La France compte aujourd’hui 12 millions de fumeurs, dont un peu moins d’un quart sont des femmes, selon Santé public France. Si ces dernières s’exposent aux mêmes risques pour la santé que les hommes qui fument, elles encourent aussi des risques spécifiques supplémentaires, souvent méconnus et négligés. La 9e édition du mois sans tabac est l’occasion de les passer en revue.
En 2022, plus de 3 personnes de 18 à 75 ans sur 10 déclaraient fumer (31,8 %), dont un quart quotidiennement (24,5 %). Et parmi ces fumeurs, 21,7 % sont des femmes. Le tabagisme demeure un marqueur social : plus le revenu est faible, plus la prévalence du tabagisme est forte (33,6 % contre 21,4 %). De même, la prévalence tabagique est nettement plus élevée parmi les personnes au chômage (42,3 %) que chez les étudiants (19,1 %) ou les actifs qui ont un emploi (26,1 %).
Davantage touchées par les problèmes de précarité sociale et économique et le chômage, les femmes sont d’autant plus affectées par le tabagisme. Ce facteur d’inégalité sociale et de santé est encore renforcé par une surexposition aux risques sanitaires encore méconnue des femmes fumeuses, rapporte le Comité national contre le tabagisme (CNCT).
Un surrisque de cancer du poumon
Si la mortalité des hommes causée par le tabac est en recul, celle des femmes, en revanche, connaît une croissance continue. Entre 2000 et 2015, le nombre de décès attribuables au tabac a doublé chez les femmes, passant d’environ 8 000 (3,1 % de tous les décès chez la femme) à près de 20 000 décès (6,9 %). Dans la tranche d’âge des 35/64 ans, un décès sur cinq est attribuable au tabac et le nombre de cancer des poumons a doublé chez les femmes. La mortalité par cancer du poumon en Europe est actuellement supérieure à celle par cancer du sein, pourtant plus fréquent. Ces femmes, nées dans les années 1950, ont commencé à fumer en nombre plus tardivement que les hommes, dans les années soixante-dix.
Actuellement en cours, l’étude CASCADE, première étude sur des femmes volontaires pour le dépistage par scanner faible dose du cancer du poumon, des maladies coronariennes et de l’ostéoporose (trois pathologies favorisées par le tabagisme), promue par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP), fait ressortir que le taux de dépistages positifs est plus élevé chez les femmes, en comparaison avec celui de l’étude NELSON qui était très majoritairement masculine (2.1 versus 0.9 %). L’une des explications pourrait tenir à la plus forte concentration de la fumée sur une surface des voies respiratoires plus restreinte chez les femmes.
Autre conséquence du tabagisme, la forte augmentation du nombre de femmes atteintes de maladies cardiovasculaires. L’incidence des infarctus du myocarde avant 65 ans a augmenté de 50 % chez les femmes, contre 16 % chez les hommes. En effet, si le statut hormonal des femmes les protège des maladies cardiovasculaires, ce bénéfice disparaît en cas de consommation de tabac et, à tabagisme égal, les femmes auraient un surrisque de maladie coronaire de l’ordre de 25 %. De plus, l’association du tabac avec la contraception oestro-progestative induit un risque majoré d’accidents cardiovasculaires, notamment après la ménopause.
D’autres conséquences associées au tabagisme sont spécifiques aux femmes : la consommation de tabac active ou passive, par inhalation, augmente de 10 à 40 % le risque de développer un cancer du sein, selon le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC). Le tabagisme favorise aussi le risque de cancer du col de l’utérus, il perturbe les cycles menstruels et diminue la fécondité d’environ un tiers. Lors de la grossesse, la consommation de tabac peut avoir de graves conséquences sur la santé de la mère et de l’enfant, selon le Baromètre 2021 de Santé publique France. Par ailleurs, la ménopause intervient en moyenne deux ans plus tôt chez les fumeuses, avec des risques augmentés d’ostéoporose.
Un accompagnement global pour arrêter
Substance très addictive, le tabac crée une triple dépendance : chimique, liée à la nicotine, comportementale, liée aux habitudes (la cigarette qui va avec le café, etc.), et psychologique, car le fait de fumer est une façon de pallier certaines difficultés. Du fait de ces dépendances multiples, l’arrêt du tabac nécessite de changer l’ensemble de ses comportements.
