Peur et Covid : manifestations et conséquences sur notre santé

Les premiers mois, la peur de la contamination par le coronavirus, que nous connaissions alors si peu, avait engendré à la sortie du confinement, pour certains, des difficultés à reprendre par la suite une vie plus sereine, à sortir tout simplement de chez eux. Nous avions alors parlé de ce phénomène dans cet article.
Alors que les mois passent, que les confinements et restrictions s’enchaînent, on se rend compte que ce n’est pas toujours le virus en lui-même qui nous inquiète mais plutôt ses conséquences. Le manque de visibilité sur notre avenir et d’interactions sociales, voire la mise en place plus ou moins profonde d’une défiance vis-à-vis d’autrui, qui est devenu un « danger » potentiel, peuvent faire émerger chez certains une angoisse pathologique.
A cela s’ajoute, pour les personnes qui avaient des fragilités de santé préexistantes, le risque de s’isoler encore davantage, de réduire dangereusement leurs activités physiques et donc de mettre en péril leur état de santé physique et psychique.
A l’aide d’experts et de témoignages sur la peur, nous avons cherché à comprendre comment et pourquoi elle se manifeste, jusqu’à quel point elle est naturelle, acceptable, et comment faire pour l’apaiser quand elle devient réellement envahissante. 

La peur : une réaction physiologique naturelle pour survivre

Pour comprendre comment se manifeste la peur, 66 Millions d’Impatients s’est entretenu avec le docteur Charles Mellerio, neuro-radiologue au GHU Paris, qui nous explique que la peur est une réaction transitoire de courte durée : « A l’origine, la peur est un réflexe de défense qui nous permet d’avoir une réaction adaptée immédiate à un stimulus dangereux. Cette réaction naturelle de défense de l’organisme peut parfois devenir invalidante comme quand on est totalement figé par la peur ou qu’au contraire, le cœur s’emballe et que l’on présente des signes d’affolement. Dans les deux cas, ce sont pourtant à la base des réactions de survie. » Ainsi, quand elles remplissent avec justesse leur fonction, la première réaction qui consiste à se figer pourrait nous permettre de passer inaperçu face au danger, tandis que la seconde qui augmente le rythme cardiaque peut nous insuffler suffisamment d’énergie pour fuir. Tout cela se passe de façon presque inconsciente, sous le contrôle de zones profondes de notre cerveau. Entrent en jeu d’abord les noyaux amygdaliens qui vont, en premier lieu, détecter les informations considérées comme dangereuses. Il y a alors une stimulation immédiate de l’hypothalamus, qui à son tour, active des glandes, comme les surrénales qui secrètent l’adrénaline. L’adrénaline va nous aider, par exemple, à prendre éventuellement nos jambes à notre cou. Vient ensuite au niveau cérébral une analyse plus rationnelle de la situation par des structures corticales de niveau plus élevé, dans le cortex cingulaire. Cette analyse va nous permettre de mieux adapter nos comportements en évaluant la réalité et le niveau de dangerosité de la situation.
Il peut arriver, chez certaines personnes, que le cortex cérébral ait du mal prendre le contrôle sur les zones amygdaliennes. Dans de tels cas, le système s’emballe et les comportements de défense face à la situation dangereuse ne parviennent pas à être calmés. La sensation de peur a alors du mal à s’estomper, et les comportements sensés nous protéger deviennent alors handicapants. Nous pouvons alors être dépassés par nos réactions physiologiques au point d’être paralysé, de ne plus réussir à parler, etc. On peut assimiler ces réactions au « trac ».
Ainsi, la peur, qui est une réaction naturelle, est à différencier de l’angoisse ou de l’anxiété qui sont des sentiments chroniques d’insécurité. On peut même ressentir une anxiété sans que rien ne nous fasse peur à proprement parler. On entre dans le champ pathologique lorsque ce sentiment est socialement invalidant.

