2002-2022 : la loi Kouchner à l’épreuve du temps

Vingt ans après, la loi Kouchner reste incontestablement un phare dans l’histoire des droits des patients et de la démocratie en santé, notion introduite pour la première fois, en 2002, dans un texte législatif. L’occasion de tirer les leçons des deux décennies écoulées. Passé, présent, avenir : on fait le point.   

La loi n°2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, n’a pas surgi ex-nihilo. « Une grande partie des mesures qui figurent dans ce texte législatif existaient déjà, mais la loi a eu cet immense mérite de les organiser, les clarifier, voire les renforcer, rappelle Claude Rambaud, vice-présidente de France Assos Santé. La grande innovation, c’est la reconnaissance des droits des patients réunis sous une seule loi. » Et de citer, dossier que la vice-présidente de l’association Le Lien connaît bien, le cas du régime d’indemnisation des accidents médicaux (et des conséquences d’un aléa thérapeutique), qui a été établi et précisé dans la loi du 4 mars 2002, sur la base de plusieurs décisions jurisprudentielles prises entre 1988 et 1997.

De fait, l’histoire de la loi dite loi Kouchner commence dès les années 1980, l’accélérateur ayant été le sida. « Des associations de malades, comme Aides puis Act up, se sont créées et mobilisées, parfois de manière violente, contre l’Etat, les médecins, les laboratoires pharmaceutiques pour exiger des médicaments et refuser toute discrimination, raconte Gérard Raymond, le président de France Assos Santé. Et puis, très vite, suivra l’affaire du sang contaminé, en 1991. » Deux événements dont la portée dramatique va conduire à redistribuer les rôles, et en particulier celui prééminent du corps médical.

Années sida : « Rien sans nous »

Le militantisme des personnes atteintes du VIH, avec son mémorable slogan « Rien sans nous », a impulsé un nouvel élan, se souvient Agnès Rousseau, administrateur du Comité de la Ligue contre le cancer du Val d’Oise et représentante des usagers (RU) au sein du Groupe Hospitalier Intercommunal du Vexin : « L’association Aides, qui était épaulée par d’éminents juristes, avaient obtenu des avantages, comme le droit à l’aide-ménagère, alors réservée aux seuls patients âgés de plus de 60 ans, qu’aucune autre association n’avait pu acquérir, pas même la Ligue qui existait depuis 1918 ». Le mouvement va faire tache d’huile.

« Nombre d’associations de patients prennent à ce moment-là leur indépendance vis-à-vis des professionnels de santé et des institutions pour défendre le droit à la parole et à l’écoute pour toutes les personnes malades », poursuit Gérard Raymond. La dynamique est telle que « le monde associatif accède en 1996, au statut de partenaire institutionnel de l’action sanitaire », écrivent Anne Laude et Didier Tabuteau dans Les droits des malades, publié en 2016 aux éditions PUF. L’année suivante, le Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) est créé, il compte alors une trentaine d’associations – de malades, de parents, de personnes en situation de handicap et de consommateurs. « Nous pensions qu’il nous fallait devenir de vrais acteurs de santé », témoigne Gérard Raymond, alors élu au sein de la Fédération française des diabétiques, association membre du collectif.

C’est dans ce contexte que se tiennent en 1998 et 1999 les états généraux de la santé, qui vont donner lieu à un millier de réunions. Agnès Rousseau, soignée alors pour un cancer, y prend la parole, en tant que patiente, devant Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé. « À cette occasion, il a fait la promesse qu’il y aurait une loi en faveur des droits des patients, et nous l’avons cru », se souvient-elle. Au sortir de ces états généraux, un projet de loi est mis en chantier, auquel participe activement le CISS, entre autres acteurs du système de santé impliqués dans cette longue concertation. La loi Kouchner est définitivement adoptée par le Parlement le 19 février 2002 et promulguée le 4 mars 2002. « C’est l’année de la découverte des patients, la plus belle découverte du début du XXIe siècle, devant le numérique et le séquençage du génome ! », sourit Gérard Raymond.

Une représentation acquise mais…

La loi est découpée en 5 titres. Le deuxième introduit une notion inédite dans la législation : la démocratie sanitaire, en référence à la démocratie sociale de 1945, et dont la définition va évoluer au fil du temps, avec le vote de nouvelles lois complétant le texte initial, qu’il s’agisse des droits des malades ou de l’élargissement des responsabilités des représentants des patients et des usagers du système de santé. En ce sens, l’édifice juridique n’est pas resté figé. Et la démocratie sanitaire s’est fortifiée, tout comme le nombre des associations de patients, exponentiel.

« La démocratie sanitaire peut être définie comme une organisation de la société reconnaissant le droit de chacun à connaître, décider et agir pour da santé et la protection de la santé publique », selon les termes de la définition originelle, rapportés par Anne Laude et Didier Tabuteau, dans leur ouvrage. En d’autres termes, elle détermine des droits individuels (droit à l’information, au respect du secret médical, de la dignité, etc.) et des droits collectifs des personnes malades et des usagers du système de santé.

