Journée mondiale de sensibilisation au syndrome d’alcoolisation fœtale : parlons-en

En France, de l’ordre de 15 000 enfants naissent chaque année avec des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF), plus ou moins sévères. Cette maladie est la première cause de handicap mental non génétique. Et la première cause évitable de troubles du neurodéveloppement. L’occasion, en cette Journée mondiale de lutte contre les TCAF, de rappeler les enjeux de cette pathologie, tant en termes de prévention, de dépistage, de prise en charge des enfants atteints que de soutien aux familles, trop souvent encore livrées à elles-mêmes, voire dépassées.

La honte, la crainte d’être jugées défaillantes, la peur de se voir retirer leur enfant par les services sociaux. « Ce qui m’a toujours frappé, c’est la détresse de ces femmes », raconte le Dr Denis Lamblin, ex-pédiatre au centre d’expertise des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) de Saint-Denis de La Réunion.1 En 2008, il a fondé l’association SAF France, avec le Dr Hervé Gouédard, alors chef du service de pédiatrie de l’hôpital de Morlaix (Finistère), pour alerter sur les risques liés à la consommation d’alcool durant la grossesse et militer en faveur d’une prise en charge adéquate des personnes atteintes.

« Nous ne sommes pas tellement nombreux à nous intéresser aux problématiques liées à l’alcoolisation fœtale », regrette le Dr Gouédard. Pour preuve, en métropole, on ne compte qu’un seul centre d’expertise, à Paris, à l’hôpital Robert-Debré. Le Pr David Germanaud, neuropédiatre et rare spécialiste de cette pathologie, le dit sans ambages : « J’essaye toujours de recevoir les personnes qu’on m’adresse, mais la saturation et la précarisation font que je ne peux plus assurer comme je devrais ».

Le cerveau, cible principale

L’alcoolisation fœtale fait pourtant des ravages. De quoi s’agit-il ? D’une intoxication de l’embryon et du fœtus suite à l’alcoolisation de la mère. L’alcool passe la barrière du placenta et se retrouve dans le sang du bébé. « Il boit au moins autant que la mère, voire plus car les concentrations en éthanol sont plus élevées », explique le Dr Thierry Perez, pédiatre et coordinateur du réseau de périnatalité de la région Centre-Val de Loire. Or l’alcool est un produit tératogène, c’est-à-dire susceptible de provoquer des anomalies du développement neurologique du fœtus. « La cible principale est le cerveau et le système nerveux central, reprend le Dr Perez. La forme complète de la maladie, appelée syndrome d’alcoolisation fœtale, s’accompagne également de malformations des organes, dont le cœur, et physiques (dysmorphie crânio-faciale), et de retards de croissance. »

Si le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) est généralement repérable dans les jours qui suivent la naissance, dans tous les autres cas, majoritaires, les troubles cognitifs et/ou comportementaux se révèlent au moment de l’enfance, voire de l’adolescence : problèmes de mémoire, de concentration, difficultés d’apprentissage, troubles de l’attention, hyperactivité, impulsivité, etc.

Question : existe-t-il un seuil en dessous duquel l’alcool n’entraînerait pas de troubles du neurodéveloppement ? « L’éthanol est une molécule qui est toxique à toutes les étapes du développement du fœtus, répond le Pr Germanaud. Compte tenu de ce profil de toxicité, c’est zéro alcool pendant la grossesse, comme le recommandent les autorités de santé. » Le neuropédiatre rappelle toutefois qu’il faut un certain niveau d’alcoolisation, en l’occurrence élevé, pour entraîner chez l’enfant à naître un syndrome d’alcoolisation fœtale : le SAF est le fait des femmes alcoolodépendantes. En dépit du risque, en général, et du message de santé publique, seulement 42 % des Français déclarent avoir connaissance des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, selon une enquête OpinionWay réalisée, l’an passé, pour SAF France. La raison tiendrait, pour plus de la moitié des sondés, à une mauvaise information.

Un parcours du combattant pour les familles

En la matière, les professionnels de santé – médecins généralistes, gynécologues-obstétriciens, mais aussi sages-femmes – n’évoquent pratiquement jamais la question de l’alcool. Manque de formation, tendance à minimiser les risques ou embarras à en parler, de nombreuses raisons sont avancées pour expliquer cette réserve qui épargne le tabac. « Le malaise vient peut-être du fait que si tout le monde ne fume pas, rares sont ceux, en revanche, qui ne boivent pas d’alcool. Du coup, évoquer le sujet revient à s’interroger sur sa propre consommation », observe Auguste Charrier, le président de la fédération Alcool Assistance. Quoi qu’il en soit, environ 20 % des femmes conserveraient une consommation d’alcool durant leur grossesse, dont 5 % en quantités importantes. « Il faut être capable de mettre en place une relation de confiance et de bienveillance pour que les personnes ne se sentent pas stigmatisées », plaide le Dr Perez.

