Pédocriminalité : Témoignages de victimes

Afin de compléter notre article sur le défaut de prise en charge médicale des victimes de pédocriminalité, 66 Millions d’Impatients livre ici le témoignage de 2 victimes, Sébastien Boueilh et Kathya de Brinon, tous deux très engagés aujourd’hui pour la prévention contre la pédocriminalité et pour accompagner les victimes directes et collatérales.

 

Sébastien Boueilh, victime de pédocriminalité et fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile

Après 18 ans de silence, motivé par le fait que je venais d’apprendre qu’un de mes amis d’enfance avait également été violé par le même agresseur que moi, j’ai révélé que j’avais été violé de mes 12 ans à mes 16 ans, par un membre de ma famille, contre qui j’ai porté plainte. Sur le moment, je me suis senti soulagé. Je me suis senti en quelque sorte « vidé », épuisé même. En revanche, par la suite, j’ai malheureusement connu la dépression. Je me suis retrouvé seul, mis à l’écart par ma famille, une grande famille, très soudée. Ils m’ont reproché, et me reprochent encore aujourd’hui, d’avoir parlé et d’avoir porté plainte contre un membre de la famille. Personne n’a pris en considération ma souffrance à m’être tu durant toutes ces années pour les protéger. Je m’en suis presque voulu d’avoir parlé.
Pourtant la souffrance, caché derrière une façade de sourires, était bel et bien là. J’avais mis en place depuis mon adolescence, des mécanismes d’autodestruction, au travers d’excès de sexe, d’alcool, de violence, d’argent, de mensonges, etc. Physiquement, j’ai souffert d’eczéma là où j’ai été touché par mon agresseur, ce qui est un symptôme assez courant chez les victimes d’agressions sexuelles. J’ai également souffert de lombalgies qui sont des douleurs également courantes chez les victimes de stress post-traumatique, même si dans mon cas, c’est difficile de dire si ces douleurs sont dues au stress ou à la pratique intense du rugby.
Au moment de parler et de porter plainte, malgré les conflits avec ma famille et le fait de me retrouver seul, j’ai eu la chance de croiser la route d’une psychologue, à la fois victimologue et criminologue qui m’a beaucoup aidé. Lors de mon dépôt de plainte, j’ai également été entendu par un excellent capitaine de gendarmerie, qui s’est rendu très disponible pour mon affaire. Enfin mon avocat a été d’un grand soutien et il fait d’ailleurs partie aujourd’hui de l’association. Grâce à eux, j’ai pu entamer un travail de résilience qui a réellement débuté le 29 mai 2013, quand mon agresseur est parti menotté à l’issue de son procès où il a été condamné à 10 ans de prison. J’ai en effet eu la possibilité, contrairement à de nombreuses victimes, de voir mon agresseur traduit en justice et j’ai donc eu droit officiellement, à cette reconnaissance de « victime ».
Alors que pendant 4 ans, je m’en suis voulu d’avoir parlé, alors que j’ai vu ma vie partir en éclat avec le rejet de ma famille auquel s’est ajouté mon divorce, alors que j’ai arrêté le rugby tant je n’étais plus motivé, aujourd’hui, je suis pourtant content d’avoir parlé. Je me sens mieux. Mon comportement a changé, je ne suis plus dans l’autodestruction, je suis beaucoup plus apaisé. Je me sens guéri. J’ai alors ressenti le besoin de créer une association baptisée « Colosse aux pieds d’argile », afin d’aider les victimes de violences sexuelles et de combler les manques dans leur prise en charge que j’avais moi-même pu identifier grâce à mon parcours.
L’un de ces manques me semble être le fait de pouvoir bénéficier d’une médiation au sein des familles pour éviter qu’elles se déchirent, comme cela a été mon cas. Les membres de la famille ont besoin d’entendre et de comprendre comment fonctionne un prédateur, comment se manifestent les mécanismes d’autodestruction chez les victimes et de réaliser également le fait que les membres de la famille sont elles-mêmes des victimes collatérales.
Avec Colosse aux pieds d’argile, nous intervenons, depuis 8 ans, dans les clubs sportifs et dans les écoles pour faire de la prévention, de la sensibilisation auprès des enfants, face aux risques de violences sexuelles. Nous avons malheureusement pu constater durant toutes ces années, qu’à chacune de nos interventions, des enfants ou des adultes viennent se confier et révéler qu’eux aussi sont des victimes. J’ai tendance à me dire que si j’avais reçu de telles informations en classe, à l’époque où je subissais des viols, j’en aurais sans doute parlé. J’aurais compris alors qu’il ne s’agissait pas de relations homosexuelles consenties, ainsi que mon agresseur me le disait, au point de m’en convaincre. J’aurais compris qu’un adulte n’a pas le droit de se comporter ainsi avec un enfant.
Afin d’aider au mieux les victimes qui s’adressent à nous, nous avons mis en place un processus d’accompagnement adapté. Selon le traumatisme subi par les victimes, notre association, en partenariat avec d’autres associations de victimes, a désormais développé un réseau national de professionnels, notamment de psychologues, vers qui nous les orientons. Nous travaillons également étroitement avec les gendarmeries et les commissariats. Nous les appelons quand une victime ou sa famille nous demande de les accompagner, afin d’identifier qui, au sein des commissariats et des gendarmeries, a suivi une formation pour accueillir les victimes d’agressions sexuelles. Nous les prévenons de l’arrivée d’une victime, exposons sa situation, afin que cette dernière soit confrontée au moins d’obstacles possibles et ne se retrouve pas à expliquer au comptoir d’accueil ce qui lui est arrivé pour être reçue.
Il y a quelques jours, j’ai été reçu par le garde de sceaux, et je lui ai signifié qu’entre autres choses, les associations de victimes souhaitent que les victimes puissent bénéficier d’un suivi psychologique totalement pris en charge financièrement. En effet, les psychiatres qui ne pratiquent pas de dépassement d’honoraires sont rares et sont souvent complets des mois à l’avance, et les psychologues ne sont pas remboursés par l’Assurance maladie. En tant que victime, on a parfois l’impression que les agresseurs bénéficient de plus d’aide psychologique que nous. Nombreuses sont les victimes et anciennes victimes qui renoncent à un suivi psychologique, faute de moyens financiers.
J’aimerais terminer par une phrase qui est un peu le credo de notre association et par une note d’espoir. Nous disons souvent que : « Beaucoup d’associations donnent le sourire aux enfants, la nôtre évite qu’ils pleurent en silence et se détruisent un jour. ». Malgré 4 années de viols et après 18 années de silence et d’autodestruction, je suis la preuve que l’on peut s’en sortir. Pour cela il faut parler et donc pouvoir parler. La honte doit changer de camp.

