Sentiment d’être mis à l’écart, discriminations dans la sphère professionnelle, incompréhensions dans les relations intimes… Les personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (ou VIH) en 2024 sont toujours en butte à une sérophobie d’un autre temps. Comment l’expliquer et lutter ? Regards croisés de responsables de l’association, d’un militant vivant avec le VIH et d’un sociologue.
« En 2024, on ne peut toujours pas parler du sida librement, comme on parlerait du diabète ou d’une autre maladie chronique. Le regard des autres ne s’est pas vraiment amélioré ces dernières décennies. Le jugement moral reste bien présent. C’est toujours une maladie taboue, liée à la sexualité », témoigne Laurent Passalacqua, qui a découvert sa séropositivité à l’âge de 20 ans, en 1992, et dû surmonter de nombreuses angoisses et difficultés relationnelles durant toutes ces années.
Un quart des Français reconnaissent en effet être toujours mal à l’aise à l’idée de fréquenter une personne séropositive ou de la croiser dans le même cabinet médical, selon l’enquête IFOP commandée par AIDES sur le sujet à l’occasion de ses 40 ans. Ce samedi 30 novembre, la première association européenne de lutte contre le VIH/sida se réunit à la Maison des Métallos, aux côtés des nombreux acteurs de ce combat, dont le quotidien Libération. L’occasion de débats qui s’annoncent passionnants, dont un autour de la question : « Comment en finir avec la sérophobie ? ». Une question malheureusement toujours d’actualité, comme le montrent les témoignages recueillis auprès des acteurs de terrain.
Un exemple très parlant livré par Laurent Passalacqua : lorsqu’il annonce sa séropositivité à sa dentiste, elle l’informe qu’elle ne pourra le recevoir au cabinet qu’à la toute fin de sa journée, en dernier. « Elle m’a expliqué au téléphone avoir un protocole de désinfection drastique de sa salle d’examen après avoir reçu une personne séropositive. J’ai eu le sentiment qu’on restait des personnes dangereuses, même pour les professionnels de santé ! Certains ont une méconnaissance des protocoles. Heureusement, j’ai apporté à ma dentiste des infos qu’elle n’avait pas. Elle m’a remercié et me reçoit désormais comme tous ses autres patients », rebondit-il. Pour lutter contre ce genre de discrimination, et toutes les autres, Laurent a rejoint AIDES en 2018 et est devenu responsable pour la région Occitanie.
« Mon statut risque de me pénaliser pour travailler »
Les personnes séropositives ou en stade sida, le stade le plus avancé de l’infection à VIH, sont encore considérées comme une minorité à exclure de la société pour 11 % des Français et 33 % d’entre eux cesseraient de voir un partenaire sexuel s’ils apprenaient qu’il est séropositif (enquête IFOP). Cette mise à l’écart est une réalité vécue au quotidien par les militants de terrain. « J’ai rencontré un commerçant mayennais gay, vivant avec le VIH, qui venait chercher des infos assurantielles auprès de l’association. Il aurait vraiment aimé militer avec nous, me disait-il, mais craignait qu’en s’affichant avec AIDES, cela ne mette encore plus de bâtons dans les roues pour travailler, vis-à-vis des autres commerçants », se souvient Vincent Meignan, responsable AIDES Pays-de-la-Loire.
La faute aux préjugés, qui n’ont pas vraiment disparu depuis le début de l’épidémie, confirme Gabriel Girard, sociologue spécialiste du VIH/sida, pour qui le rôle des pouvoirs publics doit être questionné : « La dernière campagne de Santé publique France sur la sérophobie date de 2020. La réalité de cette dernière décennie est que les pouvoirs publics se sont beaucoup désinvestis et déchargés sur les associations. C’est fort dommage car il y aurait beaucoup de messages positifs à faire passer au grand public sur l’efficacité des traitements, ce qui ferait baisser le niveau de stigmatisation dans la société ».
