France Assos Santé interpelle les députés sur le projet de loi sur la fin de vie

Ce vendredi 17 mai, la Commission spéciale, créée pour examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des personnes malades et de la fin de vie, a adopté un texte remanié en plusieurs endroits. La nouvelle version présente des améliorations sur plusieurs points, qui ont soulevé un certain nombre de réactions. Dans la perspective de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale qui débutera le 27 mai, France Assos Santé interpelle les députés pour que la voix des personnes malades soit entendue.

Mesdames et Messieurs les députés,

Ce vendredi 17 mai, la Commission spéciale, créée pour examiner le projet de loi relatif à l’accompagnement des personnes malades et de la fin de vie, a adopté un texte remanié en plusieurs endroits.

Depuis, des voix alarmistes se font entendre, dans la presse et sur les réseaux : les députés de la Commission spéciale auraient fait « sauter les garde-fous » sur la question de l’aide à mourir, le nouveau texte serait « plus permissif », et l’accès à l’aide à mourir aurait été « élargi ». Ces réactions s’appuient notamment sur le remplacement du critère de « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » par celui de « phase avancée ou terminale ».  En conséquence, l’on ne serait « plus du tout dans la même loi » et ce ne serait pas « l’équilibre souhaité par le Gouvernement », est-il notamment dit.

En tant qu’organisation interassociative, créée à la suite de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la modernisation du système de santé, ayant pour mission de représenter les personnes malades et les usagers du système de santé en France, nous souhaitons vous interpeler aujourd’hui sur ce sujet. Effectivement, le texte voté n’est plus le même texte que celui proposé à l’examen de la Commission, la semaine dernière : c’est un texte qui a entendu la voix des personnes malades, et qui a été amélioré en conséquence sur certains points. Ce n’est pas un texte dont le garde-fou du pronostic vital engagé à court et moyen terme aurait sauté : c’est un texte qui a modifié ce critère d’éligibilité pour permettre à ce futur droit d’être effectif, au regard de l’expérience rapportée par les associations qui représentent les personnes malades, les premières concernées, et au regard également de l’expérience des soignants qui ont largement fait valoir, quel que soit leur positionnement sur l’aide à mourir, leur perplexité quant à ce critère.

Sur la forme, nous tenons d’abord à rappeler qu’avant d’examiner le projet de loi et d’en proposer des modifications, la Commission a conduit pendant une semaine de nombreuses auditions : toutes les parties-prenantes ont été entendues, dont France Assos Santé et plusieurs associations de son réseau qui ont porté le point de vue des personnes malades, de leurs proches et des bénévoles engagés sur le sujet de la fin de vie.

Sur le fond, lors de notre audition, nous avons longuement insisté sur les inquiétudes que le critère du pronostic vital engagé à court ou moyen terme suscitait chez les personnes malades que nous représentons. En effet, la loi Claeys-Leonetti de 2016 avait déjà pour vocation de créer de nouveaux droits pour les personnes malades et en fin de vie, notamment via le droit pour la personne malade de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Le critère de pronostic vital engagé à court terme – sans plus de précision sur la temporalité de ce court terme – conditionnait l’accès à ce droit. L’interprétation de cette temporalité (réduite à quelques heures ou quelques jours) faite par la Haute Autorité de santé (HAS) et certaines sociétés savantes dans un second temps, après le vote de la loi, a très largement contribué à empêcher les personnes malades d’accéder effectivement à ce droit. Cela s’est traduit très concrètement par des situations, suffisantes en nombre pour nous alerter, et encore douloureuses pour les proches qui les ont vécues, où les personnes en fin de vie qui estimaient remplir les conditions prévues par la loi, et qui ont cherché à faire valoir leur droit à demander cette sédation, ne l’ont pas obtenue, au motif que l’interprétation qu’elles faisaient de ce court terme, au regard de leur pathologie, de leur vécu, de leurs souffrances et de leurs limites, qu’elles seules peuvent apprécier, ne coïncidait pas avec l’interprétation très restrictive faite par la HAS. Nous avons aussi été alertés de situations de refus, au motif que le décès n’était pas attendu dans les quelques heures ou quelques jours à venir, où la personne est pourtant décédée dans les deux jours qui ont suivi.

