Ce mois de novembre est, comme chaque année pour la 8ème édition, celui du défi collectif du mois sans tabac. Nous souhaitons d’ailleurs beaucoup de bonne volonté à tous ceux qui se sont lancés dans ce challenge…
L’occasion de rappeler que le tabac est responsable chaque année de 75 000 décès en France, dont 45 000 attribuables à des cancers (chiffres Santé publique France). Quand on pense à la corrélation entre tabac et cancer, on évoque principalement le cancer du poumon, ou encore celui des voies aéro-digestives supérieures, comme la bouche ou la gorge. Mais en réalité, le tabac provoque une intoxication complète de tout le corps, et ce faisant, il est en réalité un facteur de risques impliqué dans 17 cancers différents. Certains semblent moins liés à la cigarette, comme celui de la vessie, du sein, du col de l’utérus ou certaines leucémies : pourtant, son impact est bien réel. Faisons le point avec Catherine Simonin, patiente-ressource et tabacologue bénévole à la Ligue contre le cancer.
66 Millions d’Impatients : Comment le cancer peut-il provoquer autant de types de cancers différents ?
Catherine Simonin : Fumer expose à pas moins de 7000 substances toxiques, comme le benzène, l’arsenic, des goudrons, etc. La fumée passe par la bouche, les voix nasales, le pharynx, la trachée, les poumons, l’œsophage et de nombreuses substances toxiques pénètrent jusque dans le sang, se diffusant ainsi partout dans le corps.
Par ailleurs, le tabac entraine une intoxication de tout le corps à l’oxyde de carbone, qui empêche une bonne distribution de l’oxygène dans les cellules. Les produits toxiques absorbés induisent des mutations cellulaires jusqu’à provoquer ces divers cancers.
Nous sommes également en mesure désormais de savoir à quel point le tabac est responsable de certains cancers en particulier. Ainsi sait-on que fumer est, de très loin, le principal facteur de risque dans le cancer du poumon, car les fumeurs qui en souffrent présentent des différenciations cellulaires au niveau de leurs cellules cancéreuses par rapport aux personnes malades non-fumeurs.
Le tabac n’est cependant pas la seule cause évitable lorsqu’un cancer se développe. La survenue d’un cancer est liée à divers autres facteurs de risques, le tabac étant le principal, suivi par l’alcool, la sédentarité, l’alimentation, et assez loin derrière l’environnement par exemple (sauf si l’on est particulièrement exposé à un produit toxique, comme dans certaines professions). Cumuler ces facteurs augmente bien entendu les risques de développer un cancer et ajoutons que fumer une seule cigarette par jour peut induire des problèmes cardiovasculaires graves.
66 Millions d’Impatients : Préserver les enfants et les jeunes du tabac est un des grands combats de la Ligue contre le cancer ?
Catherine Simonin : Tout à fait ! Le Président de la République avait annoncé en 2021, à la sortie de la dernière stratégie décennale de lutte contre le cancer, qu’en 2032, nous aurons une génération sans tabac, soit moins de 5% de fumeurs pour la génération née en 2014. Il faudrait absolument mettre en œuvre tous les moyens possibles pour y parvenir.
Il serait déjà important de bien réaliser que la principale source de pollution de l’air chez les enfants est le tabagisme passif de leur entourage. Une information qui semble tomber sous le sens, puisque le Baromètre Cancer 2021 indique que plus de 90% des personnes pensent que même sans être fumeur, être exposé à la fumée des autres peut provoquer un cancer. Il n’en demeure pas moins, selon le Ministère de la Santé, qu’un million de Français sont exposés au tabagisme passif et qu’il cause 3000 à 5000 morts par an.
