La semaine dernière, nous alertions dans cet article, sur les risques accrus de cancers de l’utérus chez 3 catégories de femmes qui méritent une attention particulière et de pratiquer, plus souvent que la population générale, des dépistages pour prévenir ces cancers. En effet, les femmes greffées, celles vivant avec le VIH et celles exposées au distilbène avant leur naissance ont tout intérêt à se surveiller davantage, d’autant que la presque totalité des cancers du col de l’utérus peut être évitée grâce à des dépistages réguliers par frottis.
Marie Darrieussecq, marraine du Réseau D.E.S. France et dont la maman a pris du distilbène pendant sa grossesse, ainsi que Jocelyne et Christine, toutes deux greffées depuis plusieurs années, nous livrent leur témoignage sur le sujet de la prévention et du dépistage des cancers du col de l’utérus, auquel elles sont particulièrement attentives.
Marie Darrieussecq, écrivaine, exposée au distilbène avant sa naissance et marraine du Réseau D.E.S. France
On a prescrit à ma mère du distilbène pendant qu’elle était enceinte de moi et j’y ai donc été exposée. Je l’ai su à l’âge de 14 ans. J’ai été alertée par la MGEN qui avait lancé une grande enquête à l’époque et avait envoyé un courrier à ma mère. Il se trouve que ma mère s’était méfiée de ce médicament et qu’elle croit se rappeler avoir, d’elle-même, baissé les doses prescrites. Elle a même conservé l’ordonnance depuis tout ce temps, pour faire preuve en cas de problème m’avait-elle dit. C’est peut-être grâce à cela que j’ai tout de même réussi à avoir des enfants, bien que mon utérus souffre de malformations. À 14 ans, tout cela semble très abstrait. Cependant à l’âge de 25 ans, le témoignage d’une collègue qui avait également été exposée au distilbène avant sa naissance et avait vécu plusieurs fausses-couches sans jamais réussir à mener une seule grossesse à terme, m’avait glacé le sang. J’ai alors compris que faire des enfants pourrait s’avérer difficile. Cette collègue m’avait également alertée sur le fait qu’elle souffrait de divers maux gynécologiques, et que mes soucis de santé liés au distilbène ne s’arrêteraient peut-être pas après d’éventuelles grossesses. Mon premier roman, Truismes, que je venais d’écrire à l’époque, qui est l’histoire d’une femme en métamorphose et qui a un rapport à la maternité très compliqué, montre à quel point tout cela m’angoissait terriblement. Plus j’avançais en âge et plus cela m’angoissait. Ainsi, à partir du moment où j’ai rencontré celui qui est devenu le père de mes enfants, j’ai très rapidement voulu tomber enceinte. J’étais consciente qu’il ne fallait pas que je réduise mes chances. Je savais que j’aurais des effets gynécologiques liés au distilbène, mais je ne savais pas à quel point, et à l’époque les données médicales sur le sujet n’étaient pas très précises.
J’ai donc effectivement eu de grandes difficultés pour avoir des enfants, avec malheureusement des médecins qui niaient à l’époque, assez souvent, l’impact du distilbène. J’ai cependant eu la chance d’avoir 3 enfants, aujourd’hui tous en bonne santé, nés tous les trois, en revanche, grands prématurés. J’ai également vécu des grossesses typiques des femmes exposées au distilbène et suis restée les trois fois, soit 1 an et demi de ma vie, strictement allongée et confrontée à de nombreux problèmes médicaux. À la suite de mes grossesses, j’ai connu aussi de petits soucis gynécologiques, toujours liés au distilbène. Je sens cependant que les soignants sont aujourd’hui plus réceptifs par rapport à ce sujet. Il faut parfois que j’explique, même à des professionnels de santé, pourquoi je dois faire une mammographie et un frottis tous les ans mais ils le comprennent tout de suite et ne minimisent plus le problème. Je me plie à cette surveillance soutenue car j’ai conscience que ces examens préventifs peuvent m’éviter de lourdes complications, même si je reconnais que cela m’angoisse. Finalement, faire une mammographie et un frottis chaque année me rassure jusqu’à l’année suivante. J’ai également conscience qu’il est indispensable de continuer d’informer les femmes exposées au distilbène avant leur naissance que leurs soucis de santé ne concernent pas uniquement les difficultés à enfanter et que la surveillance de certains cancers, comme ceux du col de l’utérus notamment, est très importante. Il est vraiment dommage que les pouvoirs publics ne relayent pas davantage ces messages de prévention. Je suis alerte également concernant les connaissances à propos des enfants de la troisième génération, c’est à dire de mes filles. Il n’est pas question de m’affoler ou de les affoler mais de rester vigilantes.
