Etat des lieux sur la prise en charge de la douleur en France

Peut-être faites-vous partie des 12 millions de Français qui souffrent de douleurs chroniques et des 70% d’entre eux qui ne reçoivent pas un traitement approprié ? C’est le constat rappelé dans le Livre Blanc de la Douleur datant de 2017 et établi par la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD).

Sous-estimées, sous-évaluées, sous traitées, les douleurs perdurent, s’installent. Les traitements mal adaptés manquent d’efficacité, chronicisent les douleurs, causent souvent des effets secondaires difficiles à supporter, voire des addictions. De telles situations peuvent s’avérer très invalidantes physiquement et moralement, tant au niveau privé qu’au niveau professionnel.

Bien entendu, une prise en charge inadaptée ou défaillante des patients douloureux  entraîne alors d’importants coûts pour la collectivité.

Il existe pourtant des centres spécialisés qui accueillent les patients douloureux chroniques : les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD). Ces centres manquent malheureusement cruellement de moyens et alors qu’ils sont déjà engorgés, 30% d’entre eux pourraient fermer à moyen terme. En outre, il existe une iniquité territoriale d’accès aux soins très importante concernant le traitement de la douleur, puisqu’il n’y a tout simplement pas de médecins algologues dans certaines régions.

Le manque de volonté des pouvoirs publics par rapport à l’amélioration de la prise en charge de la douleur pousse ainsi de nombreux acteurs de la santé, dont les associations de patients, à s’emparer de ce problème, d’autant que le 4ème programme national douleur 2013-2017 n’a finalement pas vu le jour, que le sujet de la douleur a été quasiment absent du projet de loi santé de 2015, et que les budgets alloués à ce secteur s’amenuisent…

Douleur aiguë ou chronique ?

Le docteur Frédéric Maillard du Centre National Ressources Douleur (CNRD) à l’hôpital parisien Armand Trousseau rappelle qu’il y a différents types de douleurs : celles dites « aiguës », récentes, et celles que l’on qualifie de « chroniques », c’est-à-dire évoluant depuis plus de 3 à 6 mois. Les deux types de douleur ne se traitent pas de la même façon.

En ce qui concerne les douleurs aiguës, en traitant la cause et en donnant des antalgiques, on parvient généralement à traiter la douleur. La prise en charge de ces douleurs a bien progressé, notamment à l’hôpital où désormais les douleurs péri-opératoires sont bien anticipées. Cependant les douleurs provoquées par les soins sont encore difficiles à maîtriser et à soulager. La Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD), dans son Livre Blanc rappelle que :

  • « Plus de 60 % des patients admis aux urgences ont une douleur modérée à sévère et moins d’1 sur 2 reçoit un traitement antalgique à l’admission.
  • Les douleurs du cancer restent encore insuffisamment traitées et il existe encore des réticences à utiliser les médicaments morphiniques dans ce domaine.
  • Près de 20 % des patients opérés gardent des séquelles douloureuses après une opération chirurgicale.»

En ce qui concerne la douleur chronique, le docteur Maillard explique qu’elle peut correspondre à une douleur aiguë qui n’a pas été bien traitée et s’est prolongée. Il est donc important de dépister et d’évaluer rapidement une douleur qui s’installe pour la prendre en charge sans tarder car plus elle dure et plus le système de détection de la douleur deviendra hypersensible au point que même si la cause première de la douleur a disparu, le système nerveux enverra des signaux au cerveau qui l’interprétera comme étant de la douleur. C’est le mécanisme physio-pathologique de ce que l’on appelle une « douleur chronique » qui s’auto-entretient si on ne réagit pas le plus tôt possible. L’un des exemples les plus fréquents est la douleur de la lombalgie qui en se prolongeant finit par échapper aux traitements antalgiques classiques. On peut aussi parler des cas de personnes amputées qui ressentent la douleur de leur membre fantôme, car le système nerveux génère la sensation de douleur en la localisant sur le membre qui n’existe plus. Ce dernier exemple montre qu’il est possible que la douleur persiste alors que la cause paraît de façon évidente avoir disparu.

« C’est très décourageant pour les patients de souffrir dans un contexte où l’on ne peut pas mettre en évidence une cause et où le patient a du mal, en outre, à faire comprendre aux autres sa douleur. Pour les tiers, la douleur devient subjective et le patient peine à les faire valoir. Cela ajoute à la souffrance et à l’angoisse du patient. Il faut renforcer la formation des médecins à la prise en charge de ces douleurs afin qu’ils rassurent les patients, qu’ils leur expliquent pourquoi ils continuent d’avoir mal et de faire preuve d’empathie. Les patients ont besoin d’entendre qu’on les croit. », ajoute Frédéric Maillard.

