Tour de France de la santé insulaire : Martinique et Guadeloupe

Voyageons un peu cet été avec un tour de France de nos délégations insulaires, ou qui ont des îles sur leur territoire. Nous avons déjà fait escale en Corse et en Bretagne, passerons bientôt à la Réunion et nous arrêtons cette semaine à la Guadeloupe et à la Martinique, pour rencontrer, dans chaque région, les coordinateurs régionaux de France Assos Santé, et mieux cerner les enjeux médicaux, l’offre de soins et l’accès aux soins ainsi que la vitalité de la démocratie en santé sur chacun de ces territoires.

Nous voici donc cette semaine aux Antilles, où nous avons fait le point avec Johanna Thomas et Suzie Ridarch, respectivement, coordinatrices des délégations de France Assos Santé à la Guadeloupe (incluant les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy) et Martinique. Elles ont, concernant la santé de leurs îles, beaucoup de points communs avec une population particulièrement touchée par des maladies chroniques, comme le diabète, une forte pollution environnementale causée entre autres par le chlordécone, une offre de soins peu lisible et présentant de fortes difficultés d’accès. Dans ce contexte compliqué, elles doivent aussi faire la promotion de la démocratie en santé, qui n’est pas culturellement très répandue sur leur territoire.

Des habitudes alimentaires qui favorisent des problèmes de santé, notamment du diabète

Il y a depuis quelques années, une nette augmentation des pathologies chroniques aux Antilles, notamment du diabète et de l’hypertension, sous-tendues par une mauvaise hygiène alimentaire et une sédentarisation qui entraînent des problèmes de surpoids et d’obésité. L’Association Française des Diabétiques (AFD) rappelle que la Guadeloupe est le département français le plus touché par le diabète avec 10,5% de la population qui en souffre, juste suivie par la Martinique où 1 personne sur 10 est concernée. Suzie, coordonnatrice de France Assos Santé à la Martinique souligne : « Le diabète est devenu une maladie très présente sur nos territoires, aggravés par des facteurs probablement génétiques, or les populations manquent d’informations sur la corrélation entre alimentation et diabète, sur les bonnes habitudes à prendre et les pièges à éviter. Bien entendu à la Martinique, l’AFD départementale organise des actions de prévention, mais le problème est réellement structurel. Par exemple, aux Antilles, il a fallu passer par la Loi Lurel de 2012 pour contrôler les taux de sucre dans les aliments, car les sodas étaient beaucoup plus sucrés qu’en France hexagonale (voir les résultats d’une récente enquête de la DGCCRF sur la bonne application de cette loi). Les lobbies industriels sont malheureusement très puissants. C’est triste et incompréhensible, mais alors que nous avons certaines denrées alimentaires locales, elles reviennent finalement plus chères que d’acheter des produits d’importation. Par ailleurs, concernant l’hypertension, il faut savoir que culturellement, sur nos îles, la population mange particulièrement salé. Cela fait même l’objet de plaisanteries chez nous.». Johanna, coordinatrice de France Assos Santé à la Guadeloupe confirme « A la Guadeloupe, nous partageons la même culture alimentaire et festive que la Martinique. La prévention s’organise mais elle manque de soutien et d’écho. Les forums de type « villages santé » organisés sur notre territoire, où nous croisons régulièrement l’AFD Guadeloupe d’ailleurs, rencontrent un succès très relatif malheureusement. Les populations ne se déplacent pas. Et cela est également vrai pour d’autres types d’actions de prévention, comme celle pour les cancers, à l’exception d’Octobre Rose qui concerne le cancer du sein. Sans doute faudrait-il réfléchir à d’autres formes d’actions de sensibilisation.  ».

Le chlordécone

Pesticide utilisé depuis les années 1970 et jusqu’au début des années 1990 dans les bananeraies de la Guadeloupe et de la Martinique pour lutter contre le charançon du bananier, le chlordécone a malheureusement créé une pollution environnementale persistante. On en retrouve dans les denrées alimentaires, l’eau, et outre les dégâts causés sur la faune et la flore, terrestres et aquatiques, les études réalisées jusqu’alors montrent qu’il peut causer chez l’homme des troubles neurologiques, hépatiques, rénaux, des troubles du développement, des perturbations endocriniennes, des troubles de la fertilité masculine, de la grossesse et le cancer de la prostate. Le plan Chlordecone IV est en cours (2021-2027). Suzie, à la Martinique précise : « Les populations sont parfois réticentes à consommer des denrées locales et c’est compréhensible puisque des études ont mis en lumière que le chlordécone avait même contaminé les potagers familiaux, les œufs et les volailles. En revanche, les productions des circuits professionnels locaux sont plus sûres puisque les sols font l’objet d’analyses. ». Cela dit, ces analyses de sol sont d’ailleurs gratuites pour les agriculteurs et les particuliers.

Vivre sans chlordécone et réparer par l’action

Un mode de vie trop sédentaire ?

