Pairs en psychiatrie : une place légitime

Initiée en 2012, l’intégration dans les services de psychiatrie de médiateurs santé-pairs facilite le rétablissement des patients. C’est le bilan dressé en 2022 par le Centre collaborateur français de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) de Lille, à l’origine des premières expérimentations. Et selon ce rapport, les personnels soignants y gagnent aussi. Mais ce changement des pratiques ne se fait pas sans réticences ni inquiétudes. Les dix ans de cette initiative sont l’occasion de croiser les regards et de confronter les points de vue.

En santé mentale, les premières expérimentations de pair-aidance professionnelle, organisées par le Centre collaborateur français de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) de Lille, remontent à 2012. « Il s’agit, selon la conception de l’OMS, d’une approche psychosociale centrée sur le rétablissement des personnes qui présentent des troubles psychiques, de préférence à l’enfermement », explique le porte-parole du CCOMS, Alain Dannet. Cette vision, humaniste, répond aussi à une nécessité plus pragmatique dans un monde où les financements dédiés à la santé mentale sont globalement très insuffisants – 3 % du budget de la santé en France, dont 90 % alloué à la recherche et à l’approche biomédicale.

Un diplôme pour faciliter l’intégration

La présence de pair-aidants professionnels dans les services de psychiatrie et/ou d’addictologie contribue à ce changement de paradigme, qui repose sur la notion d’empowerment, au sens d’autonomisation du patient. De tâtonnements en évaluations, leur profil a vu ses contours se préciser, au cours des dix dernières années. Objectif, mieux répondre à l’émergence de cette nouvelle place accordée aux patients dans le système de santé. Une formation inédite a ainsi vu le jour : la licence sciences sanitaires et sociales (SSS), parcours médiateurs de santé-pairs (MSP), proposée par une poignée d’universités1. Même si elle n’est pas obligatoire, elle est conseillée pour pouvoir exercer en tant que salarié dans une structure hospitalière ou médico-sociale. Concrètement, cette formation en alternance s’adresse à des usagers rétablis ou en cours de rétablissement qui ont déjà été recrutés. « Ce diplôme vise à faciliter l’accueil et l’intégration des médiateurs de santé-pairs dans les services, car ce n’est toujours pas un métier reconnu », souligne Alain Dannet. Aujourd’hui, quelque 130 médiateurs de santé-pairs travaillent, comme salariés, en psychiatrie.

« C’est extrêmement important qu’il y ait une formation, elle permet de passer d’une expérience individuelle à une expérience collective », estime Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). « Avoir ce savoir théorique qui complète le vécu expérientiel permet au pair-aidant de mieux travailler avec les membres de l’équipe médicale, en plus de la légitimité que la formation lui confère », juge, pour sa part, le Dr Mélanie Trichanh, psychiatre au centre hospitalier Le Vinatier, près de Lyon, médecin responsable d’une équipe mobile et coordinatrice du diplôme de pair-aidance en santé mentale de l’université Lyon 1. Camille Niard, 39 ans, est médiatrice de santé-pair au Centre Ressources et Réhabilitation médico-sociale (CRR) du CH Le Vinatier. Multi-formée, de par son parcours, elle reconnaît que ce cursus lui a permis d’aller plus loin : « Le fait d’élargir ses connaissances sur la sociologie ou l’histoire de la psychiatrie m’a aidée à réfléchir et construire ma posture sur le terrain. Mais depuis le début, je tire ma légitimité de mon expérience et des retours des collègues et des personnes que j’accompagne ».

Libérer la parole des usagers

Entretiens individuels, coanimation de groupes, notamment pour illustrer les propos cliniques du personnel infirmier en apportant des éléments piochés dans leur vécu expérientiel, recherche, etc., les pairs-aidants ont de nombreuses missions. « Notre rôle consiste à encourager et donner confiance aux patients, témoigne Camille Niard. À cet égard, le fait d’être nous-mêmes passés par un effondrement, quel qu’il soit, les soulage et libère la parole. Nous ne les jugerons pas, nous ne représentons pas le pouvoir médical, nous ne leur donnerons pas de médicament : ça les rassure. Et c’est ce qui permet d’aller vers une meilleure alliance thérapeutique. Je leur explique, par exemple, que le médecin ne sait pas tout et que si on ne lui dit rien, il ne pourra pas prescrire le soin juste. Donc, je prépare l’entretien médical avec eux, en les aidant à trouver les bons mots pour qu’ils expriment ce qu’ils ressentent. La médiation est une part importante de notre travail de pair-aidant. » Ce processus d’identification est particulièrement précieux en ce qui concerne les directives anticipées, en cas de rechute du patient. « Cette démarche est mieux tolérée par le patient quand il est accompagné par un pair-aidant avec qui il peut évoquer ses anciennes crises », observe le Dr Mélanie Trichanh.