Jocelyne, 65 ans, greffée rénale, Dordogne
J’ai commencé mes dialyses quand j’avais 17 ans et depuis j’ai été greffée 3 fois. La première a eu lieu en 1974 mais le greffon n’a tenu que quelques mois. J’ai repris les dialyses jusqu’en 1977, où j’ai eu ma deuxième greffe. Malheureusement au bout de 5 ans, on m’a découvert un cancer, j’ai été traitée par chimiothérapie et mon nouveau rein en a souffert. Il a tenu encore quelques années avant d’envisager un retour en dialyse et une nouvelle greffe qui a pu se faire en 1994. Les examens médicaux, la surveillance, l’observance, sont donc des notions que je connais bien ! Cela me semble tellement important que je me suis engagée au niveau associatif avec France Rein Aquitaine et suis devenue présidente de France Rein Dordogne. Je suis très investie car je tiens à informer les personnes de l’importance de continuer à faire attention à soi après la greffe. En effet, les anti-rejets que nous prenons alors à vie, sont des immunosuppresseurs, c’est à dire qu’ils abaissent nos défenses immunitaires. Cela nous exposent donc plus facilement, par exemple à tous les virus, comme les papillomavirus humains notamment. Personnellement je ne néglige rien, avec une surveillance régulière en dermatologie, gynécologie, cardiologie, dentaire, etc. C’est vrai que j’y passe beaucoup de temps mais je dis toujours qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Dans tous les cas, s’il y a un problème, il vaut toujours mieux qu’il soit détecté le plus tôt possible. Dans ma vie, outre mes trois greffes, j’ai eu deux cancers. Je m’en suis sortie très probablement parce que j’étais attentive à me faire régulièrement dépister. Je reconnais que ce n’est pas toujours facile, peut-être encore davantage quand on est jeune et que l’on ne peut pas trop se permettre d’être insouciant. On peut être tenté de baisser un peu les bras, d’autant qu’en plus des divers examens à pratiquer régulièrement, il faut aussi prendre ses médicaments anti-rejets quotidiennement et à heure fixe matin et soir. Heureusement, la prise en charge médicale aujourd’hui est plus organisée qu’elle ne l’était à l’époque de mes premières greffes où les malades étaient quand même beaucoup livrés à eux-mêmes. D’ailleurs dans les années 1970, où j’ai eu ma première greffe, on ne nous expliquait pas vraiment les conséquences des immunosuppresseurs. Je suis de nature curieuse et je me suis beaucoup informée par moi-même, notamment auprès d’associations, mais sans cela, je n’aurais pas su aussi précocement que les anti-rejets abaissaient à ce point nos défenses immunitaires. En ce qui concerne l’intérêt du dépistage du col de l’utérus par exemple, j’ai su très tard à quel point il était important lorsque l’on est une femme greffée. Aujourd’hui, les personnes greffées sont plus soutenues, mieux informées des démarches de santé préconisées. Cela dit, cela pourrait être amélioré. Moi je suis très organisée, j’ai un agenda avec des rappels que je programme plusieurs mois à l’avance pour chaque spécialiste que je dois consulter ou chaque examen médical à pratiquer, car malheureusement, les consultations des spécialistes sont souvent complètes pour plusieurs mois. Cela peut être décourageant quand on n’est pas spécialement organisé ou que l’on est très fatigué et que l’on manque de soutien. Il ne faut pourtant pas perdre espoir ! Tout cela ne m’a pas empêchée de travailler, d’avoir une vie intéressante et d’en témoigner avec implication aujourd’hui !
Christine, 61 ans, greffée foie et rein, région de Bordeaux
J’ai bénéficié d’une double greffe foie et rein, du fait d’une maladie génétique. Je suis donc greffée du foie depuis 10 ans, et cela fera bientôt deux ans pour le rein, après 3 ans de dialyse. J’ai suivi des ateliers thérapeutiques, pré et post greffe, où l’on m’a sensibilisé aux risques de cancers, mais il s’agissait finalement d’informations très générales, avec quelques mises en garde plus orientées sur le cancer de la peau, mais je n’avais pas particulièrement reçu de recommandations par rapport aux cancers et au dépistage du col de l’utérus. Est-ce parce que les équipes soignantes supposent que les femmes ont tendance à bien se faire suivre sur le plan gynécologique ? Je ne sais pas. Il se trouve que de mon côté, c’était le cas et que je faisais régulièrement des frottis mais on ne m’a pas alertée du sur-risque éventuel du fait de la greffe, ni de l’intérêt de faire des dépistages plus réguliers après la greffe. C’est en réalité ma gynécologue qui m’en a informée et a pris des dispositions pour m’encourager à pratiquer des frottis chaque année à cause de mon traitement avec les médicaments anti-rejets. On part de du principe que les femmes, et notamment les femmes greffées, sont attentives à se faire dépister régulièrement, mais je ne suis pas certaine que cela soit le cas, et je trouve cette campagne de communication sur le dépistage des cancers du col de l’utérus particulièrement importante
En ce qui me concerne, faire davantage d’examens médicaux après la greffe ne m’a pas posé de problème. Je m’y suis volontiers habituée, d’autant plus que, selon moi, c’est une immense chance d’avoir pu bénéficier d’une greffe, et que je me dois de tout faire au mieux, pour continuer à vivre et respecter ce cadeau qui m’a été fait par le donneur et sa famille. Les examens que je pratique régulièrement, que cela soit en gynécologie ou avec d’autres spécialistes m’ont d’ailleurs permis de déceler un kyste dernièrement, heureusement bénin.
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