En 2025, les boissons sucrées vont coûter plus cher. Le PLFSS 2025 prévoit en effet une hausse de la « taxe soda », de l’ordre de 5 à 35 centimes par litre. Saluée par les nutritionnistes, cette mesure s’inscrit dans ce qu’on a coutume d’appeler la fiscalité comportementale qui consiste à taxer certains produits afin de décourager leur consommation. Pour plus de clarté, France Assos Santé préfère parler de fiscalité sur les produits nocifs pour la santé et plaide pour que ces mesures fiscales, recommandées depuis vingt ans par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soient renforcées et intégrées à des politiques de prévention globales et volontaristes.
Le premier intérêt de la fiscalité comportementale est d’utiliser le prix comme levier de santé publique pour modifier les comportements. En France, la fiscalité sur les produits nocifs pour la santé porte sur le tabac, l’alcool et les boissons à sucres ajoutés, tels que les sodas. L’objectif est d’amener les consommateurs, influencés par le coût plus élevé des produits malsains, à changer leurs habitudes et, de ce fait, à adopter un mode de vie plus sain et à inciter les industriels à modifier la composition de leurs produits. Ces taxes visent ainsi à prévenir certaines maladies chroniques coûteuses à soigner, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et les cancers, et à réduire les dépenses publiques liées à ces maladies évitables.
Taxer les produits nocifs pour la santé, c’est aussi allier politique de santé publique et recettes budgétaires pour l’État. Les recettes ainsi générées permettent de financer les soins des personnes malades et d’investir dans des programmes de prévention et de sensibilisation. Néanmoins, pour que ces taxes engendrent un cercle vertueux, des associations membres de France Assos Santé soulignent que plusieurs conditions doivent être réunies.
Une augmentation forte et régulière du prix du tabac
La France est l’un des six pays de l’OCDE où le prix du tabac est le plus élevé : la taxe correspond à plus de 80 % du prix du paquet de cigarettes vendu 12,50 euros au 1er janvier 2024. Elle rapporte à la Sécurité sociale 14 milliards d’euros par an, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Plusieurs lois et outils concourent également à la lutte contre le tabagisme en France : l’interdiction de la publicité, de fumer dans des lieux à usage collectif, le dispositif Tabac Info Service, le paquet neutre et le remboursement des substituts nicotiniques.
Comme le souligne le rapport sur la fiscalité comportementale du Sénat paru en mai 2024, « on pourrait donc s’attendre, compte tenu des moyens mis en œuvre, à ce que la politique de lutte contre le tabagisme soit un succès ». Or, si la proportion de fumeurs de 15 ans et plus a diminué en France grâce aux actions de prévention mises en place, elle reste très haute et le décalage avec les autres pays de l’OCDE est assez stable : en 2021, la prévalence du tabagisme était de 25,3 % en France, avec un coût social de 156 Milliards d’euros et plus de 73 000 décès prématurés par an, contre 16,5 % dans l’OCDE et moins de 10 % dans 11 pays.
« Pour que la taxe sur le tabac ait une réelle incidence sur la consommation, il faut de fortes augmentations de prix. Or jusqu’à présent en France les augmentations ont été irrégulières et insuffisantes », explique Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer. Le rapport du Sénat indique en effet qu’en France la consommation de tabac diminue quand le prix augmente de plus 4 %. Il propose donc d’augmenter le prix des produits du tabac d’au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu’en 2040.
Pour autant, il ne faut pas s’attendre à une réduction ou un arrêt des consommations grâce à la seule augmentation de la fiscalité. « Il faut bien sûr taxer fortement les produits nocifs, faire respecter l’interdiction de vente aux mineurs, mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine et investir dans la prévention, mais aussi renforcer l’accompagnement des personnes addictes », estime Laurent Muraro, coordinateur général d’Entraid’Addict.
Un prix minimum plutôt qu’une taxe sur l’alcool
Le second produit nocif pour la santé soumis à une taxe est l’alcool, deuxième cause de mortalité prématurée en France, avec 41 000 morts par an. La taxation de l’unité standard d’alcool ne rapporte pourtant que 4 milliards d’euros par an à l’Assurance maladie, des recettes sans commune mesure avec le coût social exorbitant de l’alcool : 102 milliards d’euros par an.
En effet, la fiscalité sur l’alcool est négligeable dans le cas du vin, environ 25 fois moins taxé que la bière et 75 fois moins taxé que les spiritueux. Pourtant, le vin représente 52 % des quantités totales d’alcool pur mises en vente en France.
« La molécule d’alcool est exactement la même dans le vin, la bière ou le whisky, elle a les mêmes effets néfastes. En termes de santé publique, c’est incohérent de la taxer différemment », souligne Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique à France Assos Santé. D’autant que le nombre de décès prématurés dus à la consommation d’alcool est probablement sous-estimé car il ne tient pas compte de son rôle probable dans la survenue de certains cancers. « En se diffusant dans le corps, l’alcool dégrade l’immunité. Parmi les cancers dus à cette dégradation, il y a les cancers du sein, pour lesquels un verre d’alcool par jour suffit », rappelle Emmanuel Ricard. Selon Santé publique France, en 2017, 10 % des 18-75 ans consommaient 58 % de l’alcool vendu.
L’instauration d’une taxe unique n’est toutefois pas la seule option. Un prix minimum par unité d’alcool a été instauré au Pays de Galles, en Irlande et en Écosse afin d’empêcher les ventes promotionnelles qui poussent à la consommation et incitent à acheter de l’alcool en quantité. Selon Public Health Scotland, le prix unitaire minimum a réduit le nombre annuel de décès directement imputables à l’alcool de 13,4 %.
