Les Cafés mortels : des lieux conviviaux pour sortir du tabou de la mort

Créé par le sociologue et ethnologue suisse Bernard Crettaz, le concept du « Café mortel » prend de l’ampleur en France et invite les citoyens à « sortir la mort du silence ». Tel est d’ailleurs le sous-titre du livre « Cafés mortels » de Bernard Crettaz, écrit, après avoir organisé 40 Cafés mortels et réuni ainsi environ 3000 participants, lors de rencontres qu’il voulait conviviales, dans des bistrots, pour parler de la mort sous tous ses aspects.

66 Millions d’Impatients a ainsi échangé avec 2 groupes organisateurs de Cafés mortels, situés, l’un à Rennes et l’autre sur l’île de Groix, et qui ont choisi de s’inspirer du modèle de Bernard Crettaz pour faire tomber les hauts murs, derrière lesquels la mort est trop souvent cachée dans nos sociétés modernes.

La mort, on en parle ou pas ?

Selon Christian Guyomar, co-fondateur des Cafés mortels de l’île de Groix où il est né, bien souvent, les habitants d’une île ne se connaissent pas bien, d’autant que, depuis une trentaine d’années, la sociologie du littoral français a beaucoup changé. Au travers des Cafés mortels, les bénévoles organisateurs voient bien à quel point les gens ont besoin de soutien lorsqu’ils vivent une période difficile, comme un deuil. Christian Guyomar développe : « Le premier Café mortel de Groix a eu lieu dans un bar-tabac de l’île, et cela a suscité des critiques, nous reprochant de vouloir davantage parler de la mort que de la vie… À ceci près que la mort fait partie de la vie ! L’île de Groix, malgré sa situation isolée, suit les tendances de la société, or de nos jours, dans nos cultures, on nous cache la mort. On meurt de plus en plus souvent seul, dans l’enceinte fermé de l’hôpital. On oublie et on nous fait oublier que l’on va mourir. Cela dit, après ce premier Café mortel, plus personne n’a critiqué notre démarche. Au contraire, le bouche à oreille s’est mis en place, la dynamique a pris rapidement et désormais 6 ou 7 bars et bistrots nous accueillent tour à tour, avec plaisir, sur l’île. ».

A Rennes, l’équipe de la Coopérative funéraire de Rennes qui a également lancé des Cafés mortels fait le même constat. A l’image de l’accueil, emprunté, gêné que l’on fait habituellement aux familles endeuillées dans les entreprises de pompes funèbres classiques et contre lequel la Coopérative prend le contre-pied, le sujet de la mort est devenu un tabou tenace. Leur intention déclarée est de remettre le sujet de la mort au cœur même de la cité.

Un moment de convivialité sans projet thérapeutique

Dans la lignée des Cafés mortels initiés par Bernard Crettaz, à Groix, comme à Rennes, les rendez-vous sont ouverts à tous, gratuits et ont toujours lieu dans des bars, des bistrots, en plein cœur de la cité, dans une ambiance conviviale. Lucile Milliard, sociétaire à la Coopérative funéraire de Rennes et bénévole co-organisatrice de ses Cafés mortels explique qu’ils ont choisi de se différencier un peu du modèle de Bernard Crettaz, en proposant à chaque rencontre une thématique et font venir un ou plusieurs intervenants « spécialistes » de la question. Cependant elle insiste sur le fait qu’à chaque fois, un temps est prévu pour des échanges à bâtons rompus et qu’un certain nombre restent ensuite boire un verre en papotant. Du côté de Groix, il n’est pas rare que les personnes qui sont au bistrot pendant le Café mortel finissent par se joindre à la discussion. « Je suis toujours agréablement surprise par la facilité avec laquelle souvent, la parole se libère et à quel point les personnes qui viennent aux Cafés mortels se sentent assez en confiance pour nous raconter leur histoire. », raconte Lucile en rappelant les règles du Café mortel, à savoir que c’est un espace d’écoute, d’échanges, où chacun peut prendre la parole et qu’en revanche il ne s’agit pas d’un espace thérapeutique. C’est d’ailleurs ainsi que Bernard Crettaz avait défini les Cafés mortels et c’est aussi dans ce même esprit que cela se déroule à Groix. « Évidemment les personnes qui viennent aux Cafés mortels sont là, souvent, car ils ont vécu un décès et qu’ils ont besoin d’en parler. Il y a parfois des moments d’émotion pour certains mais la bienveillance du groupe permet de les soulager. Nous n’avons pas vocation à jouer les psychologues. Le but est de faire tomber le tabou de la mort, de créer du lien, tout en buvant un verre et en grignotant des cacahuètes. La convivialité est une dimension essentielle du concept. », ajoute Christian.