Heureusement, parmi les actions de prévention et de promotion de la santé proposées sur les îles françaises des Antilles, les défis sportifs (marches, courses, randonnées, etc.) ont le vent en poupe, à l’instar de la course de 24h, « Le Relais pour la Vie », organisée par la Ligue contre le cancer. L’activité physique est plutôt bien valorisée, avec des parcours sportifs installés sur les deux territoires, et l’activité physique adaptée, plus spécifiquement, se développe également de plus en plus à la Martinique et à la Guadeloupe. Cependant Johanna s’interroge : les populations bougent-elles suffisamment ? « Tout le monde est très dynamique au moment du Carnaval par exemple, et reste debout à danser, des heures durant. Cependant, l’organisation des transports en commun étant trop peu développées sur nos îles, la majorité des déplacements se font en voiture. Il est probable qu’au quotidien les Guadeloupéens, et sans doute aussi les Martiniquais, marchent moins qu’en hexagone notamment dans les grandes villes. », constate la coordinatrice. Suzie remarque aussi que les jeunes générations supportent moins les longues marches sous le soleil par rapport à leurs parents et grands-parents. Les statistiques de l’INSEE sur le sujet sont assez étonnantes, car si les métropolitains sont plus nombreux à faire 30 minutes de marche ou de vélo chaque jour (31,5% de la population métropolitaine vs 18% à la Guadeloupe), ils passent également plus de temps assis ou allongés, sans dormir que leurs compatriotes guadeloupéens.

Pendant que les moustiques attaquent, la prévention recule ?

A la Martinique, Suzie note que l’ARS mène toujours des campagnes de sensibilisation concernant la dengue mais moins qu’auparavant. Selon les deux coordonnatrices, la prévention sur le sujet des maladies vectorielles dues aux moustiques, c’est-à-dire le chikungunia, la dengue et zika, semble avoir perdu du terrain depuis la crise Covid alors que les moustiques de leur côté sont toujours bien actifs !

L’offre de soins à la Guadeloupe et Martinique

Sur les deux territoires, où les transports en commun sont peu développés, l’accès aux soins est difficile. Il l’est sans doute un peu plus, sur le plan géographique, à la Guadeloupe, qui présente une double insularité par rapport à la Martinique. Les petites îles qui lui sont rattachées (La Désirade, Les Saintes, Marie-Galante) ont évidemment une offre de soins locale très réduite. Johanna constate que : « Par ailleurs, le CHU de la Guadeloupe connaît toujours des faiblesses importantes suite à l’incendie de 2017 et à des problèmes structurels préexistants. Le Covid a également aggravé la situation sanitaire. En réalité, l’offre de santé n’est pas très lisible. On espère que la généralisation du SAS (Service d’Accès aux Soins), pourra renforcer la coordination des parcours. Actuellement les habitants ne savent pas trop où s’orienter, d’autant que les délais d’attente, surtout pour les spécialistes, sont très longs. Cela pourrait s’aggraver car de plus en plus de professionnels partent à la retraite. Face à ses difficultés, une grande partie de notre population renonce aux soins. ». Suzie à la Martinique fait le même constat et rapporte que le CHU accueille trop de malades qui engorgent les urgences, par habitude, et parce que c’est totalement gratuit, pour des situations qui devraient être prises en charge en ville. Suzie poursuit : « Certains, ne parvenant pas à obtenir de rendez-vous ou méfiants sur la qualité des soins font le choix, quand ils en ont les moyens, d’aller se faire soigner dans l’hexagone. Pour les cas où la spécialité n’existe pas sur notre territoire, les prises en charge sont possibles pour aller en France hexagonale mais les patients sont souvent confrontés à une réelle lourdeur administrative et financière. Comme nous sommes dans les mêmes locaux que La Ligue contre le cancer, nous avons régulièrement connaissance de malades qui ne reçoivent pas leur confirmation de prise en charge à temps, ou vraiment à la dernière minute. Par ailleurs, la prise en charge ne concerne souvent que le transport et pas l’hébergement. ».

La démocratie en santé à la Guadeloupe et à la Martinique

A la Martinique, Suzie constate que la démocratie en santé n’est pas encore entrée dans les mœurs, que peu de gens connaissent leurs droits en santé et moins encore l’existence des représentants des usagers (RU) et de leur rôle au sein de la Commission des usagers (CDU), qui est l’instance la plus connue et dynamique. Il manque donc des RU sur l’île, qui souvent cumulent des mandats, malgré un regain avec de nouveaux candidats suite à l’appel pour le renouvellement des CDU au début 2023. La coordinatrice de la Martinique précise : « Malheureusement, ces candidatures se heurtent à des difficultés concernant les agréments de représentation des associations membres. En effet, sur 15 associations membres de France Assos Santé à la Martinique, 2 seulement ont des agréments strictement régionaux. Les autres étant des antennes d’associations nationales agréées, elles fonctionnaient jusqu’alors avec des attestations des délégations pour bénéficier de l’agrément. Or récemment, ce système a été remis en cause. Nous sommes donc pour l’instant en attente pour la validation des mandats de certains RU et d’une réunion avec l’ARS pour mieux comprendre ce qu’il se passe. ». En ce qui concerne l’animation de son réseau de RU, Suzie déplore une rupture dans la dynamique depuis la crise du Covid. Elle a du mal à organiser des réunions d’échanges entre RU et certaines formations ont été annulées, faute d’inscriptions. Pour pallier ce défaut, il arrive que Johanna et Suzie réunissent les RU de la Guadeloupe et de la Martinique pour constituer des groupes de formation. A la Guadeloupe, Johanna dresse le même constat sur la méconnaissance des représentants des usagers par la population. Elle rappelle que sur les îles des Antilles, malgré l’ancienneté de la loi Kouchner, la culture de la démocratie en santé est peu répandue. « Notre premier travail est de valoriser la démocratie en santé auprès de nos associations membres afin qu’elles s’en fassent le relais auprès de leurs bénévoles. Ce n’est pas si simple, puisque les associations elles-mêmes ont déjà des difficultés à recruter des bénévoles pour assurer leurs propres actions. ».

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