérativement travailler sur les causes qui favorisent le nombre toujours croissant de Français obèses ou en surpoids. »

Entre 1997 et aujourd’hui, la prévalence de l’obésité a doublé, passant de 8,5 % à 17 % de la population française, notait le Pr Laville, en mars 2023, dans son rapport Mieux prévenir et prendre en charge lobésité en France, qui pointait avec inquiétude le cas spécifique des Outre-mer, où le nombre de personnes obèses dépasse les 22 % de la population.

Au-delà de l’évolution du phénomène, le rapport insiste aussi sur le coût du surpoids et de l’obésité, en France, évalué autour de 10 milliards d’euros. « Investir dans la prévention, avec un meilleur repérage des situations à risque mais aussi la promotion de l’activité physique et d’une alimentation plus saine, c’est améliorer la santé de la population, et donc à terme, réaliser de substantielles économies », observe-t-elle aujourd’hui, en déplorant que la « valse des ministres », ces derniers mois, n’ait pas favorisé la mise en lumière de son rapport.

« Le problème de l’obésité n’est toujours pas une priorité en France », regrette Anne-Sophie Joly, tout en saluant quelques initiatives menées depuis vingt ans, notamment le plan présidentiel obésité 2010-2013, ou encore la feuille de route obésité en 2019. « On reste toutefois très loin du compte, déplore-t-elle. Il faut un plan obésité interministériel sur dix ans, sur le modèle du plan cancer ! L’obésité n’est toujours pas reconnue comme une maladie chronique, ce qui faciliterait pourtant le regard qu’on porte sur les personnes en situation d’obésité, ainsi qu’une meilleure prise en charge, sécurisée et adaptée, par des équipes pluridisciplinaires. On manque aussi de médecins formés sur la question, ce qui génère encore des problèmes de stigmatisation, ce que j’appelle de la grossophobie, en consultation. Par ailleurs, notre environnement général reste aujourd’hui grandement obésogène. »

Une allusion directe au marketing très agressif de l’industrie agroalimentaire. « Tout est fait pour mettre en avant la malbouffe : la promotion, avec des pubs qui donnent envie et des lots de trois paquets de chips vendus pour le prix d’un, mais aussi le rayonnage, avec des sucreries installées en évidence près des caisses et sur des stands bien visibles. C’est du matraquage organisé », relève Stéphanie Pierre, chargée de mission alimentation à France Assos Santé.

Encore trop de sucreries en tête de gondole

Dans une enquête publiée en septembre 2024, l’UFC-Que choisir révélait en effet avoir observé la présence de confiseries au niveau des caisses dans 86 % des magasins de grande distribution visités, une pratique en « contradiction totale, souligne l’association, avec lengagement de retirer les sucreries, que la ministre de la Santé avait demandé en 2008 ». L’association de consommateurs CLCV a également constaté que trop de produits gras, salés et sucrés sont encore largement mis en avant dans les catalogues promotionnels de la grande distribution.

A l’origine d’une étude sur le coût social et environnemental de l’alimentation des Français, la Fédération Française des Diabétiques et trois autres associations ont, quant à elles, réclamé il y a quelques semaines une meilleure régulation de la publicité sur l’alimentation, en particulier à destination des enfants, et demandent à ce que soit rendu obligatoire l’affichage du Nutri-Score. Ce logo, facile à comprendre grâce à un code couleur allant du vert au rouge et une échelle allant de A à E, permet de comprendre en un regard la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire.

« On lutte aussi dans ce combat contre des inégalités sociales, ajoute Stéphanie Pierre, car cela coûte souvent moins cher de mal manger, d’ailleurs l’obésité est bien plus élevée dans les foyers les plus modestes. » Pour faire avancer ce chantier, France Assos Santé travaille, au sein d’un groupe interassociatif, à des recommandations à porter dans le cadre du prochain Plan National Nutrition Santé (PNNS 5), qui vise à améliorer l’état de santé de la population en agissant sur l’alimentation, l’activité physique et la sédentarité.

Parmi les pistes de réflexion, l’idée d’une taxe sur les produits transformés et sucrés « à l’image de la taxe soda instaurée en 2012 : ça ne coûte rien et ça marche », illustre Stéphanie Pierre, qui précise que les Français sont « en demande d’actions volontaristes de la part des pouvoirs publics dans ce domaine » – d’abord favorable à l’instauration d’une nouvelle taxe sur les sucres ajoutés dans les produits transformés, le gouvernement a finalement fait marche arrière lors de l’examen du PLFSS 2025, votée le 5 novembre. D’après l’enquête exclusive de France Assos Santé, menée en partenariat avec Harris Interactive en février 2024, ils seraient en effet ouverts à une taxation des produits trop sucrés et favorables, tant à l’obligation du Nutri-Score qu’à l’interdiction, dans les médias, des publicités pour la malbouffe visant spécifiquement les enfants.

La fédération participe d’ailleurs aux travaux menés par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), pour avancer sur ce point précis de la publicité dans les médias et sur les réseaux sociaux. En la matière, le Royaume-Uni pourrait bien faire figure d’exemple à suivre : le gouvernement de Keir Starmer a en effet décidé d’interdire la promotion de chips, boissons et autres produits gras, en ligne et avant 21 heures à la télévision, à compter d’octobre 2025.

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