 

Kathya de Brinon, victime de pédocriminalité, Présidente fondatrice de l’association SOS VIOLENFANCE

J’ai été victime de violences sexuelles, de mes 9 ans jusqu’à presque mes 12 ans, à la fin des années 1950. Il s’agissait d’inceste et de prostitution infantile, que j’ai subis par mon grand-père maternel, et par ses « bons amis . Je ne suis pas certaine que j’aurais parlé à l’époque s’il n’avait été question que de moi. Je pressentais que ce monstre avait également des vues sur ma jeune cousine et sur certaines de mes camarades de classe. Cela m’a incitée à tout révéler. Je me suis donc confiée à ma grand-mère paternelle, celle que j’ai toujours nommée « Maman », et qui m’avait élevée avec tendresse jusqu’à l’âge de 9 ans.
Mon père, si tôt alerté, m’a conduite chez notre médecin de famille qui n’a pu que constater mes dires :  j’avais bien été violée et sodomisée, mon corps était couvert d’ecchymoses et de cicatrices.
Avec le recul, et sachant que j’avais souvent été malade, il est évident qu’il « savait » et avait préféré garder le silence. Ce médecin avait toutefois rédigé un rapport médical très détaillé que ma mère a par la suite préféré faire disparaître…
Mon père avait voulu immédiatement porter plainte contre son beau-père, mais malheureusement ma mère est entrée dans une violente colère et l’a menacé de le quitter avec mon jeune frère. Par la suite, elle entra dans un déni dont elle n’est plus jamais ressortie…
Depuis ce jour, nous n’avons plus jamais fréquenté ma famille maternelle. Mon père m’a éloignée du père de ma mère. Je ne l’ai revu qu’à la fin de sa vie, par hasard. On m’avait fait croire qu’il avait été enfermé dans un asile, ce qui était faux. En réalité, il avait mené une vie tranquille et aisée, et ce jusqu’à sa mort.
A cause du déni de ma mère, ma parole ne s’est donc libérée que partiellement. Elle refuse toujours que l’on en parle. Pour elle, son père demeure et demeurera un officier héros de guerre, un notable fortuné.
Ma version des faits est, pour elle, tout simplement impensable.
J’ai appris par la suite que je n’avais pas été la seule victime de ce monstre, et qu’il avait également violé la fille de l’une de ses anciennes maîtresses, alors qu’elle n’était âgée que de 9 ans, tout comme moi.
Un tel traumatisme perturbe à jamais la vie d’un enfant. Il restera marqué par cette maltraitance.
Je suis passée de l’anorexie à la boulimie, j’ai souffert de violentes douleurs physiques dans le dos, j’ai subi le harcèlement de certains de mes professeurs et de mes compagnes de classe. Mon niveau scolaire s’est brutalement effondré.
Survivre fût alors un véritable challenge car tous les repères sont biaisés.
Jeune adulte, je considérais mon corps « comme un boulevard ». Je fus à nouveau violée par un employeur, puis j’ai donné naissance à un enfant suite aux viols infligés par mon compagnon de l’époque.
Le médecin de famille que j’avais fréquemment vu enfant avait bel et bien confirmé les violences sexuelles que j’avais subies. Cependant, je n’ai jamais bénéficié d’aucun soutien médical par la suite. Ce qui heureusement, et sans soutien familial, ne m’a pas empêchée de poursuivre et réussir mes études.
Je n’ai consulté pour la première fois un psychiatre qu’à l’âge de 24 ans. J’avais déjà effectué plusieurs tentatives de suicide. Il m’a fait comprendre que j’aurais dû bénéficier d’un suivi médical depuis mes 12 ans. Après de nombreuses séances, j’ai enfin admis que j’avais « le droit de m’estimer » et de prendre espoir en un avenir meilleur.
J’ai rencontré mon futur mari en 1980 et mes galères se sont atténuées. Il m’a crue, m’a soutenue et protégée, et ce jusqu’à ce jour.