La douleur chronique est donc plus difficile à prendre en charge et nécessite la plupart du temps de consulter des spécialistes de la douleur, qui proposeront une approche pluridisciplinaire.

Selon le docteur Maillard, il y a beaucoup à gagner à apporter de l’information au grand public et aux professionnels de santé concernant la douleur chronique, afin d’apprendre à distinguer les douleurs dues à une cause que l’on peut traiter des douleurs dues à une sensibilisation du système nerveux. Les premières causes d’échappement thérapeutique sont surtout le fait d’erreurs dans l’évaluation de la douleur.

Qui aller voir quand on souffre ?

Frédéric Maillard regrette bien sûr que le 4ème programme national douleur n’ait pas vu le jour, puisqu’il devait mettre en avant la façon dont les patients pourraient exprimer leurs douleurs et se rapprocher des acteurs de proximité pour une prise en charge efficace. En effet, en premier lieu, les patients vont voir leur médecin généraliste ou éventuellement des spécialistes, comme un rhumatologue par exemple en cas d’arthrose. Le fait est que tous les médecins n’ont pas forcément reçu une formation adaptée à la prise en charge de la douleur.

Il y a également un type de médecins spécialistes assez peu connus du grand public et pourtant entièrement dédiés à la prise en charge de la douleur : les algologues. Ce sont des médecins qui consultent principalement au sein d’établissements hospitaliers, dans ce que l’on appelle les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD), qui ont un rôle de recours en cas d’échec de la prise en charge auprès du médecin traitant. Malheureusement, seul un quart des établissements hospitaliers hébergent ce type de structures qui n’accueillent finalement pas plus de 3% des patients douloureux chroniques. Pour prendre rendez-vous dans un CETD, il faut avoir été adressé par son médecin, spécialiste ou généraliste, et le délai pour un premier rendez-vous se situe aux alentours de 3 mois, ce qui est très long quand on souffre…

Quels sont les traitements efficaces pour traiter les douleurs chroniques ?

Dans les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD), il y a une approche pluridisciplinaire qui permet aux patients de tester et de croiser différentes pistes thérapeutiques. Il n’y a jamais de solutions toutes faites. Cela va dépendre de chaque patient et il faut bien comprendre que la douleur ne se soigne pas exclusivement dans le cabinet des médecins.

Si l’approche médicamenteuse paraît la plus évidente, son efficacité est limitée dans le contexte des douleurs chroniques, pour lesquelles on tentera également :

  • Des approches physiques (par exemple : activité physique, stimulation électrique, kiné, yoga, acupuncture, Qi Gong,…) ;
  • Des approches psycho-corporelles (par exemple : psychologie, méditation, hypnose, etc.), qui permettent au cerveau d’interpréter la douleur différemment.

Le docteur Maillard précise : « Toutes ces approches sont des outils qui peuvent aider le patient à soulager sa douleur et si elle reste persistante, à accepter, à adapter sa vie en fonction de cette douleur. C’est un aspect essentiel pour le patient, car même si on peut parfois soulager un peu les douleurs, tout ne disparaît pas toujours et c’est alors important de travailler avec un psychologue pour gérer sa colère ou un sentiment d’injustice qui est comme une double peine pour le patient. Dans de tels cas, il faut pouvoir se fixer des objectifs compatibles avec l’état de santé du patient pour qu’il puisse accéder à un mieux-être, puis à un état de bien-être. »

Comment faire bouger les lignes et améliorer la prise en charge de la douleur ?

D’après Laurence Roux, Chargée de mission santé publique chez France Assos Santé et qui pilote le « groupe de travail douleur », un poids socio-culturel important persiste en France sur la vision de la douleur. Elle précise : « On accorde une valeur à la douleur, qui nous vient de nos origines judéo-chrétiennes. Intrinsèquement, la douleur est encore considérée comme rédemptrice, purificatrice ou punitive. ».

Elle explique que la douleur chronique n’est pas reconnue comme une maladie à part entière. De nombreuses associations de patients, comme l’Association francophone pour Vaincre les douleurs (AFVD) ou celles qui soutiennent les malades de fibromyalgie comme Fibromyalgie France ou Fibromyalgie SOS, ainsi que la Société Française d’étude et de traitement de la Douleur (SFETD) réclament cette reconnaissance, notamment à travers le plaidoyer rédigé il y a quelques mois par la SFETD et quelques associations de patients mais qui n’a donné pour l’instant aucun résultat probant.