Pour Marie-Jeanne Richard, les MSP ont toute leur place dans le parcours de soins. « Outre leur regard et leur expérience, ils sont porteurs d’espoir », développe la présidente de l’Unafam. « Les pairs-aidants sont une source de motivation, y compris pour nous, médecins », renchérit le Dr Trichanh.

Plus d’horizontalité, moins de verticalité

Une source de motivation et d’inspiration. « Au contact de la médiatrice de santé-pair qui a rejoint notre service, j’ai modifié ma pratique, confiait Maria Perez, infirmière au sein d’une unité de soins psychosociaux du groupe hospitalier universitaire (GHU) de Paris – Psychiatrie et Neurosciences, lors d’un webinaire sur la pair-aidance professionnelle organisé le 6 décembre dernier par le GHU de Paris. J’ai pu développer le dévoilement de soi, en évoquant ma surdité, notamment, et la distance thérapeutique, ce qui m’a permis d’être davantage dans une relation horizontale et moins dans un rapport vertical. Et en ce qui concerne l’équipe, le pair-aidant nous éclaire aussi sur le concept de rétablissement. » De manière générale, le vécu de Claire Drapier, la médiatrice de santé-pair, permet aussi aux soignants d’envisager des enjeux qui ne sont pas perceptibles si l’on n’a pas connu de troubles psychiques. Grâce à cet apport, l’offre de soins s’enrichira, en février, d’un nouveau programme à destination des proches aidants. Les détails avec Claire Drapier : « Désormais, il reviendra aux professionnels de santé de s’occuper de l’entourage, et non plus au patient qui doit déjà gérer ses propres angoisses ».

Le Dr Trichanh admet se mettre un peu plus à la place de l’usager aujourd’hui : « Je ne le regarde plus seulement comme un patient, mais comme une personne qui a aussi une vie, par ailleurs ».

Gestion du quotidien, reprise d’un emploi, etc., de par son histoire, le MSP contribue également à soutenir le patient dans son parcours hors les murs de l’hôpital. Le bilan de l’expérimentation du CCOMS montre que le recours à l’hospitalisation, en particulier, est moins fréquent dans les services qui travaillent avec des pairs-aidants.

Dedans ou dehors : la question de la subordination

« Plus il y a de l’aide pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques, plus je suis contente, déclare Claude Finkelstein, la présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy). Mais il est inconcevable qu’un psychiatre donne des ordres à un pair-aidant. » Au salariat, Claude Finkelstein préfère la prestation, sur le modèle de ce qui se fait au Canada, pionnier en la matière. « Le pair-aidant est employé par une association, dont il dépend administrativement. C’est elle qui se charge de trouver des missions dans des établissements de santé, qu’elle lui confie ensuite. Il faut protéger ces personnes qui arrivent à vivre avec leur maladie. Le rétablissement reste quelque chose de fragile », défend-elle. Même position à l’Unafam. « On revient toujours à la question du statut et de la place qu’on donne aux pair-aidants par rapport au personnel soignant, explique Marie-Jeanne Richard. Être expert dans une association leur garantit davantage d’indépendance vis-à-vis de la structure médicale. »

En 2019, Erick Joly, pair-aidant professionnel, a créé Preuve, une association de pairs rétablis ou en voie de l’être redonnant leurs expériences auprès des usagers pour un mieux vivre ensemble. Basé dans le Vaucluse, il travaille en étroite collaboration avec le Centre hospitalier Montfavet d’Avignon, pour des prestations d’accompagnement, de préparation des équipes à l’accueil de pair-aidants ou de formation des professionnels de santé. Ce choix lui a été dicté, suite à la stigmatisation dont il a été l’objet lors de sa première embauche en pair-aidance, en 2018. « Mes collègues étaient des éducateurs qui me répétaient sans cesse qu’ils en avaient marre de travailler avec des bipolaires, se souvient Erick Joly. Aujourd’hui, quand j’échange avec le directeur du CH Montfavet, c’est d’égal à égal, et en cas de problème, je remplace le pair-aidant, c’est plus souple et plus rassurant pour tout le monde. »

Préparer les équipes soignantes

Au CH Le Vinatier, les deux formules cohabitent, avec d’un côté une médiatrice de santé-pair salariée de l’établissement et de l’autre des pair-aidants professionnels dépendants de la plateforme Espairs Rhône, et mandatés pour de courtes missions. Qu’en pense le Dr Trichanh ? « Avec des prestataires, il y a moins de fluidité, car ils peuvent être limités en termes d’accès aux dossiers médicaux, logiciels, etc., ce qui peut générer de la frustration. En revanche, au sein d’une association, il y a davantage de possibilités d’échange et d’intervision entre les prestataires que dans un service où le pair-aidant peut probablement parfois se sentir seul. La voie salariale et institutionnelle n’est peut-être pas idéale, mais il est important pour les usagers de pouvoir bénéficier, le plus tôt possible, de cet accès à la pair-aidance dont on sait qu’elle valorise le travail des équipes ». Comme le rappelle Alain Dannet, « encore aujourd’hui, cela reste toujours un peu expérimental et, même s’il y a moins de controverses qu’il y a dix ans, il y a encore des résistances dans les services de psychiatrie. Il faut continuer à expliquer en quoi c’est intéressant d’avoir ce bilinguisme soignant/soigné pour les usagers ».

