Les semeurs de santé : des actions concrètes de démocratie en santé en territoires isolés

« Nous considérons que les personnes vivant sur un territoire sont les plus à mêmes de construire des réponses adaptées à leurs besoins. », soutient Hélène Denoual, Cheffe de projet de la Plateforme d’éducation thérapeutique Lorient-Quimperlé et coordinatrice des Semeurs de Santé. Et ce ne sont pas des vœux pieux, mais bien une dynamique d’actions concrètes qui a été initiée grâce au projet des Semeurs de Santé, sur 3 communes rurales et isolées, justement choisies pour leur grande fragilité face aux enjeux de santé.

Ainsi, à Gourin, Scaër et sur l’île de Groix, les habitants ont pris le sujet de la démocratie en santé à bras-le-corps et se sont essayés à divers outils tels que l’intelligence collective, l’éducation populaire, le développement des compétences psycho-sociales ou encore le théâtre-forum pour identifier eux-mêmes leurs priorités et déployer eux-mêmes des solutions à leurs problématiques territoriales de santé. Une évaluation menée par l’École des hautes études en Santé Publique salue déjà l’efficacité de ces méthodes qui ont commencé à essaimer dans d’autres communes bretonnes.

Bien entendu, France Assos Santé, n’a évidemment pas manqué l’occasion de participer à un si beau projet. France Assos Santé Bretagne fait donc partie du comité de pilotage des Semeurs depuis sa mise en œuvre et intervient très régulièrement auprès des populations concernées, au travers d’ateliers d’informations et d’échanges sur les droits en santé.

66 Millions d’Impatients : Quelle est l’origine des Semeurs de Santé ?

Hélène Denoual, Cheffe de projet de la Plateforme d’éducation thérapeutique Lorient-Quimperlé et coordinatrice des Semeurs de Santé : L’idée des Semeurs de Santé a émergé en 2017, au cours d’un espace de concertation, où les usagers avaient fait le constat que beaucoup d’actions étaient dirigées vers les professionnels de santé, mais qu’eux-mêmes n’étaient pas impliqués et que leurs avis n’étaient pas particulièrement recherchés. Ils suggéraient de pouvoir monter eux-mêmes en compétences afin de devenir acteurs du développement des politiques de santé. Il se trouvait que d’autres enjeux nourrissaient les débats ouverts sur notre territoire de Lorient-Quimperlé, comme le fait d’aller davantage vers les milieux ruraux et insulaires, d’essayer des nouvelles techniques d’animation comme le théâtre-forum ou des outils issus de l’éducation populaire. C’est sur la base de ces divers sujets que les Semeurs de Santé ont pris corps.

66 Millions d’Impatients : Comment les 3 communes de l’expérimentation ont-elles été choisies ?

Hélène Denoual : Comme vous l’aurez compris, l’idée était alors d’expérimenter des outils innovants d’échanges et d’autonomisation des populations, dans des zones rurales et insulaires. Les Semeurs ont choisi Gourin, Scaër et Groix, du fait de leur isolement géographique et de l’état de santé fragilisé de leur population. En effet, dans un contexte où la population vieillit, sur ces territoires en particulier, mais de façon générale en France, et où les maladies chroniques augmentent, le besoin de faire des actions de prévention et de promotion de la santé est essentielle. En outre, impliquer les populations dans les politiques de santé engendre une dynamique générale qui permet d’attirer des professionnels de santé dans ces territoires qui souffrent de désertification médicale. C’est un cercle vertueux qui se met alors en place dans ces secteurs retirées. Cela dit, ces territoires ruraux et insulaires ont également une force à exploiter puisque dans ce type de zones isolées, souvent, les associations sont très présentes et les habitants sont solidaires et se mobilisent plus facilement. Or nous avions également besoin d’un tel état d’esprit pour espérer qu’une dynamique collective émerge. Le pari a finalement été gagné.

66 Millions d’Impatients : Comment s’est passé l’accueil des Semeurs de Santé sur ces 3 communes ?

Hélène Denoual : L’objectif des Semeurs est d’aller impulser des dynamiques collectives en partant du principe que les personnes qui vivent sur les territoires sont les plus à mêmes à identifier leurs besoins et problématiques et de pouvoir réfléchir aux solutions à apporter.

Ainsi, lorsque les semeurs arrivent sur une commune, ils mènent, dans un premier temps, des entretiens auprès des habitants, des associations, des élus, des professionnels de santé, et invitent alors chaque personne qui le souhaite à s’investir sur ces questions de santé. Je précise que lorsque l’on parle de la santé, cela regroupe un champ de sujets larges, qui va du logement, en passant par l’éducation et bien sûr jusqu’à l’aspect de la prise en charge médicale. Chacun peut devenir acteur de la santé à titre personnel ou à l’échelle de sa commune.

Suite aux entretiens, nous avons identifié 3 besoins prioritaires sur chaque commune, qui ont alors été restitués sous la forme d’un théâtre-forum. Cela consiste à présenter des saynètes et d’inviter les spectateurs à proposer des pistes de solutions. Nous avons également organisé des ateliers sur la confiance en soi et l’inter-connaissance des personnes impliquées, basés sur le développement des compétences psycho-sociales. Cela permet de renforcer la dynamique collective autour du projet et cela permet également aux populations d’acquérir de nouvelles compétences, qu’ils pourront mettre à profit au moment de la réalisation d’un projet par exemple.

Enfin, toujours dans l’idée de favoriser une montée en compétences, des réunions sur le droit et l’accès à la santé sont régulièrement assurées par France Assos Santé Bretagne. L’ensemble de ces outils permet d’explorer les représentations de la santé par la population et de co-construire avec eux un diagnostic partagé de la situation.

