Moins de rétribution à l’acte, plus de paiement au forfait. Et si le système de santé était à l’aube d’un nouveau modèle d’organisation, qui privilégierait la mixité des modes de règlement des professionnels de santé, au profit d’une plus grande qualité des soins ? C’est en tout cas l’une des revendications de France Assos Santé. Qui sont les bénéficiaires et quels sont les avantages du paiement forfaitaire : on vous dit tout.
« Privilégier une rémunération des professionnels de santé au forfait plutôt qu’à l’acte, accompagnée d’une évaluation, pour favoriser l’accès aux soins de qualité et lutter contre les soins inutiles. » Ainsi est exposée cette demande de France Assos Santé dans son document «20 propositions pour améliorer la participation des usagers au système de santé ». Un forfait, pourquoi faire ? Eclairage.
Enjeux et évolution des pratiques
En France, il existe deux principaux modes de rémunération des professionnels de santé (médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, etc.) et des établissements de santé : le paiement à l’acte (soin, acte technique, consultation, etc.) et le paiement au forfait pour un ensemble d’actes et/ou de services réalisés et/ou fournis par un ou plusieurs professionnels de santé amenés à se coordonner et se partager le forfait, à l’aune de la participation de chacun des praticiens du collectif.
Dans le premier cas, plus les actes sont nombreux, plus la rémunération est élevée – témoin, la T2A, ou tarification à l’activité, en cours à l’hôpital. Cette pratique peut évidemment entraîner des dérives, à commencer par une multiplication de soins, pas toujours justifiés ou même redondants, et, a fortiori, un surcoût pour la collectivité. C’est précisément pour lutter contre ces excès que le paiement au forfait est défendu et mis en avant. De fait, le critère, dans ce cas, repose plutôt sur la pertinence des actes. Sans parler de la coordination qu’il induit, un gage de sobriété, et de l’éducation à la prévention qu’il favorise, entre autres bénéfices.
À ce jour, le paiement à l’acte reste majoritaire, même si certaines populations ont demandé et obtenu très tôt une prise en charge plus conforme aux spécificités de leur pathologie. C’est le cas des personnes vivant avec le virus du sida (VIH). Depuis plus de dix ans, elles bénéficient d’un bilan annuel de synthèse, à l’hôpital, piloté par les services d’infectiologie. « Ce bilan a pour objet de faire un point sur l’état de santé général du patient, qu’il s’agisse du statut virologique, des comorbidités, du statut vaccinal, des addictions quand il y en a, du dépistage des troubles cognitifs, etc. Il peut être l’occasion aussi d’orienter la personne vers une structure associative d’accompagnement. Demandé en 2006 et mis en place en 2007, ce bilan annuel visant à optimiser le parcours de soins des patients a donné lieu à un tarif dit de GHS (groupe homogène de séjour), qui est une sorte de forfait », détaille Fabrice Pilorgé, directeur du plaidoyer de l’association Aides. Mais il a fallu attendre 2018 pour que ce rendez-vous annuel d’évaluation s’accompagne de la promotion d’un suivi partagé et coordonné entre l’hôpital, le médecin généraliste et les médecins spécialistes impliqués dans le suivi des patients. Et, outre que sa mise en place n’a pas été facile, elle reste encore imparfaitement déployée.
Aujourd’hui, la multiplication des maisons pluriprofessionnelles de santé, où le travail en équipe est évidemment facilité, constitue un levier pour privilégier le paiement forfaitaire. « Au mot privilégier, je préfère le terme adapter, nuance le Dr Jean-François Thébaut, cardiologue et vice-président de la Fédération française de diabétologie. Il ne faut pas être caricatural, nous ne passerons pas tous d’une rémunération à l’acte à un paiement au forfait. En revanche, il y a des situations où celui-ci serait effectivement plus avantageux. » Au premier rang figurent les maladies chroniques, en raison du parcours de soins au long cours et programmé ainsi que de la mobilisation de plusieurs professionnels de santé, qu’elles nécessitent très souvent.