Par ailleurs, pour les enfants particulièrement fragiles puisque leur organisme n’est pas mature, il ne s’agit pas seulement de les préserver de la fumée de cigarette. En effet, les substances nocives qu’elle contient se déposent sur les meubles, les sols, les textiles. Or nous savons que les tout-petits évoluent beaucoup à même le sol et que ces substances dangereuses peuvent être absorbées par simple contact. Il est donc important de ne pas du tout fumer dans les pièces où vivent des enfants et d’avoir en tête que même en extérieur, le tabagisme passif existe. Dans tous les cas, fumer devant un enfant ou un jeune normalise le tabac et atténue la perception de ses effets néfastes. Il est d’ailleurs prouvé que les enfants de fumeurs présentent plus de risques de fumer à leur tour. C’est pourquoi La Ligue se bat pour promouvoir la création d’ « Espaces sans tabac », notamment aux alentours des écoles et des parcs, afin que les enfants ne voient ni leurs parents, ni leurs enseignants, souvent perçus comme des modèles, en train de fumer. Il est essentiel de dénormaliser le tabac. Il est également important de faire enfin strictement respecter l’interdiction de vente de tabac aux mineurs.
66 Millions d’Impatients : Il est aussi essentiel de pouvoir compter sur les professionnels de santé pour faire de la prévention anti-tabac ?
Catherine Simonin : Effectivement, il y a aussi une marge de progression de ce côté-là. Le Baromètre Cancer 2021 révèle que plus des trois quarts des fumeurs interrogés déclarent que le sujet du tabac n’a pas été abordé avec un professionnel de santé au cours des 12 derniers mois. Or une étude citée dans le baromètre précise pourtant qu’ : « un conseil d’arrêt du tabac par un professionnel de santé augmente les taux d’arrêt du tabac à 6 mois de l’ordre de 70 %. ». Les médecins généralistes sont en première ligne pour participer à la prévention contre le tabagisme. Ils doivent noter dans les dossiers de leurs patients, s’ils sont fumeurs, depuis quand, à quelles fréquence et quantité ils fument. Notons que près de 60% des fumeurs souhaitent arrêter de fumer et rappelons également que les consultations de tabacologie avec un professionnel de santé diplômé sont remboursées.
Les médecins généralistes peuvent orienter leurs patients vers des tabacologues. Il existe également des prises en charge possibles dans certains centres hospitaliers qui traitent les addictions ou dans plusieurs associations, comme à la Ligue contre le cancer par exemple. Il n’est jamais trop tard pour arrêter de fumer et le risque de cancer diminue même si on arrête tard, après de nombreuses années de tabagisme. Il y a toujours un bénéfice à arrêter.
66 Millions d’Impatients : Est-il indispensable de se faire aider pour arrêter de fumer ? Cela générera-t-il forcément un stress ?
Catherine Simonin : Il n’est effectivement pas facile d’arrêter de fumer et pouvoir se faire accompagner est une aide précieuse. Souvent les tabacologues sont également formés à des techniques cognitivo-comportementales adaptées au sevrage tabagique, comme la méditation de pleine conscience ou l’hypnose par exemple.
Nous savons que la nicotine est plus addictive que l’héroïne. Elle monte au cerveau en 7 secondes. Le sevrage est donc souvent une période perturbante. Cependant c’est une fausse croyance de penser que fumer réduit le stress car plus on fume, et plus la dose nécessaire à faire baisser le stress augmente. Or ce cercle vicieux de dépendance devient précisément une source de stress et de mal-être général.
J’ajouterais que l’enquête que j’ai menée pour mon mémoire de tabacologie montre que les personnes malades du cancer, hormis dans les cas de cancers du poumon et des voies aéro-digestives supérieures, sont peu orientées vers un sevrage tabagique. Les médecins ont tendance à penser que cela représenterait pour eux une préoccupation supplémentaire dans une période déjà très pénible. Leur prise en soin pour un sevrage est donc moins bien organisée alors qu’il est par exemple avéré que fumer lorsque l’on est traité par radiothérapie pour un cancer du sein augmente le risque de développer par la suite un cancer du poumon.
Laisser un commentaire public