Thématiques et intervenants lors des Cafés mortels

Alors que le format des Cafés mortels de Bernard Crettaz se veut informel, convivial, spontané, à Rennes, et parfois à Groix, les organisateurs ont souhaité proposer des thématiques et inviter des intervenants spécialistes ou des témoins. Les thématiques mises en lumière à Rennes ont été très larges depuis le lancement des Cafés mortels en 2020, comme avec l’intervention d’une paysagiste qui a raconté l’histoire des cimetières, d’un psychiatre qui a parlé des « cimetières intérieurs » et de la place que chacun accorde à ses morts dans son intime, de thanatopracteurs qui ont expliqué leur métier, de metteurs en scène pour parler de la mort dans le spectacle vivant, d’un artiste proposant un regard sur la bande-dessinée et la mort, d’une association spécialiste des soins palliatifs pédiatriques, etc. Le thème du dernier Café mortel était « Naître ici, mourir ailleurs », pour lequel les experts étaient, tout simplement, des témoins qui avaient été confrontés à une telle situation.

A Groix, il est arrivé qu’un notaire vienne répondre aux questions des participants, que le prêtre de Groix ainsi qu’un officiant de cérémonie laïque soient invités. Cependant, dans l’ensemble, la venue d’intervenants extérieurs est plus rare à Groix.

Genèse à Groix et Rennes et essaimage

Si à Groix le premier Café mortel a fait l’objet de quelques réticences, son succès a ensuite été immédiat. Aujourd’hui un noyau dur de 25 à 30 participants vient à chaque rendez-vous, rejoint ponctuellement par d’autres habitants de l’île ou des personnes de passage. Le succès à Groix tient peut-être au travail qui a été initié en amont du lancement des Cafés. En effet, ce projet est né, suite à la rencontre entre Christian Guyomar et Anne Helaouet, à l’occasion d’une formation à la coopération, organisée sur l’île par les Semeurs de santé (lire notre article sur les Semeurs de santé). Ayant chacun perdu un proche, ils ont souhaité mettre en place à Groix un projet pour oser parler de la mort sans tabou, projet autour duquel ils ont été rejoints par Pierre, Nolwenn et Gaétane. Afin de se positionner au plus près des besoins des habitants de leur territoire, ils ont mis en place des « enquêtes » de co-conscientisation, sous la forme de questionnaires proposés à des volontaires. Leurs recherches les ont menés à rencontrer l’équipe de la Coopérative funéraire de Rennes qui avait déjà mis en œuvre un projet de Cafés mortels. « Le dispositif rennais était déjà bien rodé, puisqu’au Café mortel de Rennes où nous nous sommes rendus, près d’une centaine de participants étaient présents. A Groix, bien entendu, nous n’avions pas une telle ambition, même si nous sommes très contents car les Cafés mortels de l’île, qui ont désormais lieu chaque premier mardi du mois, sont également, à notre échelle, une belle réussite. », se félicite Christian. Il se réjouit également du lien tissé avec un petit village sur le continent qui a lancé ses Cafés mortels, avec la même démarche et la même éthique qu’à Groix.

Les Cafés mortels de Rennes ont démarré quelques mois avant ceux de Groix, sous la houlette de la Coopérative funéraire de Rennes. Un groupe d’une petite dizaine de sociétaires de la Coopérative est désormais en charge, bénévolement, de l’organisation des Cafés mortels qui rassemble en moyenne 70 personnes à chaque rendez-vous.

Face au succès grandissant des Cafés mortels, Christian tient cependant à mettre en garde sur certaines dérives : « Derrière certains Cafés mortels se cache une intention commerciale ou ésotérico-religieuse. Il est entendu que les Cafés mortels doivent rester gratuits, sans obligation de consommer ou acheter quoi que ce soit. Ils doivent se tenir dans des endroits publics et ouverts à tous, et les animateurs ne doivent en aucun cas en profiter pour distribuer des cartes de visite ou faire du prosélytisme. Il ne faut pas perdre de vue que quand les gens se rendent à de telles rencontres, ils sont souvent émotionnellement fragiles et donc potentiellement la proie de personnes malintentionnées. », souligne Christian.