Introduire une condition de pronostic engagé à moyen terme dans ce projet de loi sur l’aide à mourir, c’est s’apprêter à reproduire cette même erreur : la définition qu’en feront la HAS ou les sociétés savantes ne coïncidera pas toujours avec l’appréciation qu’en feront les personnes malades. Les professionnels de santé ont témoigné de l’impossibilité de calculer avec précision l’espérance de vie d’un patient. Si ce critère d’accès est rétabli, il y a de grandes chances pour qu’il devienne la variable d’ajustement pour recevoir ou recaler une demande, selon que le médecin à qui la demande est faite y sera favorable ou non, au détriment des droits des personnes malades.

Faut-il le rappeler, seule la personne malade peut évaluer ses propres souffrances et l’acceptation de ses limites. La notion de « maladie grave et incurable », qui introduit déjà l’horizon de la fin de vie, couplée à présent au critère de phase avancée ou terminale, est un garde-fou strict et suffisant, et surtout formulé de façon qu’il soit effectif en pratique pour les personnes en situation de souffrance inapaisable, qui en feront la demande. Enfin, cette condition n’est que l’une des cinq conditions cumulatives pour pouvoir accéder à l’aide à mourir : loin d’ouvrir la porte à une aide à mourir débridée, tous les garde-fous envisagés initialement demeurent bel et bien dans ce projet de loi. Cette reformulation, adoptée par la Commission spéciale, est donc un point essentiel à maintenir pour que ce futur droit ne crée pas des situations d’inégalités où des personnes malades présentant des souffrances tout aussi insupportables et réfractaires que d’autres, mais sans que l’on puisse évaluer avec certitude qu’elles vont décéder à moyen terme, à 6, 9 ou 12 mois selon ce que les recommandations établiraient, s’en verraient refuser l’accès : à souffrances égales, réponse égale.

Le deuxième point sur lequel nous souhaitons vous interpeller concerne les modalités d’administration de la substance létale. Il n’est pas souhaitable qu’une forme de discrimination s’opère sur la « capacité physique » de la personne malade à pouvoir s’auto-administrer ou non la substance létale. Le meilleur accompagnement est celui qui laisse la personne malade libre de choisir la modalité d’administration qui lui convient le mieux et qui la rassurera elle et ses proches, en accord avec le soignant qui l’accompagnera dans ses derniers instants.

Le texte arrive à présent entre vos mains : nous, associations de personnes malades, de personnes en situation de handicap, de familles et de proches aidants, appelons de nos vœux un débat dans l’hémicycle qui ne soit pas le reflet de positions de principe figées, mais un vrai débat démocratique, qui s’appuie sur la réalité des parcours de fin de vie des personnes malades et des proches qui les accompagnent. C’est ce vécu, et non les « infox », relayées aujourd’hui pour jouer sur nos peurs collectives et entraver la réflexion, qui doit vous guider dans les propositions que vous ferez et que vous discuterez dans l’hémicycle pour améliorer le projet de loi.

Nous, France Assos Santé, et les associations de notre réseau engagées sur ce sujet, plaçons aujourd’hui notre confiance en vous pour que la future loi réponde aux besoins et aux attentes des personnes concernées. Nous nous tenons à votre disposition dans le débat à venir pour vous faire partager ce vécu et accompagner vos réflexions : l’équilibre de la loi ne doit pas se faire au détriment des personnes malades.

Gérard Raymond,
Président de France Assos Santé

1 commentaires

  • VIGNAULT P-J dit :

    Nous ne sommes pas capables d’appliquer correctement la loi LEONETTI-CLAEYS par volonté politique et nous dérivons dangereusement vers un vieux fantasme qu’est l’Eugénisme. L’aide médicale à mourir telle que nous la voyons se peut-être mettre en place n’a de justificatif que des normes économiques (Notre président l’a déjà dit!!) car les vieux coûtent et ne servent à rien = âgisme inquiétant ; quant aux personnes avec handicap, notre pays ne favorise pas la société inclusive. Question d’Éthique et de Déontologie. La question des démences et de certaines pathologies psychiatriques avec la dépression avec/sans conduites suicidaires interpelle et nos amis canadiens ont cru qu’en modifiant les termes – dire troubles mentaux plutôt que démences etc… Enfin l’AMM sera-t-elle un moyen d’évacuer ceux qui souffrent dans notre société de pathologie(s) chronique(s) et d’isolement social ? Aidons nous à vivre plutôt que de penser donner la mort

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