« Chez France Assos Santé, un groupe de travail « douleur » a vu le jour. Ses objectifs sont d’intégrer la lutte contre la douleur dans toutes les politiques de santé, de soutenir le plaidoyer de la SFETD et d’interpeller les tutelles, comme la Haute Autorité de Santé et les Agences Régionales de Santé. Nous voudrions également chiffrer et identifier les problématiques de prise en charge de la douleur dans les commissions d’usagers. Chaque représentant d’usagers siégeant à l’hôpital va essayer d’obtenir les chiffres de son établissement, même si on a conscience que cela ne sera que partiellement représentatif puisque les questionnaires de satisfaction aux patients sont trop peu remplis et ne sont pas fiables. En outre, une note de position a été rédigée par le groupe et des professionnels de santé. Un amendement douleur, requérant la nécessité de produire un état des lieux de la lutte contre la douleur, par la rédaction d’un rapport, a été déposé et retoqué par le Sénat.

France Assos Santé lance également un projet pilote sur les parcours de santé de personnes atteintes de douleur chronique à Paris ».

Lire la note de position de la douleur de France Assos Santé, en suivant CE LIEN.

 

DEUX TECHNIQUES DE POINTE DANS LE TRAITEMENT DE LA DOULEUR

La neurostimulation médullaire expliquée par le Dr Borius, neurochirurgien à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris

On propose la neurostimulation médullaire dans le cas de douleurs permanentes qu’on appelle « neuropathiques », c’est à dire qu’elles sont liées à un dysfonctionnement du système nerveux. On réserve ce traitement à des patients qui souffrent de douleurs rebelles, qui résistent à la prescription de médicaments, ainsi qu’à la prise en charge globale telle qu’elle est proposée dans les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD).

Il s’agit de placer une électrode à la surface de la moelle épinière lors d’une intervention chirurgicale. Ces électrodes sont connectées à un neurostimulateur qui prend la forme d’un petit boitier, qui sera placé sous la peau (au niveau de l’abdomen, sous la clavicule, ou au niveau du quart supérieur de la fesse), au bout d’une semaine à 15 jours de test, si le patient réagit bien au traitement. C’est le cas pour plus de 90% d’entre eux lorsqu’ils sont bien sélectionnés.

Voici quel est le principe mis en jeu : dans le cadre de la douleur chronique, il y a une lésion nerveuse qui ne s’est pas réparée. Cela envoie au cerveau un message qui est celui d’une douleur permanente. La neurostimulation médullaire va « brouiller » le circuit de la douleur qui s’est mis en place depuis des mois, voire des années. Avec ce dispositif, le patient va ressentir comme des fourmillements au niveau de l’endroit où se situe sa douleur.

On cherche, en fait, à stimuler les fibres sensitives de la zone douloureuse, d’où le ressenti de fourmillements, pour atténuer voire bloquer le message de la douleur à cet endroit.

Il y a cependant des paramétrages de stimulation qui permettent de ne pas sentir les fourmillements tout en conservant l’effet antalgique. Les patients peuvent par exemple choisir d’avoir la sensation de fourmillement dans la journée (cela les rassure, cela leur montre que le dispositif fonctionne bien), mais la nuit ils préfèrent ne rien sentir.

10700 patients ont été traités par neurostimulation médullaire en France entre 2009 et 2013. Ce n’est pas encore une technique très connue, ni répandue, et tous les médecins ne pensent pas à adresser leurs patients à des équipes qui pratiquent ce type d’intervention.

Les analgésies intrathécales expliquées par le Dr Dupoiron, du département Anesthésie-Douleur de l’Institut de Cancérologie de l’Ouest

Quand on donne de la morphine par voie générale, on en donne finalement beaucoup pour parvenir à ce qu’une très petite dose parvienne jusqu’aux récepteurs qui se situent essentiellement au niveau de la moelle épinière, afin de diminuer la transmission du message de douleur.

L’idée avec l’analgésie intrathécale est d’administrer l’analgésique directement dans le liquide céphalo-rachidien, au plus près des récepteurs, pour réduire les doses de médicament. On peut ainsi baisser les doses par 300, c’est-à-dire que 300mg de morphine administrés par voie orale auront le même effet que 1 mg injecté dans le liquide céphalo-rachidien qui entoure la moelle épinière. On obtient ainsi un meilleur contrôle de la douleur et, dans le même temps, on fait baisser les effets secondaires indésirables de la morphine administrée par voie générale. Le risque de dépendance est évidemment réduit. En effet, dans la plupart des cas, on peut réaliser un sevrage complet des morphiniques.