En 2017, suite à une énième altercation avec ma mère concernant mon enfance, j’ai commencé à écrire « mon histoire », et mes deux livres furent publiés.
Il était important pour moi de témoigner pour alerter les adultes bienveillants des risques encourus par les enfants. Je voulais leur faire comprendre qu’un enfant violé n’en sortirait jamais indemne.
Même après l’inceste et la prostitution infantile, l’espoir d’une vie meilleure est toutefois envisageable. Bien sûr, elle ne sera pas exempte d’épisodes dépressifs.
Je le dis et je le répète : il vaut mieux prévenir que guérir car on ne guérit jamais totalement d’inceste et de pédocriminalité. Les insomnies perdureront. Dormir sans somnifère m’est hélas totalement impossible. Je n’ai jamais réussi à trouver un sommeil paisible. Des cauchemars continuent de me hanter et me ramènent souvent dans un passé cruel et jamais oublié.
Mes quatre enfants ont été très perturbés par cette vérité révélée publiquement. Ils m’ont rejetée, excepté l’un d’entre eux qui s’est progressivement ouvert à mon combat.
J’ai bien dû me rendre à l’évidence, mon passé dérange…
J’ai aussi des réactions très particulières lorsque je suis fortement perturbée par des allusions à mon passé. Mon cerveau se met alors en « pause-repos », ainsi que j’appelle ces épisodes traumatiques. Il me ramène à un âge où j’étais particulièrement heureuse, en général avant mes 9 ans. Je me mets alors à parler comme une enfant de 7 ou 8 ans. Ce sont des « amnésies protectrices » ainsi que je les nomme.
J’ai par contre eu la « chance » de ne pas développer de maladies chroniques ou de tumeurs, ce qui arrive souvent aux victimes de violences sexuelles.
Ce qui m’insupporte aujourd’hui, c’est d’oser désigner ces criminels comme étant des « pédophiles ». Les pédophiles aiment les enfants, les « pédocriminels », eux, les détruisent. Les violeurs d’enfants sont des criminels et devraient être jugés comme tels.
Ce qui me fait également bondir, c’est ce terme suranné de « tabou ». Il s’agit de « déni ». Dans beaucoup de familles comme dans notre société en général, en réalité, tout le monde « sait » et refuse tout simplement de révéler la vérité.
La prévention, en matière de violences sexuelles faites aux enfants, est notre seule arme pour éviter la destruction de nouvelles petites vies.
Il est nécessaire d’informer, de sensibiliser les adultes, les professionnels de santé, les personnels enseignants, les entraineurs sportifs, etc. à mieux détecter les enfants en détresse.
Il faut également répéter aux enfants que leur corps leur appartient et que nul ne doit y toucher. Dès qu’un enfant est en âge de se laver, de s’habiller seul, il faut le laisser faire sans intervenir.
Rappelons que le manque de sévérité des peines prononcées par nos magistrats favorise l’inceste et la pédocriminalité.
Les pédocriminels ne peuvent être laissés en liberté dans notre société sans que nous soyons assurés qu’un suivi psychologique sérieux effectué par des professionnels, et non par des charlatans, les accompagnera dès leur sortie de détention.
Les actualités suffisent à démontrer le nombre de récidives qui ont déjà eu lieu…
Enfin, la prise en charge de la santé des victimes devrait être totale. Il faut absolument faire évoluer les mentalités. Il s’agit là d’un véritable problème de Santé Publique.
Une véritable politique de prévention est indispensable. En matière de violences sexuelles survenues dans l’enfance, la guérison n’est jamais totalement acquise !

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