Tour de France de la santé insulaire : La Corse

Voyageons un peu cet été avec un tour de France de nos délégations insulaires, ou qui ont des îles sur leur territoire. Nous irons donc, tour à tour, aux Antilles, à la Réunion et en Bretagne, pour rencontrer, dans chaque région, les coordinateurs régionaux de France Assos Santé, et mieux cerner les enjeux médicaux, l’offre de soins et l’accès aux soins ainsi que la vitalité de la démocratie en santé sur chacun de ces territoires.

Commençons notre périple en Corse où nous avons fait le point avec Christelle Félix, coordinatrice et seule salariée de sa délégation. Entre mer et montagne, la Corse est marquée par de grandes inégalités d’accès aux soins, notamment du fait des difficultés liées aux déplacements des habitants de l’île. Ces derniers sont, par ailleurs, confrontés à un fléchissement du vieillissement de sa population, qui augmente les besoins médicaux alors que l’offre est trop peu renouvelée. En outre, il s’agit d’une région particulièrement impactée par la pauvreté par rapport à la moyenne nationale, et les renoncements aux soins ne sont pas rares. Enfin, cet accès aux soins est rapidement saturé par l’augmentation de sa population, dès que la saison touristique arrive. Une saison touristique qui a tendance à maintenir à la hausse divers enjeux de santé en Corse, comme celui des conduites addictives chez les jeunes.

 

Démographie et impact sur les problèmes de santé en Corse

Il y a en Corse un vieillissement de la population très marqué. Avec 8,3% en 2019, la Corse présente le taux de natalité le plus bas de la France métropolitaine, la moyenne nationale étant de 11%. « Les naissances sont surtout soutenues grâce au solde migratoire positif en Corse. », précise Christelle Félix.

La population de l’île est centrée sur 2 bassins de vie urbains, avec Ajaccio et Bastia. Une grande partie de la population vit dans des zones rurales, et c’est là que l’on retrouve les populations les plus âgées. L’espérance de vie est assez élevée en Corse. D’après une récente étude, la Corse serait la région d’Europe où l’on vit le plus longtemps. Ce vieillissement de la population, où le taux de décès est plus élevé que le taux de natalité, peut s’expliquer par le fait que les jeunes, dans un contexte où il est difficile de trouver sur l’île un travail stable, ont tendance à partir vivre ailleurs.

Ces situations démographique et économique entraînent sur l’île une importante pauvreté et précarité. En termes de santé, les conséquences se font sentir sur la prévalence des maladies chroniques et sur les problèmes liées à l’autonomie, notamment des personnes âgées. « Parmi les maladies chroniques, le nombre de personnes atteintes par le diabète est très élevé, sans qu’aucune cause particulière soit évoquée mais plutôt une combinaison de facteurs. », rapporte Christelle.

La Corse présente également aussi quelques spécificités en matière de santé, comme la présence de thalassémies, un groupe de maladies génétiques qui touchent les pays du bassin méditerranéen et sont dues à une anomalie de l’hémoglobine. Par ailleurs, il y a eu en Corse des cas de bilharziose, une maladie normalement tropicale et subtropicale, provoquée par un parasite et qui engendre des atteintes urinaires. Le parasite en question a contaminé des eaux de baignade en rivière, probablement via l’urine d’une personne infectée qui s’y serait baignée. Enfin, en Corse, il y a beaucoup de granit et donc un risque d’exposition au radon, qui est plutôt bien surveillée.

A tout cela s’ajoute une surmortalité chez les jeunes induite par une sur-représentation des conduites addictives sur le territoire corse. Le fait que la Corse soit une région très touristique l’été la rend vulnérable à la consommation de drogues et d’alcool. Précisons que le prix du tabac sur l’île est moins élevé que sur le continent. « Cela n’est pas sans conséquence sur l’attitude des insulaires. », constate la coordinatrice régionale de France Assos Santé.

Offre de soins et accès aux soins en Corse

En ce qui concerne l’offre de soins, Christelle Félix rapporte que la Corse est correctement pourvue au niveau des soins de base. Il manque cependant quelques spécialités, pour lesquelles les malades sont suivis sur le continent, principalement à Marseille. Pour les prendre en charge, des systèmes sont mis en place par la Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM). A ce sujet, une des deux CPAM de Corse a répondu à un appel à projet et bénéficie, depuis 2019, d’un dispositif innovant qui passe par une agence de voyage spécialisée pour assurer l’organisation des déplacements des malades vers le continent. Reste à régler par les usagers, uniquement le montant non pris en charge par l’Assurance maladie, qui est raisonnable et éventuellement remboursé par les complémentaires santé. Ce reliquat reste cependant un frein pour certaines familles.