Erick Joly en convient : « C’est une révolution des mentalités, il est donc normal que cela n’aille pas de soi ». Lors du webinaire du GHU de Paris, Maria Perez, infirmière à l’hôpital Sainte-Anne a raconté qu’avant d’accueillir Claire Drapier, ils avaient beaucoup échangé au sein de l’équipe sur « notre peur du changement et nos réticences ». La venue d’un pair-aidant se prépare, confirme le Dr Mélanie Trichanh. « Dans une équipe déjà constituée, sauf si elle en a fait la demande, cette arrivée peut être perçue comme imposée par l’institution. Il faut donc réfléchir ensemble aux missions du pair-aidant, revoir les rôles de chacun, etc., et, au final, cela permet de mettre en valeur les compétences du médiateur. »

Prévenir l’épuisement du pair-aidant

Camille Niard reconnaît avoir eu la chance d’intégrer un lieu, le CRR du Vinatier, déjà très orienté vers le rétablissement où, dit-elle, elle a eu « toute liberté d’explorer et de mettre en pratique ses idées ». Elle dit aussi pouvoir compter sur quelques collègues pour faire de l’intervision quand le besoin s’en fait sentir. « En ce qui concerne ma supervision, je vois depuis un an une psychologue que j’ai moi-même sollicitée pour un soutien occasionnel. Je n’ai aucun compte à rendre au sein de la structure qui, d’ailleurs, cherche à mettre en place un superviseur extérieur au service pour l’ensemble des pairs-aidants, une douzaine au total, qui évoluent au pôle centre rive gauche du Vinatier. » La présidente de la Fnapsy, Claude Finkelstein, le martèle, « si le pair-aidant n’a pas de soutien, à l’extérieur, ça ne peut pas marcher ». Les retours d’expérience tendraient à montrer que les médiateurs de santé-pairs sont davantage sujets au burn-out que les autres personnels, en raison de la pression qui pèse sur eux et donc de l’envie de bien faire. « Ils ont tendance à ne pas compter leurs heures et à s’impliquer dans plein de projets, c’est pourquoi, au Vinatier, on fixe bien les limites de leur rôle et la plupart commencent à temps partiel », précise le Dr Trichanh.

S’il reste des ajustements à faire et des modalités à rediscuter, de plus en plus de postes se créent. Tous les signaux ne sont pas encore au vert, mais l’attente est là, pour le bénéfice des usagers.

1 Outre le diplôme universitaire de Lyon 1, il existe trois autres formations, à l’université Paris 13 (Bobigny), Tours, Grenoble et Bordeaux.

En savoir plus

www.fnapsy.org

www.unafam.org

Médiateur santé-Pair, un passeur entre deux mondes, Stéphane Cognon, préface de Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam, éd. Frison-Roche (novembre 2022).

Pair-aidant et représentant des usagers : deux rôles distincts

Le pair-aidant professionnel s’investit dans la prise en charge psycho-médicale des patients, dans leur individualité. Le représentant des usagers, ou RU, a une action collective de défense des droits de tous les usagers du système de santé. Le pair-aidant ne saurait être le recours, en cas de dysfonctionnement. Marie-Jeanne Richard met en garde contre cette tentation, déjà à l’œuvre : « Le pair-aidant est là pour faire évoluer les pratiques, le représentant des usagers pour défendre la démocratie en santé et se faire l’écho d’éventuels manquements, etc. » En résumé, le pair-aidant n’est pas un militant. « Pour ce qui me concerne, indique Camille Niard, c’est extrêmement clair : je ne suis pas représentante des usagers, j’ai un métier, celui de médiatrice de santé-pair. »

2 commentaires

  • JUCLA dit :

    Bonjour

    Je suis RU au CHU de Toulouse, j’aurais besoin de communiquer avec un pair-aidant en psychiatrie pour mieux connaître son rôle , missions, actions etc… Merci de me donner les coordonnées d’uns structure ou personne pour mieux comprendre !

  • Yves Hurtrel dit :

    J’ai trouvé ce texte particulièrement intéressant. Etant moi-même Pair aidant j’ajouterais qu’il peut aussi jouer un rôle très positif dans la réinsertion socio-professionnelle des personnes. À condition, bien sûr, d’avoir un savoir expérientiel significatif dans ce domaine.

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