Fin de vie en EHPAD : tout repenser !

Un an après le scandale Orpea et plus de trois ans après le début de l’épidémie de Covid, un constat s’impose : la vie en institution des personnes âgées doit être reconsidérée. Il faut imaginer de nouveaux modèles d’accueil pour rompre l’isolement dans lequel la société consent à tenir ses vieux. Dès mars 2019, l’EHPAD Jacques Bonvoisin, à Dieppe, a engagé un travail de réflexion collectif sur le sujet de la fin de vie. Un livre, paru en 2021, en témoigne : « Fin de vie en EHPAD, parlons-en ! », signé de la directrice de l’établissement Partage & Vie, Marie-Odile Vincent. Cette démarche inspirante constitue l’acte 2 de notre dossier intitulé La fin de vie autrement.  

Des photos de résidents, parfois aussi des objets leur ayant appartenu, comme cette jolie canne en bois, placée à côté de la photo d’une main tavelée posée sur sa poignée courbée… autant de signes d’existences passées, mais toujours vibrantes. A l’EHPAD Jacques Bonvoisin de Dieppe, on ne cultive pas la nostalgie, juste la mémoire de certains de ceux qui, le temps d’une fin de vie, ont rejoint cette communauté constituée des plus de 80 résidents et de l’ensemble des personnels, soignant, administratif, logistique, etc. Cette trace qui n’a rien de muséale est une des multiples réponses apportées pour rendre à cette fin de vie, trop souvent invisibilisée et passée sous silence, son humanité. Ici, la mort n’est plus taboue : elle s’expose.

« En faire un sujet joyeux partagé »

Tout commence au printemps 2019. Marie-Odile Vincent, psychologue de formation, vient de prendre la direction de la maison de retraite médicalisée de la Fondation Partage & Vie située dans le centre de Dieppe. Forte de ses précédentes expériences et des premiers indices décelés au sein de l’EHPAD Jacques Bonvoisin, elle initie une démarche au cours de laquelle les deux questions suivantes seront posées dans des groupes mixtes de résidents et de salariés : qu’est-ce qu’être bien accompagnés, pour les résidents, et qu’est-ce que bien accompagner, pour les salariés ? Durant pratiquement un an, la collectivité, sous la houlette structurante d’un anthropologue, va réfléchir à de nouvelles pratiques pour faire de la fin de vie un « sujet joyeux partagé », selon les mots du psychologue belge Stéphane Adam, cité par Marie-Odile Vincent.

« Cette démarche avait pour but de trouver les outils pour que la mort, vécue de façon très individuelle et très douloureuse, devienne un thème collectif, en sachant qu’on y est régulièrement confronté, avec une moyenne de 20 décès par an, expose-t-elle. Au lieu de rester chacun dans son coin, pourquoi ne pas plutôt partager les besoins, les désirs et les attentes que les résidents peuvent avoir pour organiser ensemble leur fin de vie, et les rendre acteurs de ce moment-là ? Lors de ce temps, si important, tant de choses peuvent se jouer ! » En déliant les langues, cet appel d’air a permis de mettre des mots sur l’embarras et les frustrations qui muraient tous les protagonistes, sans exception, dans un malaise et un silence insupportables.

Mise en place de nouveaux rituels   

Emblématique, cette scène à laquelle a assisté Marie-Odile Vincent. C’était il y a quelques années à l’occasion d’une réunion de transmission entre deux équipes soignantes : « Alors que les problèmes digestifs, d’insomnie, etc., des résidents avaient été scrupuleusement égrainés, le décès de l’un d’eux n’a fait l’objet d’aucune mention ». Un non-événement, en somme. « En tant qu’infirmière, je trouve aberrant de ne pas prendre en considération le fait qu’une personne soit décédée ni le temps d’en parler, c’est ça qui donne du sens à notre travail », commente Laurence Ah-sang, 49 ans, qui a rejoint l’EHPAD Jacques Bonvoisin en octobre 2020. « J’ai vu un jour une aide-soignante en larmes, renchérit Marie-Odile Vincent, elle avait accompagné seule un résident mourant et n’avait personne à qui en parler. Cette solitude et le manque de reconnaissance l’avaient conduite à s’effondrer. » Même chape de plomb vis-à-vis des autres résidents à qui la mort d’un pensionnaire est généralement cachée, quand bien même fût-il un voisin de chambre ou un ami. Le deuil est interdit, soi-disant pour les protéger.

« Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de disparaître. » Ce propos d’un des résidents est rapporté par Marie-Odile Vincent dans son ouvrage Fin de vie en EHPAD, parlons-en ! qui décrit l’expérience menée à Jacques Bonvoisin. Suite aux échanges qui ont ponctué l’année 2019, de nouvelles pratiques ont été adoptées. Désormais, le décès d’un pensionnaire se traduit par une première annonce individuelle faite aux résidents qui étaient proches de cette personne, puis par une annonce à chaque table, lors du repas qui suit, donnant ainsi au groupe la possibilité d’en discuter ensemble. Et son départ de l’établissement se fait par la porte d’entrée, et non plus, comme avant, par la porte de service, par où sortent aussi les poubelles.

« On ne meurt pas comme des chiens »

Chaque départ donne lieu à une haie d’honneur, accompagnée d’une musique choisie par les proches, et la housse dans laquelle est glissé le corps est recouverte d’une couverture, confectionnée par une couturière. Les pompes funèbres ont accepté d’accorder le temps nécessaire à chacun pour descendre dans le hall. Les activités s’arrêtent pour ce recueillement. De leur côté, les familles ont tout le loisir, si elles le souhaitent, de discuter avec les soignants qui ont préparé le corps, etc. « Les proches sont invitées à vivre ce qu’ils ont envie de vivre », précise Marie-Odile Vincent. C’est un peu comme une cérémonie laïque qui permet à ceux qui restent de dire au revoir à celui ou celle qui les quitte et, ainsi, de consolider les liens, au sein de la microsociété. « Ce rituel a une force incroyable : il fait vraiment entrer les familles dans le temps du rituel mortuaire et participe de façon bénéfique au travail de deuil à venir », ajoute Marie-Odile Vincent. « C’est le premier endroit où je vis ça et ça manquait vraiment », observe Laurence Ah-sang. Ces rituels allègent, comme l’exprime cette confidence terrible, d’un autre résident, faite à Laurence Ah-sang : « Je suis content, car au moins, ici, on ne meurt pas comme des chiens ».

Ces pratiques ne sont toutefois pas figées. Les résidents changent, les salariés aussi. En conséquence, la démarche est régulièrement discutée, réévaluée. Récemment, par exemple, un thanatopracteur est venu à l’EHPAD pour donner des conseils aux soignants qui avaient émis le vœu d’en rencontrer un pour prendre soin au mieux de l’apparence des défunts.  « Un accompagnement de fin de vie qui n’a pas été réussi éprouve beaucoup les équipes. Si bien que l’on peut affirmer que mieux on travaille, mieux on va. De même, le fait de travailler en synergie et d’entourer le mourant à plusieurs apporte de l’énergie au groupe », note Marie-Odile Vincent qui se défend d’être une donneuse de leçon. « Mon livre se veut juste le témoignage de ce qu’on a fait et des effets que cela a produit, notamment en termes de liberté et de naturel relationnel. C’est une forme de transmission. Cette démarche n’a rien de spécifique, tous les établissements peuvent la mener. Seules nos réponses ne sont pas reproductibles, car on est parti des personnes, de ce qu’elles souhaitent pour elles-mêmes et veulent encore réaliser ensemble. »

« Une période de la vie comme une autre »

Et chacun veille, résident, soignant, administratif, etc., à préserver cette humanité retrouvée et cette parole libérée. Dès qu’un nouveau résident arrive, il est acculturé. C’est assez neuf de pouvoir livrer ses angoisses, quand on est très âgé, et, pour le personnel soignant, de ne plus se sentir pris au piège de l’évitement et du mensonge infantilisant. « Cela fait du bien, relève Laurence Ah-sang. La fin de vie est un moment qui fait partie de la vie, il n’y a aucune raison de le traiter différemment des autres. » L’écoute, malheureusement, n’est aucunement valorisée. Pas de budget pour ce temps de présence. Cette attention aux derniers instants d’une vie n’a pourtant pas de prix. 

En savoir plus

Fin de vie en EHPAD, parlons-en !, Marie-Odile Vincent, éd. Le Coudrier, coll. Avelines (12 euros). www.edition-lecoudrier.fr Ce livre a reçu le prix Prescrire 2022, au même titre que Les Fossoyeurs, le livre-enquête de Victor Castenet (éd. Fayard), désormais disponible en édition de poche, dans une édition augmentée de dix chapitres inédits. Les deux faces, l’une lumineuse, l’autre sombre, d’un même sujet.

1 commentaires

  • le coz dit :

    Certains EPHAD dédient un espace de recueillement pour les résidents a titre mémoriel .
    Cela fait partie aussi du travail de deuil pour les équipes de l’EPHAD et les résidents.

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