Des personnes à la santé fragile, particulièrement en difficultés face à la peur de la Covid

Malheureusement, les personnes qui ont des problèmes de santé connus pour augmenter les risques de complications graves face à la Covid-19, vivent depuis des mois dans la peur, parfois justifiée, d’être contaminés et ils sont encore nombreux à rester isolés. C’est le cas notamment des personnes greffées qui ont des traitements médicamenteux à base d’immunosuppresseurs à vie. Comme leur nom l’indique, les immunosuppresseurs annihilent l’immunité et ces patients sont particulièrement fragiles face aux virus et infections. Anne Hiegel, présidente de France Rein Pays de la Loire raconte que : « Il y a quelques personnes greffées qui refusent tout contact depuis des mois, quand d’autres s’astreignent à des mesures de précaution très strictes. Les personnes dialysées bien sûr, qui doivent se rendre 3 fois par semaine en centres de dialyse, vivent depuis des mois dans la crainte d’être contaminés et un certain nombre de personnes greffées ne peuvent tout simplement pas non plus éviter de prendre des risques au quotidien. Je pense au cas d’une maman greffée, qui heureusement est enfin vaccinée, et qui élève seule son fils collégien. Les deux ont vécu dans la peur de contaminer la maman durant des mois. ».
Cette peur de la Covid, Adèle et Emma, respectivement juriste et assistante polyvalente à la Fédération française des diabétiques, l’ont particulièrement ressentie lors du premier confinement. Elles étaient en première ligne et répondaient par mail et téléphone aux inquiétudes des malades et de leur famille. A l’époque, le diabète était souvent cité parmi les maladies les plus à risques de complications face à la Covid-19, même si depuis, on a réévalué un peu ce sur-risque pour les personnes diabétiques. Adèle se souvient par exemple qu’à la sortie du premier confinement, elle avait reçu l’appel d’un homme diabétique et qui souffrait de comorbidités, qui voulait déscolariser ses deux filles. « Des patients appelaient, terrorisés et ne voulant plus aller travailler. », se remémore-t-elle. Emma, quant à elle, se souvient de deux personnes hypocondriaques, qui n’avaient pas de diabète, mais s’étaient acheté un testeur de glycémies, se testaient plusieurs fois par jour et l’appelaient pour lui donner leurs résultats et se rassurer. Au second confinement, ce qui l’a particulièrement marqué était le nombre d’appels de personnes qui parlaient de vouloir se suicider. Ils ne parvenaient plus à se raisonner et ne voyait plus de fin possible à cette crise. Désormais, constatent Adèle et Emma, les appels de personnes terrifiées ont considérablement baissé. Malheureusement, pour de nombreux patients diabétiques, un cercle vicieux s’installe ces derniers mois, car le stress et le manque d’activités physiques ont tendance à faire s’élever les glycémies, et dans un contexte où les patients hésitent toujours à aller chez leur médecin par peur d’être contaminés, le risque de voir s’aggraver leur état de santé est réel.
Pour les patients souffrant de la maladie de Parkinson dont s’occupe tout particulièrement le docteur Obert, médecin au centre de rééducation Gustav Zander, cette situation est d’autant plus délétère que la maladie de Parkinson attaque déjà le système motivationnel. Les personnes qui souffrent de cette maladie ont déjà du mal à sortir de chez elles. Pour relancer leur motivation, le docteur Obert les aide à mieux comprendre ces mécanismes pour agir et limiter l’impact de cette maladie (lire notre article sur le sujet). Il précise : « A cette défaillance du système motivationnel, s’ajoute la crainte du regard des autres sur leurs tremblements ou celle liée au risque de chutes. Sans s’en rendre compte, les malades de Parkinson ont tendance à rester dans un confort inconfortable, qui a toutes les chances d’empirer dans la situation que nous vivons avec la crainte de la Covid. En outre, ce qui est encore plus étonnant, quand on travaille sur les mécanismes de la peur, c’est que changer d’état, même pour aller mieux, peut entraîner de la peur et créer des blocages. ». Particulièrement interpellé par la façon dont la peur a pu envahir notre vie ces derniers mois, le docteur Obert vient de lancer, pour les trois mois à venir, un cycle d’ateliers en visio, ouverts à tous, avec des artistes et également un diététicien, complété par une série de conférences, pour explorer les mécanismes de la peur (pour en savoir plus et s’inscrire : rendez-vous sur ce site).