Patrick Chauvin est vice-président de l’association SAF France et père d’une jeune femme de 22 ans, atteinte de TCAF, qu’il a élevée seul. Faute de soutien et d’écoute, il est devenu, selon son expression, un parent-expert. « Les familles partent de zéro et doivent se débrouiller seules » Son ex-épouse a régulièrement consommé de l’alcool quand elle était enceinte. À chaque fois qu’il a essayé d’en parler aux médecins, « toutes les portes se sont fermées », raconte-t-il. Vingt ans après, le scénario n’a guère changé. Suite à un déni de grossesse, Melvina découvre qu’elle attend un enfant alors qu’elle est enceinte de cinq mois. Au cours de cette période, elle a eu une consommation d’alcool qu’elle qualifie de « festive, mais ponctuellement importante ». Elle s’en ouvre à la sage-femme qui la suit : « Elle m’a répondu que tant que je n’avais pas bu une bouteille de vodka par jour, il n’y avait rien à craindre ». Les quatre derniers mois de sa grossesse se sont partagés entre angoisse et culpabilité. Aujourd’hui, ça va un peu mieux. Sa fille, de sept mois, bénéficie d’un suivi spécifique, concentré sur son développement. « C’est un pédiatre du service des prématurés du CHU de Bordeaux qui a finalement accepté de s’en occuper jusqu’à ses 5 ans. »

Manque de reconnaissance et risque de marginalisation

Pour le Dr Thierry Perez, « le premier drame, c’est d’ignorer être en présence d’un enfant atteint de TCAF ». De fait, si la prévention primaire est essentielle, la prévention secondaire, à savoir le dépistage, ne l’est pas moins. « Limiter l’expression des signes dus à l’alcoolisation fœtale, c’est fondamental », souligne le Pr Germanaud. Car s’il n’y a pas de guérison, un accompagnement peut être mis en place dans un environnement plus favorable à l’enfant. Il apprendra ainsi à élaborer des systèmes de compensation pour équilibrer ses lacunes. « Plus le diagnostic est précoce, plus on évite les sur-handicaps », précise le Dr Perez. Au nombre desquels le risque de déscolarisation, de désocialisation, de marginalisation et de délinquance. « J’interviens dans les maisons d’arrêt de la petite couronne parisienne et, selon une infirmière pénitentiaire, nombre de jeunes incarcérés présentent des déficiences qui font penser à des TCAF », témoigne Auguste Charrier.

« Il faut des centres de diagnostic et de prise en charge dans toutes les régions, des structures d’accompagnement pour les jeunes adultes et des centres ressources pour les familles », défend Patrick Chauvin, le vice-président de SAF France. Ce dernier a récemment mis sa fille, désormais majeure, sous curatelle, pour la protéger. Si le contact n’est pas rompu, il ne sait pas comment elle vit. « Cette solution lui offre un minimum d’encadrement et préserve nos relations. Je suis là pour l’aider, pas pour la surveiller. » Sensibiliser la population aux risques de l’alcoolisation fœtale : tel est le message d’Auguste Charrier, de la fédération Alcool Assistance. « Il s’agit de la vie d’enfants qui seront des adultes demain. Ils naissent avec un handicap, et rien n’est fait pour eux. » Dernier point : les TCAF ne sont pas reconnus comme faisant partie des pathologies du neurodéveloppement, mais sont rangés parmi les maladies orphelines, pour lesquelles il n’y a donc pas de prise en charge. Quelque 15 000 enfants naissent chaque année avec des TCAF, dont environ 1 500 présentent un syndrome d’alcoolisation fœtale. Ce qui fait de ces troubles la première cause de handicap mental non génétique. « On n’est plus dans le cadre d’une maladie orpheline », relève le Pr Germanaud. Donc, oui, parlons-en.

En savoir plus

Association SAF France

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre les TCAF se déroulera la 5e édition du SAFTHON. Un événement destiné à récolter des fonds destinés à faire avancer la prévention.

Association Alcool Assistance Recommandations de la Haute Autorité de santé en matière de troubles du neurodéveloppement Recommandations de la Haute Autorité de santé sur les TCAF

1 Selon la terminologie internationale, et notamment anglosaxonne, on parle plutôt de troubles du spectre de l’alcoologie fœtale.

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