Sport et alcool : qui gagnera ce match ?

Alors même que la dernière Coupe du monde de football s’est déroulée dans un pays où l’alcool est strictement encadré, nous avons pourtant constaté à quel point les marques d’alcool sont restées très visibles dans le monde durant l’événement. La publicité directe, ou via le sponsoring, des boissons alcoolisées, prend une place prépondérante lors de ce type d’évènements festifs.

Alors même que l’activité physique, et par extension, le sport, comptent parmi les déterminants de bonne santé les plus importants, le sport est pourtant souvent vampirisé par l’image et la consommation d’alcool, qui, rappelons-le, représente la deuxième cause de mortalité évitable en France et est très largement impliqué dans les actes de violences, notamment intra-familiales.

Sans vouloir jouer les trouble-fêtes, n’est-il pas temps de revoir cette paradoxale dynamique autour de sport et de l’alcool afin de faire en sorte que le sport véhicule des valeurs et des habitudes de vie plus saines ?

Comment faire ? Quels sont les obstacles ? Voici quelques éléments de réponses à méditer alors que nous traversons justement le Dry January (Lire notre article sur le Défi de janvier sans alcool).

 

Alcool et célébrations sportives

L’industrie de l’alcool, avec son immense force de frappe marketing et publicitaire, n’a pas manqué sa cible en associant son image, depuis plusieurs décennies, à celle du sport. Selon les auteurs de la revue Décryptages, consacrée aux liaisons dangereuses entre sport et alcool, éditée par l’association Addictions France, cette stratégie : « profite essentiellement à la consommation d’alcool qui se trouve dédouanée de sa mauvaise image par l’aura de la noblesse du sport. C’est pourquoi les alcooliers ont toujours milité pour être présents dans les manifestations sportives, ou les sponsoriser officiellement comme on le voit régulièrement pour les compétitions internationales. ».

En France une relative prévention s’est mise en place depuis la loi Evin qui, en 1991, a interdit la vente d’alcool dans les enceintes sportives. Quid cependant de l’omniprésence des marques de boissons alcoolisés dans les médias du monde entier lors des grands événements sportifs internationaux, quid de la prévention quant à la consommation d’alcool dans les bars ou les fans zones qui retransmettent les événements, quid des exceptions à la consommation d’alcool dans les loges VIP des stades, quid du réflexe quasiment automatique de débarquer avec des packs de bières chez des amis pour regarder ensemble un match et qui se transmet ainsi de génération en génération, quid de l’amendement buvette qui permet aux clubs sportifs de tenir un bar plusieurs fois par an au sein des clubs sportifs, etc. ?

A l’heure où nous nous préparons à accueillir à Paris les Jeux Olympiques, les autorités sauront-elles tenir face aux lobbies alcooliers, faire respecter la loi Evin et faire de la prévention pour lutter contre les risques de surconsommation d’alcool, plutôt que de dérouler le tapis rouge aux alcooliers ? Est-ce envisageable que le lobby de l’alcool parvienne à convaincre la France de faire une exception à la vente d’alcool dans les enceintes sportives lors des JO 2024 ? Selon le Dr Bernard Basset, président d’Addictions France, il s’agit d’y être vigilant. Il rappelle que « lors de la Coupe du monde de football au Brésil en 2014, l’alcool avait été exceptionnellement réintroduit dans les stades, alors qu’il y était interdit, comme chez nous. Il existe toujours un risque que cela puisse arriver en 2024 à Paris, car le lobby alcoolier est puissant. Les intérêts en jeu sont considérables puisqu’on parle là d’un marché susceptible de rapporter des recettes énormes aux annonceurs eux-mêmes évidemment, mais également à toutes les entreprises du secteur de la communication, des médias, ainsi qu’aux équipes sportives. ».