D’un point de vue pratique, il s’agit de placer, lors d’une intervention chirurgicale, une pompe rechargeable contenant l’analgésique relié à un tube (cathéter) qui atteint le liquide céphalo-rachidien. On place la pompe sous la peau et on la recharge à l’aide d’une injection à travers la peau, avec une aiguille spéciale, pratiquée par des soignants spécifiquement formés. La pompe peut être rechargée souvent pour les patients en traitement de cancer par exemple, c’est-à-dire toutes les deux à trois semaines. Pour les cas moins sévères, on recharge la pompe tous les trois mois environ.

Il est possible de mettre d’autres types d’antalgiques que la morphine dans la pompe et notamment des antalgiques à base de molécules novatrices à très fort pouvoir antalgique comme le Ziconotide que l’on ne peut pas inoculer par voie générale tant cet antalgique est puissant.

Ce n’est pas un traitement de première intention, bien que cela commence à le devenir aux Etats-Unis à cause des problèmes rencontrés par l’abus d’opioïdes. En France, on le propose quand une prise en charge globale de la douleur a échoué, pour des douleurs chroniques installées depuis plusieurs mois ou plusieurs années. Il arrive cependant, pour les patients cancéreux par exemple si les douleurs sont réfractaires, de proposer rapidement les antalgiques en administration intrathécale.

Peu de centres pratiquent ce traitement, qui n’est donc pas disponible dans toutes les régions et concerne environ 300 patients aujourd’hui en France.

La pompe est réglable et elle délivre l’antalgique en continu avec une option pour le patient, qui peut, à l’aide d’une télécommande, s’auto-administrer une dose supplémentaire avec un paramétrage qui bloque évidemment la délivrance du produit au-delà d’un certain seuil.

TÉMOIGNAGE DE VALÉRIE GISCLARD, PRÉSIDENTE DE L’UNSED (Union nationale des syndromes d’Ehlers-Danlos)

Je suis née avec une maladie rare que l’on appelle un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, mais on ne me l’a diagnostiqué que très tard, après mes 40 ans. J’ai donc vécu une enfance m’entendant dire que j’étais une gamine maladroite, qui avait toujours un truc de travers. C’est surtout une maladie qui s’attaque aux tissus conjonctifs (muscles, tendons, ligaments, etc.) et plus de 80% de mon corps est touché. Cela m’a valu, tout au long de ma vie, de multiples entorses, luxations, déchirures. À cette maladie, s’est ajoutée une endométriose qui a entrainé plusieurs interventions chirurgicales lorsque j’étais jeune fille. Il y a 30 ans, on ne parlait que très peu de l’endométriose et personne n’a pris en compte ma douleur, malgré mes règles hémorragiques et le fait que je me tordais littéralement en deux de douleur. On disait de moi que j’étais douillette et que je voulais surtout éviter d’aller à l’école. En outre, l’endométriose ne faisait évidemment pas bon ménage avec le syndrome d’Ehlers-Danlos que j’ignorais à l’époque.

En fait, depuis que je suis enfant, ma vie est douloureuse et le pire est que l’on s’habitue finalement à la douleur. Elle devient la norme et on croit que tout le monde a ce même niveau de douleur. Je me souviens que lorsque j’ai commencé à travailler, assez jeune, dans l’hôtellerie, quand je rentrais le soir, je n’arrivais pas à m’endormir tant j’avais mal partout et, à vrai dire, je pensais que tout le monde se couchait dans cet état.

Bien sûr, je trouve révoltant que l’on ne m’ait pas crue à l’époque, mais on ne prête pas plus attention à mon état de santé aujourd’hui, alors que désormais j’indique aux soignants que j’ai un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile. C’est une maladie rare, donc je comprends que tout le monde ne la connaisse pas, mais souvent aux urgences, on dénigre mes douleurs sans chercher à se renseigner sur cette maladie. Il est même arrivé que l’on me donne, à mon insu, des morphiniques et des opiacées, alors que j’avais averti que j’étais allergique et que j’avais même sur moi ma carte d’allergies. Pire, j’ai malheureusement dû faire face également à une leucémie et il a fallu que je me batte pour ne pas précipiter les soins et rencontrer des médecins qui veuillent bien prendre en compte et m’expliquer les implications par rapport au syndrome d’Ehlers-Danlos.

