La Ligue contre le cancer a sorti au printemps 2020 une étude intitulée « Pénuries de médicaments : une perte de chance pour tous les malades. Focus sur le cancer ». Elle est le résultat d’une double enquête réalisée fin 2019 auprès de 1358 personnes, en cours de traitement ou dont le traitement est terminé depuis moins de 10 ans, et de 500 professionnels de santé. Elle concerne particulièrement les médicaments prescrits pour soigner les cancers et également les médicaments qui traitent les effets indésirables des anti-cancéreux (corticoïdes ou anti-vomitifs par exemple).
Pour la Ligue contre le cancer, il était indispensable de faire le point sur ces pénuries puisqu’en 2017, 22% des médicaments signalés en rupture de stock à l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) concernait des pénuries de médicaments en cancérologie.
Interview d’Amandine Courtin, Chargée de mission plaidoyer Société et politiques de santé
66 Millions d’Impatients : Pourquoi la Ligue contre le cancer s’intéresse-t-elle particulièrement aux pénuries de médicaments en cancérologie ?
Amandine Courtin : La Ligue contre le Cancer travaille depuis plusieurs années sur l’accès aux médicaments, notamment sur le prix des médicaments innovants qui sont très chers. Cependant, face à l’augmentation des pénuries de médicaments en cancérologie, nous portons désormais également un plaidoyer sur cette thématique. En effet, les anti-cancéreux sont la deuxième catégorie de médicaments la plus concernée par les pénuries.
Catherine Simonin, vice-présidente de la Ligue contre le cancer, a d’ailleurs été auditionnée dans le cadre de la mission d’information du Sénat sur les pénuries de médicaments à l’été 2018.
La question des pénuries est quasiment uniquement abordée du point de vue des institutions et des industriels mais jamais du côté des patients. On ne sait pas vraiment comment, ni à quel point, ce problème affecte les personnes malades.
Au printemps 2019, nous avons donc décidé d’approfondir le sujet des pénuries en commençant par valider un document de positionnement sur le sujet, puis nous avons voulu porter la voix des personnes malades à travers cette enquête.
Pourquoi avoir interrogé dans votre étude, en même temps, les personnes malades et les professionnels soignants ?
En préparant l’étude, assez rapidement, le constat fut que nous n’étions même pas certains que les malades étaient au courant de cette accélération des pénuries de médicaments, ni s’ils avaient éventuellement subi des pénuries sans le savoir.
Il s’agissait, pour la Ligue, de mener une étude exploratoire pour mieux comprendre la réalité du terrain. Nous avons donc pris le parti d’interroger les personnes malades et les professionnels de santé. Cette étude miroir entre patients et soignants nous a permis d’appréhender le niveau d’information de chacun sur les pénuries et les conséquences pour les personnes malades.
L’étude montre d’ailleurs d’emblée qu’il y a un grand défaut d’information sur le sujet. 73% des malades et 81% des professionnels soignants interrogés considèrent que « très souvent, les personnes malades ne sont pas informées des pénuries de médicaments auxquelles elles sont confrontées ».
Il en ressort que les personnes malades n’identifient pas clairement les éventuelles pénuries de médicaments en cancérologie, car ces pénuries ne sont pas toujours indiquées par les soignants. Un médecin qui saurait qu’il y a une pénurie sur un traitement ne le proposera sans doute pas à son patient et ne l’évoquera peut-être même pas. Cela n’empêche évidemment pas que les médecins sont très préoccupés à trouver des alternatives quand ils savent qu’un médicament est indisponible.
La Ligue s’est particulièrement intéressée, dans l’étude, à la notion de perte de chance pour les personnes malades confrontées à des pénuries de médicaments en cancérologie ?
Un des résultats de l’étude qui nous paraît l’un des plus importants concerne effectivement les pertes de chance des malades lorsqu’un médicament est indisponible. 75% des professionnels de santé interrogés estiment qu’il y a une perte de chance pour le malade dans un tel cas. 68% des oncologues pensent que cela a un impact sur la survie à 5 ans de leurs patients.
Le cas du Bacille de Calmette et Guérin (BCG), un traitement proposé pour le cancer de la vessie est emblématique à ce sujet. Une étude du CHU Edouard Herriot à Lyon, concernant 402 personnes traitées pour un cancer de la vessie entre 2011 et 2016, a montré que le risque de récidive pour les personnes qui ont subi une rupture de stock de ce traitement était nettement plus élevé que pour celles ayant bénéficié du traitement sans problème (Ourfali, Ohannessian et Fassi-Fehri, 2019).
Il est essentiel de pouvoir évaluer les pertes de chance des malades en cas de pénuries de médicaments. La crise de la Covid-19, sur ce point, permettra peut-être de faire avancer les choses car les ruptures d’approvisionnement de médicaments dans les services de réanimation ont permis de mettre en lumière le problème des pénuries.
Suite à la crise liée à la Covid-19, un rapport d’initiative sur les pénuries au niveau européen a d’ailleurs été voté par la commission santé et environnement du parlement européen. La Ligue contre le cancer a porté des amendements sur ce texte, notamment sur l’importance de réaliser des études sur les conséquences de ces pénuries pour les personnes malades. Cet amendement semble avoir été adopté.
Quelles sont aujourd’hui les demandes de la Ligue contre le cancer face aux pénuries de médicaments en cancérologie, notamment à la lumière de cette étude ?
La Ligue demande que les pouvoirs publics recensent les médicaments auxquels les malades n’ont pas eu accès et qui étaient prescrits en premier lieu. Il faut bien comprendre que pour une maladie aussi grave, les patients ressentent un choc émotionnel lorsqu’ils apprennent qu’un médicament prescrit dans leur traitement contre le cancer n’est pas disponible. L’étude montre d’ailleurs que 70% des malades apprennent la rupture d’approvisionnement d’un médicament par le pharmacien en ville. Le problème est que les médecins ont difficilement accès aux informations concernant la disponibilité en temps réel des médicaments qu’ils prescrivent. Il est important, faute de pouvoir pour le moment régler les causes des pénuries, de mettre au point un système d’informations accessible, autant par les pouvoirs publics, que par les médecins ou les pharmaciens, concernant les ruptures de stock en cours, et d’y adjoindre un historique de ces indisponibilités pour agir efficacement auprès des laboratoires. Un bon système d’information sur les pénuries en temps réel éviterait les difficultés d’annonce des ruptures de stock aux patients par les pharmaciens de ville et éviterait également aux patients de faire parfois toutes les pharmacies de leur quartier dans l’espoir de trouver le médicament prescrit. L’étude n’a pas exploré ce qui se passe quand un patient ne trouve pas son médicament, mais il serait intéressant de l’envisager. Le patient rappelle-t-il son médecin pour avoir une alternative ? Renonce-t-il tout simplement à ce médicament ? Cela permettrait d’affiner l’évaluation des éventuelles pertes de chance pour les personnes malades.
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