La peur de la transmission par le baiser n’a pas disparu !
« Attraper le sida » fait encore peur à 38 % des Français, soit un chiffre aussi élevé qu’en 1988, pour une raison centrale : une méconnaissance des progrès des traitements contre le VIH. C’est ainsi que 77% des Français pensent qu’on peut être contaminé par le virus du sida lors d’un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement, alors même que l’information sur le sujet ne manque pas. « Même dans notre communauté HSH – hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes –, il y a toujours beaucoup trop de personnes, notamment chez les jeunes, qui n’ont pas compris le concept de TASP – treatment as prevention (« traitement comme prévention ») – et pensent ne pas être protégées. Il m’est arrivé de devoir l’expliquer et le réexpliquer pendant des heures à des partenaires qui étaient en panique. J’ai réussi à gérer mes propres angoisses, je n’ai plus envie de gérer celles des autres », confie Laurent.
Cette avancée majeure a pourtant été établie en 2008 par le spécialiste suisse du sida, le Pr Bernard Hirschel. En clair, si la charge virale est indétectable dans le sang, c’est que le traitement est efficace et que le VIH est intransmissible (à condition d’une très bonne observance et de ne pas contracter d’autres infections sexuellement transmissibles (IST). Problème, même des médecins, en France, ont mis en doute cette révolution. « J’ai démarré ma trithérapie en 1996 et ma charge virale est très vite devenue indétectable. Pendant vingt ans, j’ai vécu dans l’angoisse de contaminer mes partenaires. Ensuite, entre 2008 et 2018, alors même que les faits médicaux étaient avérés, mon infectiologue ne m’a jamais dit que je n’étais plus contaminant ! », déplore Laurent. Plus fou encore, les fake-news les plus anciennes et saugrenues sur les modes de transmission continuent de circuler. « A chaque enquête, on voit ressortir ces idées reçues très ancrées et en décalage total avec les avancées médicales, comme la croyance selon laquelle l’épidémie se transmet par une piqûre de moustique ou un baiser », rapporte Gabriel Girard.
Comment sensibiliser les jeunes ?
Fait marquant (et paradoxal) par rapport aux décennies de promotion de la « capote », comme outil de prévention numéro 1, le préservatif est de moins en moins utilisé chez les adolescents. Entre 2014 et 2022, la proportion de jeunes européens de 15 ans l’ayant utilisée lors de leur dernier rapport sexuel est passé de 70 à 61 % chez les garçons et de 63 % à 57 % chez les filles, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié en août 2024. « Comme il n’y a plus d’enjeu de mortalité, les jeunes ne se renseignent pas et se protègent moins. Ils se disent que ce n’est pas grave, qu’il suffira de prendre un traitement. Certes, les trithérapies permettent de ne plus mourir du sida mais pas d’en guérir ! », pointe Laurent Passalacqua.
Reste à trouver la voie pour toucher les jeunes aujourd’hui. « On sait que les réseaux sociaux, notamment Instagram et Tik Tok, sont les meilleurs outils pour faire passer des messages auprès de cette génération. Mais ce n’est pas si simple car l’environnement des réseaux sociaux est devenu anxiogène et les jeunes se mettent dans une bulle numérique entre eux. Comment réussir à entrer dans leur bulle ? Pour moi, c’est toute la question aujourd’hui », estime Laurent Passalacqua. Au-delà du VIH/sida, c’est toute la prévention en santé sexuelle qui est à repenser, met en perspective Gabriel Girard : « L’Education nationale ne prend pas tellement en charge son mandat d’éducation à la sexualité. Si les choses bougent dans les textes législatifs, leur application est très variable sur le terrain, selon les établissements, les proviseurs, les professeurs. Le sujet du VIH est sensible et politique, comme celui des papillomavirus humains (HPV). Il y a des groupes de pression religieux, des familles qui vont mal réagir… Nous vivons une époque très compliquée pour parler de santé sexuelle ».
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