À cause du syndrome d’Ehlers-Danlos, j’ai un périmètre de marche limité, une station debout difficile, des subluxations récurrentes des hanches, des genoux, des épaules, et j’ai donc besoin d’un fauteuil roulant électrique. La douleur fait partie de ma vie, alors quand je dis à un médecin que j’ai mal et que j’ai besoin d’une prise en charge spécifique pour mes douleurs, c’est que je suis arrivée à un stade de souffrance intolérable. Pourtant, il y a quelques semaines, alors que j’ai demandé une consultation pour la douleur à mon hématologue, il m’a tout simplement dit qu’il fallait que je me débrouille seule pour obtenir une consultation avec un spécialiste, en sachant que les temps d’attente sont très longs pour obtenir un rendez-vous.

Bien sûr, ces dernières années, on entend parler d’échelle de douleur à l’hôpital. Mais dans mon cas, quand un soignant m’interroge sur mon niveau de douleur, sur quoi suis-je sensée lui répondre ? Ma hanche, mes problèmes digestifs, mes épaules luxées ? Il y a eu des efforts peut-être, mais la réalité est que les équipes soignantes n’ont pas le temps de nous écouter et qu’on nous laisse sans solution. Dans mon cas, avec mon allergie aux morphiniques et aux opiacées, on ne me propose tout simplement rien d’autre pour essayer de me soulager. Là, je parle de douleur physique, mais c’est sans compter la souffrance morale que je vois beaucoup parmi les malades souffrant du syndrome d’Ehlers-Danlos que je rencontre. On a absolument besoin de comprendre d’où viennent nos douleurs. C’est une aide précieuse pour les supporter, mais bien souvent les malades manquent d’un accompagnement adapté sur ce point. La prise en charge de nos douleurs dépend vraiment de l’empathie des soignants que l’on rencontre et je dirais qu’une fois sur deux, on a un risque que cela se passe mal. En ce qui me concerne, j’ai subi beaucoup de dénigrements, voire d’humiliation de la part des personnels soignants qui ne me croyaient pas et c’est vraiment dur à supporter.

C’est pour cela que je me suis engagée à faire changer les mentalités, à collaborer avec les équipes dédiées pour mettre en place des solutions pérennes pour les patients.

TÉMOIGNAGE DE CLAIRE, 52 ANS ET PATIENTE EXPERTE AU SEIN DE L’AFVD (Association francophone pour Vaincre les douleurs)

J’ai une déformation de la colonne vertébrale qui a été diagnostiquée à l’adolescence et la douleur est devenue chronique il y a une douzaine d’années. Actuellement, À 52 ans seulement, je suis en retraite anticipée depuis 2 ans pour invalidité à cause de mes douleurs. Il a fallu que j’organise ma vie en fonction de ces douleurs et notamment de me résoudre, à un moment, à me mettre à mi-temps thérapeutique, ce qui a représenté une perte de revenus importante bien sûr. J’ai également entrepris des séances de relaxation, de sophrologie, de méditation pleine conscience, qui m’ont beaucoup aidée mais qui n’étaient pas prises en charge par l’Assurance maladie.

Je souffre de ce que l’on appelle des douleurs neuropathiques, dues à des lésions nerveuses de nerfs qui se sont retrouvés coincés dans la colonne vertébrale. Cela se traduit par des pertes de sensibilité, des douleurs intenses et des risques de paralysie. Le risque de paralysie a été évité de justesse mais les douleurs sont restées et elles sont réputées comme étant très difficiles à soulager. Les traitements qui existent actuellement ne fonctionnent pas efficacement chez tous les patients. En ce qui me concerne, je n’ai pas réagi de façon optimale. Au bout de 3 ans d’échec thérapeutique, après avoir essayé tous les médicaments possibles, et une prise en charge pluridisciplinaire dans un centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD), j’ai été orientée vers la neurostimulation médullaire qui m’a apporté un soulagement partiel, suffisant pour gérer un peu le quotidien mais par pour retourner au travail. Ce qui m’a beaucoup perturbée dans ce parcours de soin, c’est qu’il a fallu que je comprenne toute seule que j’étais arrivée au bout du chemin par rapport à ce que la médecine pouvait me proposer. Cela m’a pris des années, après de nombreuses tentatives pour reprendre mon travail, que je n’y arriverai plus. On n’est plus vraiment accompagné dans cette phase. C’est un deuil à faire. J’aurais aimé que l’on me dise que l’échec thérapeutique est une possibilité, que cela arrive parfois. C’est très difficile d’avoir à le comprendre et l’assumer seul, car on s’épuise pour essayer d’atteindre des objectifs qui ne sont tout simplement pas réalistes. J’aurais pu anticiper, revoir mes projets de vie et éviter de passer par une longue étape très décourageante.