66 Millions d’Impatients : Que se passent-ils une fois les priorités définies ?

Hélène Denoual : Nous proposons alors aux personnes intéressées de poursuivre cette dynamique en constituant des collectifs locaux et effectivement, des collectifs se sont ainsi organisés dans chaque commune en fonction d’un thème identifié. Ces collectifs ont pris une forme différente selon les territoires. Par exemple à Groix, beaucoup d’habitants y participent, alors qu’ailleurs on y voit davantage de professionnels de santé.

Pour soutenir ces collectifs, les Semeurs de Santé ont ensuite mis en place des temps de formation et de sensibilisation à la coopération et à l’intelligence collective. Il s’agit notamment de faire prendre conscience qu’au sein d’un collectif, les participants ne sont pas obligés d’être d’accord sur tout pour avancer sur un projet. Par la suite, les Semeurs accompagnent aussi les collectifs pour mettre en œuvre les solutions qui émergent de leur travail, soit en les mettant en rapport avec des acteurs spécifiques compétents à soutenir leurs actions, soit en prenant du temps avec eux pour les aider à continuer à monter en compétences selon leurs besoins et qu’ils puissent concrètement, eux-mêmes, lancer et pérenniser leur projet.

66 Millions d’Impatients : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Hélène Denoual : Sur l’île de Groix, l’un des thèmes prioritaires était de pouvoir créer des espaces où parler de la mort. Dans ce cadre, quatre habitants se sont formés à des enquêtes de « co-conscientisation », qui est une technique issue de l’éducation populaire et qui permet d’aborder un sujet en impliquant le plus possible la personne avec qui l’on échange. Ces habitants ont donc entièrement pris les rênes de ce projet et sont allés eux-mêmes mener les enquêtes sur leur territoire. Ils se sont ensuite rapprochés d’une chambre funéraire coopérative à Rennes qui animaient des « cafés mortels ». L’idée est d’y aborder le sujet de la mort mais de façon conviviale et joyeuse. Les Groisillons s’en sont donc inspirés pour mettre en place sur l’île, des « cafés mortels », qu’ils animent eux-mêmes. C’est d’autant plus intéressant d’un point de vue du collectif, que cela ait lieu dans un café, car cela interpelle les personnes qui s’y arrêtent sans savoir qu’il y a un événement et cela enclenche alors différents niveaux de discussions. Les Semeurs ont, par ailleurs, accompagné les porteurs de ce projet pour monter en compétences sur des sujets tels que la coopération et l’animation et les ont également aidés à trouver des financements au travers d’un appel à projets. Ainsi, une dizaine de « cafés mortels » ont déjà été organisés en 2022 à Groix et les actions des Semeurs essaiment ainsi de façon vertueuse en dehors même des 3 communes de départ puisqu’un autre « café mortel » a vu le jour dans la commune d’Inzinzac, fin 2022. En outre, inspirées par les actions des Semeurs, les structures de santé des communes d’Hennebont et Kervignac se sont rapprochées de la compagnie de théâtre-forum de Lorient. L’École des hautes études en Santé Publique, qui suit les Semeurs de Santé depuis le début, a réalisé une évaluation de nos actions et a d’ailleurs conclu à une influence « perceptible au niveau de la plateforme d’ETP et des dynamiques territoriales. ».

66 Millions d’Impatients : Pour finir, pouvez-vous nous dire comment s’organise les Semeurs de Santé et comment ils sont financés ?

Hélène Denoual : L’équipe des semeurs est constituée de deux « facilitatrices », salariées de l’association Cap Autonomie Santé. Il s’agit en l’occurrence de Claire Cornelissen et de moi-même. Par ailleurs les Semeurs s’appuie fortement sur un comité de pilotage, qui se réunit 2 à 3 fois par an et qui est constitué de France Assos Santé Bretagne, de la plateforme d’Éducation Thérapeutique du Patient de Lorient-Quimperlé (via Cap Autonomie Santé), de l’École des hautes études en Santé Publique (qui assure l’évaluation du projet), de l’Escargot Migrateur et l’Agence Régionale de Santé (ARS) Bretagne.

Les Semeurs de Santé ont été financés au cours des 5 première année par le ministère de la Santé et c’est désormais l’Agence Régionale de Santé de Bretagne qui soutient le projet.

Quelques mots de Maud Le Ridant, chargée de mission à France Assos Santé Bretagne, sur le partenariat de France Assos Santé Bretagne avec les Semeurs de Santé

Sur les 3 communes sur lesquelles les Semeurs de Santé interviennent (Gourin, Scaër et Groix), France Assos Santé Bretagne propose des temps d’échanges et d’informations sur les droits des patients, avec la population. Nous en profitons pour faire connaître la ligne téléphonique de Santé Info Droits (01 53 62 40 30), toujours utile pour les personnes qui ont des questions spécifiques en matière de droits en santé. Nous abordons aussi l’accès au dossier médical et depuis 2 ans, nous échangeons beaucoup sur Mon Espace Santé. Nous parlons aussi de dépassements d’honoraires, de la personne de confiance, des directives anticipées, du signalement et des recours en cas d’événements médicaux indésirables, etc.

A Groix par exemple, il y a ainsi eu 2 réunions, avec à chaque fois une quinzaine de personnes présentes, dont des professionnels de santé et des journalistes. Dans le cadre des « cafés mortels » qui ont lieu à Groix, nous avons même récemment organisé un atelier entièrement consacré aux directives anticipées, qui a rassemblé 25 personnes et au cours duquel nous avons notamment proposé de nous servir du jeu de cartes « A vos souhaits » de l’association JALMALV (Lire notre article sur « A vos souhaits »).

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