L’amendement buvette ou comment le sport est finalement financé par l’alcool…

Oui le lobby alcoolier est puissant, et depuis la loi Evin, il n’a eu de cesse de faire pression pour réintroduire l’alcool dans les enceintes sportives. Il y est parvenu en 1999 avec la mise en place de l’« amendement buvette ». Il s’agissait, pour « aider » les clubs à se financer, de leur permettre de tenir une buvette, 10 fois par an. Financer les activités sportives grâce à l’alcool… Incroyable tour de passe-passe. Le problème est qu’en outre, ces 10 autorisations annuelles sont souvent étendues grâce à des buvettes supplémentaires accordées à chacune des multiples associations rattachées aux enceintes sportives, auxquelles on peut ajouter des tolérances de certaines municipalités.

Pour Benoit Moreau, co-fondateur du tournoi de rugby caritatif 7 de Coeur, l’alcool représente effectivement une importante source de revenus mais l’organisation du Tournoi est très vigilante sur la consommation d’alcool lors de l’événement. Il explique : « Nous avons diversifié notre « buvette » en misant notamment sur une restauration de grande qualité et nous proposons de nombreuses boissons sans alcool également. Nous n’avons aucun intérêt à ce que des personnes soient ivres. Cela dévalorise l’événement qui se veut familial, puisque nous avons aussi mis en place des activités pour les plus petits, et par ailleurs, ce sont des complications d’organisation dont nous ne voulons pas. Nous serions prêts en réalité à ne pas servir d’alcool lors de notre événement puisque nous n’avons pas d’autre enjeu financier que celui de reverser l’intégralité de nos bénéfices, dont ceux liés à l’alcool, à des associations et que nous minimisons nos frais fixes, notamment grâce à une organisation entièrement bénévole. Cependant nous savons d’expérience que si nous n’en vendions pas sur place, les gens apporteraient de l’alcool par eux-mêmes, et peut-être des alcools forts. Nous fouillons les sacs à l’entrée et aucun alcool extérieur n’est toléré mais il se trouve que le tournoi a lieu dans un endroit qui n’est pas entièrement clos et que nous ne pouvons pas être partout. Heureusement, les incidents liés à l’alcool sont rares lors de l’événement. ».

Il n’en demeure pas moins que, même lorsque les intentions sont bonnes et les organisations conscientes du problème, les lobbies alcooliers financent très largement le sport, soit via la vente de boissons alcoolisées, soit via le sponsoring. Selon Bernard Basset : « On pourrait imaginer que les secteurs bancaires, assurantiels, les entreprises du net, etc. prennent le relais pour s’imposer dans les stades au détriment des alcooliers. Le problème est que le lobby de l’alcool développe ses campagnes en disant qu’il n’y a pas de sport sans célébration, ni de célébration sans alcool. C’est totalement faux bien sûr mais les autres secteurs ont du mal à trouver une mécanique, en termes de message, aussi bien rodée que celle-ci. Notre contre-message est de dire que l’on peut, indubitablement, faire la fête sans s’enivrer (1). ». Bernard Basset reste d’ailleurs assez positif. Il note que les mentalités changent, que la population se questionne de plus en plus sur sa consommation d’alcool, comme en témoigne le succès du Défi de janvier. Selon lui, les messages de prévention passent de mieux en mieux et le terrain est moins favorable pour les alcooliers qu’il y a 20 ans. Par ailleurs, il se réjouit qu’en 2019, pour la première fois, une tentative de contournement de la Loi Evin a échoué. Il précise : « Jusque-là, chaque proposition de contournement était passée, comme avec l’amendement buvette, l’autorisation de publicité d’alcool sur internet, d’affichage dans les rues. En 2019, en effet, une centaine de députés avait fait une proposition de loi pour réintroduire l’alcool dans les stades, mais grâce au travail de veille et à la contestation des associations et institutions de lutte contre les addictions, au bout d’une semaine, le Premier ministre et le ministre de la santé de l’époque ont déclaré qu’ils ne remettraient pas en cause cet aspect de la Loi Evin. ».