Mon parcours a été ponctué d’une grande difficulté à trouver des médecins qui soient à l’écoute et j’ai changé plusieurs fois de médecins traitants car ils sont peu formés à la prise en charge de la douleur.

Au cours de ces dernières années, j’ai remarqué que les délais de rendez-vous pour voir un spécialiste – et pas uniquement un spécialiste de la douleur – s’allongent et atteignent souvent jusqu’à 6 mois. En outre, tous les spécialistes ne sont pas formés à la prise en charge de la douleur chronique. Cela signifie que ce n’est pas parce qu’on est enfin dans le cabinet du spécialiste que l’on aura une écoute et une prise en charge adaptée pour la douleur. On est alors réorienté vers un autre praticien, 6 mois s’écoulent à nouveau et entre temps il faut supporter sa douleur et essayer de vivre avec, sans traitement, ni accompagnement adaptés. Avec de la chance, le médecin généraliste connaît et comprend le patient douloureux mais ce n’est pas fréquent et pour les généralistes, ce sont des consultations chronophages, alors qu’ils sont déjà débordés. Enfin, il y a les consultations dédiées à la douleur dans les centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD), mais là aussi, les délais sont très importants puisque selon les centres, il faut parfois attendre 1 an ! Il y a donc beaucoup d’errance thérapeutique. Ces délais jouent avec la santé du patient puisque la douleur peut s’aggraver, et sa situation professionnelle, privée et sociale peut se dégrader.

Je pense aussi que les médecins sont eux-mêmes désemparés quand ils n’ont pas la solution pour soulager leurs patients et qu’il peut aussi se mettre en place un système de défense chez eux qui consiste à leur répondre qu’ils n’ont rien, que c’est dans leur tête, qu’ils ne font pas assez d’efforts et se complaisent dans cette situation. Les médecins n’ont pas les clés, dans leur formation, pour affronter ces situations où ils sont finalement impuissants et ils réagissent parfois par de l’exaspération.

4 commentaires

  • Maryvonne ROYER dit :

    Bonjour je m’appelle maryvonne, j’ai des douleurs neuropathiques suite à une hysterectomie, je souffre atrocement, j’habite le mans. j’ai été suivie aux centres centre anti douleurs du mans et à Nantes très déçue de leurs prises en charge. dernièrement une kiné a augmenté ma douleur à l’abdomen j’ai 65 ans trop âgée pour neurostimulateur trop bête peut être j’ai bac plus 2 sans doute pas assez pour rentrer dans les cases on m’a dit d’aller voir un psychologue il y a bien longtemps que j’ai fait cela psychiatre psychologue médecines parallèles etc à part me donner la mort car je n ai pas la force d’aller en suisse pour faire le suicide assisté. Merci de me lire

  • Lamy dit :

    Bonsoir Maryvonne, nous sommes le 12 mai 2022, je viens juste de vous lire, et il est sans doute trop tard.
    J’ai 43 ans, et j’en suis exactement là où vous êtes quand vous avez écrit votre message.
    Ma « prise en charge » a été de la maltraitance tout du long. Oui, de la maltraitance, et encore je trouve le mot très faible. C’est une honte. Il faut que les patients aient la force de témoigner, pour peut-être sauver des personnes du suicide. J’ai dit aux médecins que la douleur n’était plus tolérable, que j’allais me suicider. Mais personne n’a rien fait, rien dit. j’ai tenté de me suicider à 4 reprises. Une fois, j’y suis presque parvenue. En arriver là, c’est inadmissible. Mais le médecin dira qu’il n’y est pour rien. Ce n’est pas parce que la douleur n’est pas supportable, nuits blanches, sueurs profuses, frissons, vertiges, perte de 20 kilos, perte du travail, du logement, de la garde des enfants, du conjoints, puis des amis. Non, ce n’est pas à cause de la douleur que j’ai tenté de mettre fin à mes jours, mais parce que je suis déprimée. Pourtant, on me gave d’antidépresseurs, mais rien pour la douleur. 10 ans que le macabre manège dure. Jusqu’à la mort.

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