Coopérative funéraire : des pompes funèbres organisées en gouvernance partagée

Inspirés de ce qui se fait au Canada, les Coopératives funéraires commencent à émerger en France et réinventent le modèle que nous connaissons. Isabelle Georges, fondatrice de la Coopérative funéraire de Rennes en 2019, nous en explique les grands principes.

66 MILLIONS D’IMPATIENTS : D’où vient ce concept de coopérative funéraire ?

Isabelle Geroges : Le modèle de la coopérative est assez répandu au Canada, où il a été impulsé par des paroisses, vers la moitié du XXIème siècle, qui s’inquiétaient de l’augmentation du coût des obsèques. Ils ont résisté face à l’arrivée de fonds de pension dans les années 1980 et le modèle a progressivement occupé la première place dans l’organisation des funérailles au Canada, en faisant baisser les coûts d’environ 40% et en augmentant la qualité de l’accompagnement des familles. En France, le 1er premier projet de coopérative funéraire a vu le jour à Nantes en 2016, grâce à Sabine Le Gonidec, qui, elle-même touchée par un deuil et déçue par ce qui était proposé en France, s’est inspirée du modèle canadien.

66 MILLIONS D’IMPATIENTS : Comment est organisée une telle coopérative ?

Isabelle Geroges : Il s’agit d’une entreprise collective, c’est à dire une entreprise classique, assorti d’un « habillage » coopératif, organisé autour d’une gouvernance collective. Les propriétaires de l’entreprise sont donc ses sociétaires (environ 400 actuellement à Rennes), à savoir les salariés, des familles, et également des partenaires (fournisseurs, associations, collectivités, etc.) qui ont chacun une voix. Ensemble, ils dirigent l’entreprise, élisent un conseil d’administration, pour les représenter et participer au pilotage « courant » de l’entreprise, lui-même assuré au quotidien par l’organe de direction et l’équipe de salariés.

66 MILLIONS D’IMPATIENTS : Pourquoi les coûts des funérailles sont, dans l’ensemble, moins élevés dans une coopérative ?

Isabelle Geroges : L’objectif d’une coopérative est de répondre aux besoins de ses membres, or les familles expriment rarement le besoin de payer trop cher pour des obsèques. L’objectif n’est pas de faire du low cost mais de proposer un accompagnement de qualité dans une posture de gestion désintéressée. La coopérative a besoin de faire du profit pour faire fonctionner l’entreprise mais le profit n’est pas l’objectif. L’objectif est que les citoyens reprennent le pouvoir dans l’organisation des obsèques de leurs proches par l’accès à l’information et l’ouverture du domaine des possibles. Par ailleurs, statutairement nous ne rémunérons pas le capital, ce qui fait baisser les coûts. Cela dit, nous faisons converger les intérêts de tous les sociétaires, dont certains sont les salariés et des fournisseurs qui désirent obtenir une juste rémunération.

66 MILLIONS D’IMPATIENTS : Le modèle économique présente t-il d’autres caractéristiques qui le différencie de pompes funèbres classiques ?

Isabelle Geroges : La coopérative fonctionne sur la base d’un forfait d’accompagnement de 1200€. Sur le reste des prestations que nous proposons, et qui sont équivalentes à ce que l’on peut trouver auprès de pompes funèbres classiques, nous avons des marges, soit nulles, soit basses. Ainsi, nous ne sommes jamais tentés de vendre davantage de prestations et nous prodiguons éventuellement aux familles des conseils pour leur permettre de faire des économies. Par exemple, il n’est pas obligatoire de mettre un capiton, c’est-à-dire le tissu qui habille l’intérieur d’un cercueil. Nous en vendons bien sûr, mais nous proposons volontiers aux familles d’amener leurs propres tissus avec lesquels nous habillons le cercueil. Nous invitons également les familles à personnaliser les cercueils, avec des dessins, collages, photos, etc., sur des cercueils finalement très simples et donc moins chers. Ces exemples sont déclinables sur beaucoup de prestations. En dehors du bénéfice financier, nous offrons aussi aux familles un espace pour reprendre le pouvoir sur l’organisation des funérailles.

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