Les inégalités entre hommes et femmes persistent dans de nombreux domaines, mais l’une d’entre elles reste souvent dans l’ombre : la santé mentale. Entre facteurs biologiques et pression sociétale, focus sur les raisons de cet écart.
Salaires, propension à occuper des postes à hautes responsabilité, représentation politique, etc. : c’est presque une lapalissade de rappeler combien les inégalités entre les hommes et les femmes sont nombreuses et concernent des domaines variés. Il est pourtant une forme qui, bien que porteuse de profondes douleurs, semble susciter moins de débats : la santé mentale. Il n’est qu’à se pencher sur les données les plus récentes pour constater combien l’écart qui sépare les femmes et les hommes est vertigineux. Publié en septembre 2024, le Baromètre annuel Les Français.es et leur bien-être mental, réalisé par l’IFOP pour la fondation Aesio, montre que 26 % des femmes décrivent l’état de leur santé mentale comme moyen ou mauvais, contre 14 % pour les hommes. Les plus jeunes paraissent les plus affectées, avec un taux qui atteint 30 % chez les femmes de moins de 35 ans, alors que, chez les hommes du même âge, ce taux plafonne à 12 %. Autre étude, même tendance : le Baromètre santé 2021 de Santé publique France souligne que 17 % des femmes de 18 à 75 ans ont connu un épisode dépressif caractérisé au cours des 12 derniers mois, contre seulement 10 % chez les hommes.
« Ces écarts sont solidement établis par les données épidémiologiques, note le Pr Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Henri Mondor (Créteil). Ils penchent largement en défaveur des femmes en ce qui concerne la dépression et les troubles anxieux. Certes, elles ont davantage tendance à aller consulter et entourent leurs souffrances de plus d’expression, mais c’est loin d’être la seule – et la première –raison qui explique la différence entre les sexes. »
Des facteurs biologiques
C’est alors peut-être du côté biologique qu’il faut s’attarder pour comprendre les écarts hommes-femmes. « Le système hormonal constitue en effet un facteur propice aux troubles dépressifs, souligne Christine Villelongue, présidente de l’association France Dépression. C’est notamment au moment de la maternité que les choses peuvent se compliquer, avec la dépression du post-partum provoquée par un déséquilibre hormonal. » L’enquête nationale périnatale menée en 2021 révélait que cette pathologie concernait 16,7 % des femmes deux mois après leur accouchement. « Problème, elles n’en parlent souvent pas, reprend Christine Villelongue. Elles ont du mal à dire qu’elles ne vont pas bien dans un moment censé être heureux. Elles culpabilisent, mettent du temps à en parler de peur de passer pour de mauvaises mères. Pendant ce temps, leur état se dégrade et peut dégénérer en dépression chronique. »
Pour importantes qu’elles soient, ces particularités biologiques n’expliquent que partiellement les écarts en santé mentale entre les femmes et les hommes. « Elles jouent évidement un rôle dans certaines formes de pathologies liées, outre la grossesse, aux perturbations des cycles menstruels et à la ménopause, reprend le Pr Pelissolo. Mais les hypothèses récentes n’en font pas un facteur prépondérant. En réalité, ce sont avant tout des éléments d’ordre psychologique qui déterminent la santé mentale des femmes : la place et le rôle que la société accorde à chacun conditionne le développement de la personnalité, provoquant des effets protecteurs ou, à l’inverse, des vulnérabilités. » Or, en la matière, l’héritage d’un modèle patriarcal reste prégnant et, même si un rééquilibrage des rôles joués par les hommes et les femmes se dessine lentement, ces dernières continuent d‘endosser davantage de responsabilités. « Il pèse sur elles une triple injonction : être à la fois une bonne mère, une bonne conjointe et une bonne professionnelle, résume Marie-Pierre Gariel, administratrice du département protection sociale/santé de l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Cette charge mentale les contraint à être des superwomen dans tous les domaines. »
Le poids de la charge mentale