Sur le terrain, cette expression a pris les traits du représentant des usagers, communément appelé RU, une personne issue d’une association agréée – et dont l’existence remonte aux années 1990. « Les représentants des usagers et les associations, dont le CISS, sont devenus les acteurs clés de cette démocratie sanitaire, souligne le président de France Assos Santé. Et les associations ont bien compris qu’il fallait former les RU pour être utiles, d’autant que dans le même temps le législateur a élargi les lieux de représentation, avec trois niveaux : local, territorial et national. »

CDU, CTS, CPTS, CRSA, DAC, ARS, PRS, ANSM, ABM, etc., le répertoire acronymique des lieux de représentation contient de multiples entrées, élargies par la loi du 26 janvier 2016 qui renforce de surcroît le rôle des RU, notamment au sein de la commission des usagers (CDU). C’est aussi cette loi dite loi Touraine qui donne une nouvelle définition de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la démocratie en santé, «une démarche associant l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en oeuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation ». Et la loi de 2016 marque aussi la création de l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAASS), émanation du CISS, connue sous l’appellation France Assos Santé – qui compte aujourd’hui 83 associations.

« L’institution de l’Union vise à renforcer l’exercice de cette démocratie en santé et à faire des associations d’usagers du système de santé, porteurs d’une connaissance de terrain, de véritables partenaires des pouvoirs publics », analysent Anne Laude et Didier Tabuteau. Qu’en est-il réellement ? « Dans les établissements de santé, il y a encore trop de patients qui ignorent l’existence des représentants des usagers », regrette Claude Rambaud. Ce qui pose la question de leur efficience. « Ce manque de visibilité n’entrave-t-il pas la mission des RU, quelle parole peuvent-ils porter s’ils ne connaissent pas les problèmes de l’établissement ? interroge la vice-présidente de France Assos Santé. Les vingt ans de la loi Kouchner sont l’occasion d’aller plus loin ».

Des pratiques à renouveler

L’heure est venue de prendre notre part de responsabilité, affirme Gérard Raymond : « Il faut désormais passer du stade de la représentation à celui de la participation, et être dans la co-construction ». Les premières semaines de la pandémie ont toutefois mis en exergue de sérieuses limites. « La crise du Covid a montré que la démocratie en santé était une belle façade, mais qu’elle ne fonctionnait pas toujours correctement », euphémise le président de France Assos Santé. Passé le premier confinement, les échanges avec les pouvoirs publics ont été certes plus fructueux, mais il convient sans doute d’amorcer de nouvelles relations. « Nous avons un vrai challenge devant nous pour faire en sorte que les décideurs ne nous consultent pas seulement parce que la loi les y oblige, mais parce que nous leur apporterons quelque chose de nouveau et de pertinent », admet Gérard Raymond. De ce point de vue, le travail engagé dès 2018 autour de la stratégie du numérique en santé, avec l’avènement aujourd’hui de Mon espace santé, est un exemple de concertation profitable.

Second défi : réinvestir la place des RU, avec une montée en charge de leurs compétences. « La première question qui se pose est celle de leur recrutement, il faut davantage de représentants des usagers pour pouvoir évaluer notre système de santé, note Claude Rambaud. Et pour être vraiment opérationnel, il faudrait se rapprocher des patients, en proposant par exemple des permanences dans les centres hospitaliers, mais cela demande du temps. » Et une réflexion sur le statut des RU, renchérit Gérard Raymond : « Je n’irais pas jusqu’à une rémunération, mais sans une reconnaissance des pouvoirs publics, nous aurons du mal à nous imposer dans le microcosme et à faire vivre la démocratie en santé ».

Faire vivre la démocratie en santé pourrait également passer par la mise en place d’un parlement sanitaire territorial, une proposition portée par France Assos Santé. Les différences instances régionales – les conseils territoriaux de santé et conférences régionales de la santé et de l’autonomie – dépendent des agences régionales de santé. « Au final, cela pose la question de la reconnaissance de l’engagement citoyen dans notre société et de l’indépendance des structures de la démocratie en santé », indique Gérard Raymond.

En ce qui concerne les droits individuels, une accessibilité équitable pour tous au système de santé reste à défendre. Que les raisons soient géographiques, financières et/ou administratives, le renoncement aux soins est encore trop fréquent. Bref, les droits des usagers du système de santé doivent être protégés et, pour ce qui est des patients, et de leurs ayants droit, étendus là où cela est nécessaire. Mais en cette date-anniversaire, Agnès Rousseau retient surtout de ces vingt dernières années « l’évolution des mentalités » : « On voit des patients de plus en plus impliqués dans leur prise en charge, qui osent poser des questions. C’est très frappant quand je pense à ma propre expérience. Je suis incapable de dire quel type de chimiothérapie j’ai reçu, en 1996, alors qu’aujourd’hui, toutes les personnes soignées pour un cancer le savent, ne serait-ce que parce que c’est écrit dans leur dossier. Il y a eu un rééquilibrage, et c’est bénéfique pour tout le monde, patients et médecins ». En vingt ans, la loi du 4 mars 2002 a changé rien moins que le rapport de toute une société à la maladie.

France Assos Santé Journée organise le 3 mars prochain une journée de débats autour des 20 ans de la loi Kouchner.

Les droits des malades, Anne Laude et Didier Tabuteau, éd. Presses Universitaires de France (Coll. Que sais-je ?), 2016.

Portrait de RU, Agnès Rousseau

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