Il y a, en Corse, deux centres de référence, c’est-à-dire deux hôpitaux, à Ajaccio et Bastia. La Corse est la seule région de France à ne pas avoir de Centre hospitalier universitaire (CHU). Sur ce point, Christelle Félix nuance : « Beaucoup de personnes militent pour que soit implanté un CHU sur l’île ; effectivement cela comblerait un manque évident, cependant parviendra-t-on à attirer des enseignants sur l’île pour délivrer un enseignement de qualité ? Par ailleurs, si cela doit se faire, quelle forme aurait le CHU ? Aura-t-on les moyens d’organiser toutes les spécialités en Corse car nous sommes soumis à un effet de seuil très important. »

Au niveau des centres de référence, pour les cancers, l’endométriose, la sclérose en plaques, Parkinson, par exemple, il y a des points à améliorer qui simplifieraient nettement la vie des malades d’après Christelle. Pour ces spécialités, certains patients sont pris en charge sur l’île mais ils sont souvent dirigés vers Marseille, même pour une simple consultation. Il serait intéressant d’organiser des consultations avancées dans les centres de référence pour ce type de pathologies, et la coordinatrice a remarqué que c’était d’ailleurs en train de changer, notamment grâce à la mobilisation des usagers. Elle ajoute que le principal enjeu en Corse est de mettre en place les filières de soins pour bien optimiser l’offre de soins disponible sur l’île. Elle se réjouit de voir que les stratégies bougent justement dans ce sens.

En outre, il ne faut pas perdre de vue, que les zones rurales, nombreuses en Corse, sont également des déserts médicaux et que la typologie largement montagneuse de l’île, ainsi que ses infrastructures et offres de transport, rendent difficiles les déplacements. Beaucoup de personnes sont donc éloignées des centres de soins, eux-mêmes concentrés dans les zones urbaines. Heureusement, souvent la solidarité familiale est forte dans les secteurs les plus isolés et les anciens sont, en général, aidés par les proches.

Les freins à l’accès aux soins sont également le fait d’une sur-représentation de la précarité de la population en Corse (le taux de pauvreté en 2019 pour la Haute-Corse est de 19,8% contre une moyenne nationale de 14,6%), qui renonce donc parfois à des soins pour des raisons financières.

Enfin, l’offre et donc l’accès aux soins, sont mises à mal dès que la saison touristique reprend puisque rien n’est alors prévu pour absorber le flot des touristes. A titre d’information, alors que la Corse comptait près de 340 000 habitants en 2019, selon une enquête de l’INSEE, l’île a accueilli 2,6 millions de touristes entre mai et novembre 2017. Chaque été, l’île est donc en forte tension médicale. Christelle Félix souligne que pour l’été 2023, certaines gardes ne seront probablement pas assurées faute d’effectif suffisant. « Cela tient, tant bien que mal, grâce à la volonté des professionnels de santé mais cela détériore forcément la qualité de la prise en charge. », précise-t-elle.

Démocratie en santé en Corse

D’après les retours de Christelle Félix, le tissu associatif en Corse est dynamique, même si les associations sont de petites tailles, parfois représentées par une seule personne et qu’elles disent avoir du mal à recruter des jeunes. Cela engendre que beaucoup d’associations en Corse ne sont pas agréées par manque de temps ou de connaissances pour assurer cette partie administrative. Christelle collabore donc avec beaucoup d’associations qui n’ont pas l’agrément. Par ailleurs les difficultés de transport sur l’île isolent les associations les unes des autres et compliquent la mise en place d’actions partout sur le territoire.

France Assos Santé a de bonnes relations avec les CPAM de Corse et est régulièrement conviée par l’ARS pour ses divers travaux et événements. Il y a cependant quelques points à améliorer, comme le fait que la délégation n’a pas accès à la liste des associations agréées du système de Santé, ni à la liste des représentants des usagers car ces listes ne sont pas mises à jour. « Heureusement, je connais bien les RU sur la Corse, que j’ai tous, assez régulièrement, au téléphone. Il y a une bonne dynamique, nous parvenons à nous rencontrer en visio et en présentiel, malgré les distances. Ils sont peu nombreux, mais demandeurs de conseils et de formations bien entendu. J’en organise 4 chaque année, en prenant soin de leur envoyer un questionnaire en amont pour connaître leurs souhaits sur les thématiques à programmer. », souligne Christelle. La coordinatrice en profite pour mettre en lumière le fait que le renouvellement des RU en CDU, qui s’effectue partout aux mêmes dates au niveau national, est décalé en Corse. Cela est très dommage, car la Corse tire peu de bénéfices des campagnes de communication nationale autour des appels à candidature et de la mobilisation des associations, partout en France, à ce moment-là. Christelle a, bien entendu, déjà réclamé à plusieurs reprises à l’ARS de caler les prochaines nominations en même temps que les autres régions. Cela dit, en Corse, les mandats de représentation des usagers sont bien pourvus en CDU avec 36 postes de titulaires occupés sur 40 et 32 suppléants. Dans les autres instances également les postes sont bien pourvus.

Selon Christelle, l’un des principaux problèmes en termes d’organisation des politiques de santé en Corse est lié au fait que beaucoup de projets sont lancés avec des ambitions assez démesurés par rapport à la taille et aux ressources de l’île et que souvent ils s’essoufflent. Il lui semblerait plus pertinent d’initier des projets plus modestes mais fiables et réalisables.

 

En savoir plus sur les actualités et les membres du bureau de France Assos Santé en Corse

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