Selon les chiffres les plus récents de l’Insee, qui datent de 2010, les femmes consacrent en moyenne près de 1h30 par jour de plus que les hommes aux tâches domestiques. Ce sont également elles que l’école contacte plus volontiers quand il s’agit d’aller chercher un enfant malade et qui, de fait, doivent s’absenter du travail. « C’est intégré dans l’imaginaire collectif, ce qui ne fait que pérenniser le modèle », remarque le Pr Pelissolo. Ce sont toujours elles qui s’investissent le plus fréquemment du suivi de la santé des enfants, pensent aux rappels de vaccination, prennent les rendez-vous médicaux, etc. « Les politiques publiques de conciliation ne permettent par une juste répartition des charges entre les hommes et les femmes, regrette Marie-Pierre Gariel. Il faudrait qu’elles rendent possible la garde des jeunes enfants à un coût soutenable et développent une offre d’accueil diversifiée pour permettre aux mères de concilier leur carrière et leur vie de famille. Cela devrait également passer par une meilleure rémunération du congé parental et par un changement de regard sur les femmes qui choisissent de s’occuper exclusivement de leurs enfants pendant un temps de leur vie. Aujourd’hui, l’image que la société leur renvoie est trop peu valorisante. »
A cela s’ajoute une place au travail qui n’est pas la même selon les sexes. « Elles doivent faire souvent beaucoup plus pour être reconnues comme les hommes, comme si elles avaient plus à prouver », observe Christine Villelongue. Et elles y sont aussi les premières victimes du harcèlement ou des pressions sexistes, « notamment dans les secteurs d’activité où la hiérarchie est particulièrement genrée et ne les protège pas », précise Antoine Pelissolo. Pas étonnant alors de constater que 44 % des femmes salariées se déclarent en mauvais état de santé psychologique, contre 32 % des hommes, selon les données du Baromètre Santé et qualité de vie au travail 2023 de Malakoff Humanis. Conjuguée à la charge mentale liée à la vie familiale, cette souffrance liée au travail finit parfois par devenir invivable. « Travail, enfant, conjoint, maison : tout contribue à puiser dans l’énergie des femmes, souligne Christine Villelongue. Quand elles ont épuisé toutes leurs ressources en essayant de faire le maximum, elles n’ont plus rien à quoi se raccrocher. Un épuisement sur la durée qui peut alors déboucher sur une dépression. »
25 recommandations pour améliorer la santé mentale des femmes
Publié en juillet 2023, le rapport d’information parlementaire cosigné par les députées Pascale Martin et Anne-Cécile Violland propose 25 recommandations visant à améliorer la santé mentale des femmes. Il s’articule autour de plusieurs axes :
- Sensibilisation et formation : les auteurs préconisent de renforcer la formation des professionnels de santé sur les spécificités de la santé mentale des femmes, d’intégrer cette thématique dans les cursus médicaux et paramédicaux et de sensibiliser le grand public pour lutter contre la stigmatisation ;
- Prévention et dépistage : le rapport suggère la mise en place de campagnes de prévention, notamment auprès des adolescentes, et d’instaurer des consultations à des moments clés de la vie des femmes (puberté, grossesse, ménopause) ;
- Amélioration de l’accès aux soins : le document propose le développement de structures de proximité, le renforcement des équipes mobiles en psychiatrie et l’amélioration de la coordination entre les différents acteurs de la santé mentale ;
- Prise en charge spécifique : certaines recommandations visent à améliorer l’accompagnement pendant la grossesse et le post-partum, à créer des unités mère-bébé dans chaque région, et à développer des programmes de soutien à la parentalité ;
- Lutte contre les violences : le rapport insiste sur la nécessité de renforcer la formation des professionnels de santé sur les violences faites aux femmes et de développer des dispositifs d’accompagnement spécifiques pour les victimes ;
- Santé au travail : les députés préconisent d’intégrer la dimension de genre dans les politiques de santé au travail et de lutter davantage contre le harcèlement professionnel.
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