Le rapport de recherche sur les effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées (2022) indique, quant à lui, sur la base d’une simulation, qu’une politique de prix minimum diminuerait plus fortement les achats d’alcool pur des ménages consommant plus de deux verres standards d’alcool par personne et par jour (-17 %). Elle réduirait ainsi la mortalité par cancer attribuable à la consommation d’alcool de 22 %.
Pour Laurent Muraro, cette proposition va dans le bon sens : « Les jeunes ne sont pas les seuls à être en danger vis-à-vis de l’alcool. Santé Publique France recommande de ne pas boire plus de deux verres d’alcool par jour et de s’abstenir de toute consommation au moins deux jours par semaine. Si on dépasse ce seuil, même sans être ivre, le risque augmente considérablement. ».
Comme pour le tabac, on ne peut pas tout miser sur l’augmentation du prix de vente, une politique de prévention globale est indispensable. Laurent Muraro évoque l’étude menée en 2021 par Addiction France dans des points de vente avec des « clients mystères » mineurs : « Dans plus de 9 cas sur 10, les magasins vendent de l’alcool aux mineurs en toute impunité. Il faut aussi faire respecter la loi ».
Haro sur les boissons sucrées et édulcorées
Dans le champ nutritionnel, les boissons qui contiennent des sucres ajoutés et édulcorés sont à ce jour les seuls produits en France à faire l’objet d’une taxe – la « taxe soda » instaurée en 2012. Un nouveau barème va entrer en vigueur en 2025, qui va de 4 à 35 centimes par litre, selon la quantité de sucre présente dans les boissons incriminées – 35 cts correspondant aux sodas qui contiennent plus de 80 g/l. Le PLFSS 2025 prévoit aussi de ramener à trois le nombre de palier d’imposition des fabricants – contre 15 actuellement. Cela suffira-t-il à limiter la consommation des produits délétères pour la santé ? En tout cas, cette hausse est bienvenue, si l’on se fie aux effets très limités de la taxe encore en vigueur sur la hausse des prix de vente, la consommation et les reformulations de produits par les fabricants. « Trop basse, la taxe soda n’est pas efficace, c’est le même problème que pour le tabac », juge Stéphanie Pierre. Au Royaume-Uni, la taxe sur les boissons sucrées prend en compte la teneur totale en sucre et non les seuls sucres ajoutés. Le montant de la taxe y est aussi supérieur et repose sur seulement deux tranches fiscales. Résultat : les industriels sont davantage incités à reformuler la composition de leurs produits et la proportion de boissons sucrées taxées est passée de 49 % à 15 % en 2019.
Pour autant, les sodas ne représentent qu’une infime partie du problème de la surconsommation de sucre à l’origine de l’épidémie de maladies chroniques actuelle. Les sucres ajoutés se retrouvent également dans les produits ultra-transformés. Une récente enquête de Foodwatch montre que les produits les moins chers sont en grande majorité beaucoup plus sucrés que les produits les plus onéreux. Les produits de marques distributeurs sont les premiers concernés. Pour Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO), « tant que les produits ultra-transformés, bourrés de sucre, de gras et de sel, seront moins chers que des produits plus sains pour la santé, c’est une illusion de croire que les foyers les plus défavorisés vont modifier leur habitude de consommation ».
Taxer les produits alimentaires est en effet une question sensible, puisque l’augmentation des prix pénaliseraient d’abord et surtout les ménages à faibles revenus. Le rapport sur la fiscalité comportementale indique cependant qu’« un ciblage de la taxe sur une gamme circonscrite de produits identifiés comme défavorables à la santé, ainsi que l’existence de produits substituables dans des gammes de prix comparables, permet de contrer l’effet anti-redistributif de ces taxes. »
Pour que les taxes sur les aliments délétères pour la santé ne soient pas perçues comme une punition injuste, il est nécessaire de renforcer l’information sur les objectifs visés et la nocivité des produits incriminés. « Plus les recettes seront réinvesties dans des actions de prévention du diabète et de l’obésité, comme le chèque alimentaire pour l’achat de fruits et légumes, plus les taxes seront comprises et acceptées », affirme Anne-Sophie Joly.
Changer de paradigme
Quel que soit le produit, la seule approche fiscaliste ne suffit pas. Un changement de méthode est indispensable pour créer les conditions d’un environnement nutritionnel favorable à la santé. La taxation des produits nocifs pour la santé doit s’intégrer dans une politique de prévention structurée pour traiter les causes des comportements nuisibles, comme les inégalités sociales et économiques, l’insuffisante éducation à la nutrition, l’exposition massive des jeunes et des moins jeunes au matraquage publicitaire à la télévision et sur Internet, l’absence d’offre de restauration saine dans certains quartiers, etc.
Depuis des années, les acteurs de la société civile demandent l’instauration de taux maximums de sucre, de sel et de gras fixés par la réglementation, l’interdiction de la publicité pour la malbouffe ciblant les enfants sur tous les médias et dans la rue près des lieux fréquentés par les jeunes, à l’instar des établissements scolaires, et l’obligation d’apposer le Nutri‑Score sur tous les produits et sur les supports publicitaires. Il faut cesser de faire peser la responsabilité sur le seul consommateur. On ne peut pas s’en remettre à la seule bonne volonté des industriels pour s’auto‑réguler, cela ne fonctionne pas.
Stéphanie Pierre
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