Le sport au service de la prévention d’une consommation à risque liée à l’alcool

Si l’alcool ne fait pas bon ménage avec le sport, puisque l’alcool déshydrate, ralentit les temps de réactions, perturbe la coordination, mais également le sommeil et donc altère les capacités de récupération, en revanche, le sport pourrait aider les personnes malades qui souffrent de dépendance à des produits addictifs, dont l’alcool.

C’est ce qui ressort d’un travail entamé conjointement entre la MILDECA (La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) et l’ONAPS (Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité). Ce travail vise, d’une part, à faire une revue des synthèses et de la littérature sur les relations entre l’activité physique et la prévention ou la réduction des consommations à risques, et notamment sur l’impact de l’activité physique en tant que prise en charge thérapeutique pour des patients présentant des troubles d’usages à diverses substances. D’autre part, la question est d’étudier si l’activité physique ou sportive, dans certaines conditions, sur certaines populations, ou en fonction des sports, au contraire, ont tendance à favoriser les consommations. Il s’agit d’être prudent sur les tendances qui ressortent de cette revue, publiée sur le site de la MILDECA fin 2022, explique Corinne Drougard, chargée de mission santé à la MILDECA. En effet, les études mises en lumière sont, d’un point de vue méthodologique et de qualité, très hétéroclites. Cependant, la revue tend à montrer que la pratique d’activités physiques modérées serait plutôt protectrice vis-à-vis de la consommation de substances psychoactives. En revanche, certaines études suggèrent que la pratique d’activités physiques plus intenses serait associée à de plus fortes consommation d’alcool. Tout cela est dépendant de l’âge, du sexe, du type d’activités, qu’il s’agisse de sport de compétition ou de loisir, de sport collectif ou individuel, etc. Par ailleurs, certaines études de la revue évoquent qu’en termes de prévention tertiaire, c’est-à-dire chez les personnes souffrant déjà d’un trouble d’usage, l’intégration de l’activité physique, dans le cadre d’une prise en charge par une structure d’addictologie par exemple, permet des améliorations, au moins à court terme, dans le parcours de soins et le bien-être des patients. Corinne Drougard souligne que des programmes structurés, intégrant de l’activité physique, se mettent d’ailleurs de plus en plus en place dans des structures d’addictologie et que la MILDECA espère pouvoir bientôt s’appuyer sur des évaluations de ces programmes qui pourront alors donner lieu à des recommandations professionnelles.

Toujours dans l’idée de s’appuyer sur l’activité physique comme levier de prévention, la MILDECA travaille depuis quelques mois avec une partie de son réseau d’une cinquantaine de collectivités territoriales de toutes tailles. En effet, certaines de ces collectivités développent localement des actions de prévention et de contrôle de la réglementation autour du champ des conduites à risque. Elles proposent par exemple de créer des synergies entre les directions « santé publique » et « activités physiques » d’une même collectivité.

Corinne Drougard précise : « Les maires, par exemple, ont différents leviers réglementaires pour intervenir sur l’accessibilité à l’alcool lors d’un évènement en général, et d’un événement sportif en particulier. Ils peuvent jouer sur les horaires d’ouverture des débits de boisson, sur le fait d’interdire la consommation d’alcool sur la voie publique, sur l’attribution de dérogation pour des associations qui désirent tenir des buvettes et servir de l’alcool. Il peut aussi travailler avec les clubs sportifs pour mettre en place des buvettes sans alcool. Il est évident que l’on pourrait aller plus loin et imaginer travailler également avec les fédérations sportives en plus des collectivités pour mettre en œuvre des messages de prévention dans les « fan zones », et même, inviter des sportifs de haut niveau à s’engager dans des actions de prévention. ». Pour l’heure, le sport semble tellement dépendant financièrement de l’alcool qu’il parait difficile de voir des grandes personnalités du sport s’engager dans cette voie. Le footballeur Paul Pogba avait pourtant lancé le mouvement en retirant une bouteille de bière, d’une marque sponsor de la compétition qu’il disputait, du champ des caméras lors d’une conférence de presse en 2021. D’autres oseront-ils désormais en faire autant ?

(1) Lire notre article sur la fête sans alcool

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