Une démarche vertueuse
« L’exemple du diabète, notamment de type 2, est archétypal, avance Gérard Raymond, président de France Assos santé. Aujourd’hui, le suivi des patients diabétiques se fait via des outils, capteurs, pompes à insuline, etc., qu’ils transmettent à l’équipe pluridisciplinaire en charge de leur maladie. » En clair, le paiement à l’acte ne correspond plus à aucune réalité. Et d’ailleurs, illustre le Dr Thébaut, « la rémunération au forfait s’applique déjà pour le suivi des personnes âgées, avec le programme PAERPA, Parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie. »
Depuis 2019, un nouveau forfait pour la prise en charge de patients atteints de maladie rénale chronique a été institué pour « favoriser la qualité des soins et les mesures permettant de retarder la progression de la maladie rénale », explique Magali Leo, responsable plaidoyer de l’association Renaloo. L’une des prochaines étapes vise maintenant à réformer les forfaits existants en dialyse : « Des indicateurs restent à définir pour que la rémunération des structures de dialyse médicalisées et des professionnels de santé qui y exercent soit indexée sur la qualité des soins fournis », détaille Magali Leo. Un système « d’intéressement » en quelque sorte qui permettrait d’encourager et valoriser les actes, prestations et services tendant à améliorer la prise en charge des patients.
En la matière, le forfait – qui pourrait être annuel – permettrait d’ouvrir l’offre de soins, défend le Dr Thébaut : « La prise en charge octroierait au patient les soins nécessaires, et non pas ceux qui permettent d’être rétribués. On pourrait ainsi élargir les prestations, en proposant de l’activité physique adaptée, des séances avec un psychologue, une initiation à l’éducation thérapeutique, etc., autant de soins qui ne sont pas toujours remboursés, mais dont l’efficacité est validée, notamment en termes d’adhésion aux traitements et de prévention ». Du bon sens, en vérité, surtout dans la perspective du vieillissement de la population.
Pour Fabrice Pilorgé, la rémunération forfaitaire doit avant tout répondre aux besoins des patients, et non à un modèle de tarification. « La question, en fait, c’est quel projet, derrière le forfait, interroge-t-il, et quelle place notamment à l’accompagnement par les pairs, ou patients experts, dont les interventions sont efficaces, notamment en ce qui concerne la prophylaxie préexposition, c’est-à-dire en prévention. Pour nous, un forfait global doit prendre en compte cet accompagnement communautaire, quand cela est nécessaire. Il ne peut pas être strictement médical et médico-social. »
Un changement de paradigme
Si le forfait apparait comme une mesure saine, il faut veiller à ne pas dévoyer son principe. « L’effet pervers de ce type de rémunération, en l’absence d’évaluation, c’est la réduction des actes que couvrent les forfaits dans une logique de rentabilisation, expose Magali Leo. Le forfait est en effet censé financer un bouquet de prestations, mais le réflexe de certaines structures de dialyse peut consister à rogner sur certaines d’entre elles. » Attitude en totale contradiction avec l’objectif de performance. C’est même le contraire qui risque de se produire : une baisse de la qualité de la prise en charge des patients.
Pour éviter l’écueil du rationnement des soins, plusieurs conditions doivent être posées, une fois précisé l’inventaire des pathologies et des patients qui pourraient en bénéficier. Magali Leo en retient trois : « Il faut définir précisément les prestations obligatoires couvertes par le forfait, qu’elles soient opposables, et non pas optionnelles, évaluer le respect des recommandations de bonnes pratiques ainsi que l’expérience des patients, incluant les soins, mais également les relations soignants-soignés, le respect de la dignité, etc., et le service rendu. La rémunération forfaitaire peut être un levier d’amélioration, pour autant qu’elle soit pilotée par des données sur la qualité des soins, comme celles qui sont recueillies dans le registre Rein ».
Autre difficulté, la répartition entre la prise en charge hospitalière et la médecine de ville. « Certains services ne sont proposés qu’à l’hôpital, à l’instar de l’éducation thérapeutique, ce qui s’ajoute au problème déjà connu du suivi entre les établissements hospitaliers et les médecins qui exercent en ville », pointe le Dr Thébaut. Le déploiement en ce début d’année du nouvel outil numérique, Mon espace santé, est probablement le moyen de pallier cette lacune et de mieux structurer les échanges entre praticiens, y compris en exercice isolé. « Ce qui est important, c’est que l’on passe d’un exercice isolé à une pratique coordonnée, en équipe, autour d’un cahier des charges commun, rebondit Gérard Raymond. Le forfait est un plaidoyer en faveur du travail collectif. »
Il faudra ensuite régler la question du partage de la rétribution, payée par l’Assurance maladie, entre des professionnels de santé aux qualifications et spécialités différentes « afin de la rendre fiscalement et juridiquement possible », reprend le vice-président de la Fédération française de diabétologie.
De son côté, le patient a tout à y gagner. Un forfait bien conduit éviterait les ruptures de soins et, partant, les risques de complications et d’hospitalisations. « C’est le moyen de mieux utiliser l’argent de l’Assurance maladie, notre argent, grâce à davantage d’efficience et de pertinence des soins », conclut Gérard Raymond. Les maladies chroniques touchent environ 20 millions de Français.
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