La peur, non pas du Covid mais de ses conséquences

Alors qu’Adèle et Emma de la Fédération française des diabétiques, constatent que les appels de personnes pris de panique ou de tétanie ont disparu, elles soulignent toutes les deux que les gens sont inquiets de perdre leur emploi, pour certains, au point d’en perdre le sommeil.
Raffaela Cucciniello, psychologue au GHU Paris fait le même constat : « Avec mes collègues, nous observons que de plus en plus de patients ont peur, non pas vraiment du Covid en lui-même, mais des conséquences de la crise sanitaire. Les étudiants et les personnes qui se trouvent en situation de chômage notamment, en sont particulièrement affectés. Leurs craintes concernent l’impact économique et le manque de perspective rend les gens très inquiets. Ainsi, depuis 3 ou 4 mois, on note un rajeunissement des patients qui viennent consulter, avec de nombreux étudiants, que nous avions jusqu’ici moins l’habitude de voir. ». Elle explique que certains font de vraies attaques de panique, quand d’autres présentent des troubles anxieux, des troubles du sommeil ou de la dépression. Ses patients se demandent souvent si cet état est passager et normal du fait de la situation exceptionnelle que la population traverse en ce moment ou si leurs symptômes peuvent perdurer dans le temps. La psychologue elle-même n’a pas encore la réponse à cette question. Le temps nous le dira.
Outre les troubles psychiques, des manifestations somatiques apparaissent également avec ce sentiment d’anxiété. Raffaela Cucciniello note par exemple que beaucoup de patients développent des maladies de la peau particulièrement liée au stress, comme l’eczéma. Elle a constaté également une surconsommation de toxiques, licites, comme l’alcool ou les anxiolytiques, ou illicites. L’anxiété, accentuée par le fait d’être confinés après 18h ou les week-ends pour certains territoires, entraînent également des conséquences sur l’horloge biologique et donc sur le sommeil.

Quelques conseils pour ne pas se laisser enfermer dans sa peur

Pour Raffaela Cucciniello, il est important en premier lieu de pouvoir parler de son ressenti quand on a peur. Bien souvent les gens ont honte d’avoir peur et n’osent pas partager ce qu’ils ressentent. Parler, ne serait-ce qu’à des proches, permet de faire déjà un tri entre les causes contextuelles de la peur et les éléments propres à la personne. La psychologue explique qu’il est normal, dans le contexte actuel de traverser des moments d’inquiétude et que cela ne préfigure pas d’un trouble psychique particulier. En revanche, elle souligne que les sentiments de peur peuvent parfois être connectés à des traumatismes plus anciens qu’il est alors intéressant d’explorer sur le plan psychologique.
Raffaela Cucciniello explique que : « les patients qui ont des fragilités de santé psychiques ou physiques préexistantes ont pu avoir tendance à beaucoup s’isoler ces derniers mois. Pour les aider, nous avons d’ailleurs mis en place une plateforme de soutien psychologique en Ile-de-France avec un numéro gratuit, Psy IDF : 01 48 00 48 00. Il faut éviter que les personnes ne s’enferment dans le cercle vicieux de la peur, car en refusant de voir du monde, elles aggravent souvent leurs problèmes de santé préexistants. ».
Elle conseille, pour sortir petit à petit de ce sentiment de peur de commencer d’abord à retisser du lien avec l’extérieur, au téléphone au moins dans un premier temps. Il est également important de s’accorder du temps pour des activités qui font plaisir. Cela peut être des choses très simples, comme écouter de la musique, lire, sortir marcher, faire du sport, prendre un bain, aller faire son marché dans un endroit qui nous plaît, préparer un bon repas, etc. Les activités qui engagent le corps sont intéressantes, car souvent, on parvient à calmer l’esprit en calmant le corps. Les exercices de respiration ou de relaxation peuvent également être utiles, à condition que cela ne devienne pas une contrainte de se détendre et lâcher-prise absolument. Parfois les exercices de méditation guidée, par exemple, sont contre-productifs quand les gens qui s’y essayent ont l’impression de ne pas réussir à se détendre.
« Finalement, même si l’on ressent un inconfort, de l’anxiété, parfois de la tristesse, le fait de traverser cette crise peut aussi se révéler une opportunité pour avoir enfin du temps pour penser à soi et remettre éventuellement sa vie sur une voie qui nous ressemble davantage. », conclut la psychologue.

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