On entend souvent qu’arrêter de fumer est une question de volonté alors qu’elle n’entre en rien dans le fait de réussir, ou pas, à se sevrer. En cas d’addictions, le circuit qui gère la volonté au niveau cérébral est « shunté » : « C’est la raison pour laquelle le travail sur les motivations personnelles, le soutien psychologique de professionnels, les encouragements des proches et la déculpabilisation sont si importants », souligne Laurent Muraro, coordinateur général d’Entraid’Addict.
Si 6 fumeurs sur 10 déclarent vouloir arrêter la cigarette, une minorité seulement y parvient sans aide extérieure. En revanche, être accompagné par un professionnel de santé augmente de 70 % les chances de réussir son sevrage, selon le CNCT. Le volet psycho comportemental de l’accompagnement est d’autant plus important que les femmes sont moins réceptives au traitement de substitution nicotinique.
L’accompagnement commence par un entretien pour permettre à la personne qui souhaite arrêter de fumer de s’interroger sur ses motivations profondes. « Arrêter de fumer, c’est abandonner quelque chose qui est vécu comme une source de plaisir ou une aide à vivre. Il y a une sorte de deuil et de changement de projet à faire. Il faut donc remplacer le tabac par quelque chose qui soit vécu comme une récompense », estime Marie Pierre Revel, cheffe de service de radiologie à l’hôpital Cochin, investigatrice principale de l’étude Cascade.
Ces motivations personnelles sont primordiales pour se sevrer du tabac et éviter une rechute. « Beaucoup de femmes qui arrêtent de fumer au moment de la grossesse reprennent juste après parce qu’elles n’arrêtent pas pour elles-mêmes mais pour leur bébé » abonde Emmanuel Ricard, porte-parole et délégué au service Prévention et Promotion du dépistage de la Ligue contre le cancer.
Pour Laurent Muraro, « l‘accompagnement a pour but de permettre à la personne qui veut arrêter de fumer de se dire que ce changement est important pour elle, qu’elle est décidée à changer et qu’elle a confiance en sa capacité de changer. »
La personne qui souhaite arrêter de fumer passe ensuite en revue toutes ses habitudes de consommation afin d’analyser sa dépendance au tabac : Combien de cigarettes ? Quand ? Où ? Avec qui ? À quelle émotion est associée la cigarette ? Cette étape est essentielle pour déterminer le bon traitement et la stratégie la plus efficace pour soi, et notamment si on veut arrêter de manière nette ou progressive.
Davantage de contraintes et donc de stress à gérer
Quand on se sent particulièrement stressé ou anxieux, le tabac, selon les fumeurs, aide à tempérer les tensions ressenties. En fait, l’effet de la cigarette est relativement bref, et ce qu’on éprouve le plus souvent est le manque qui génère des sensations négatives. Le réflexe consiste alors d’apaiser ces sensations négatives liées au manque en fumant. « Finalement, la cigarette supprime les émotions négatives qu’elle a elle-même créées dans ce mécanisme d’addiction », souligne Olivier Smadja, tabacologue à Santé publique France.
Chez les personnes très dépendantes, le tabac est ancré dans le quotidien et la privation peut générer des accès de panique. Les conditionnements en place doivent être pris en compte. Pour cette raison, il est préférable de changer certaines habitudes quand on arrête de fumer. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) aident à substituer de nouvelles habitudes aux anciennes, liées au tabac, pour gérer le stress différemment.
La difficulté à arrêter de fumer pour les femmes est rehaussée, rappelle Emmanuel Ricard, « par les contraintes et les attentes sociétales qui pèsent davantage sur les elles que sur les hommes ». Le stress généré par le manque s’ajoute ainsi au stress du quotidien. En termes sociétaux, la pression autour de la minceur et la peur de prendre du poids sont parfois des freins au sevrage tabagique et doivent aussi être intégrées dans l’accompagnement.
La nicotine diminue l’appétit, augmente les dépenses en énergie et ralentit le stockage des graisses. Quand on arrête de fumer, on passe d’un hypermétabolisme à un métabolisme normal, il n’est pas rare de prendre 2 à 3 kg. Faire un peu d’exercice, en empruntant l’escalier plutôt que l’escalator par exemple, permet de limiter cette prise de poids. Tabac Info Service permet de bénéficier d’une prise en charge gratuite avec un tabacologue nutritionniste qui détermine au fil du suivi de la nécessité d’un bilan nutritionnel.
Enfin, si on a tout à gagner à arrêter de fumer, il faut parfois faire preuve de patience et, à ce titre, ne pas se démoraliser. Plusieurs tentatives sont parfois nécessaires avant de réussir à arrêter de fumer. Mais chaque essai permet de mieux se connaître et d’identifier les facteurs de rechute. « A chaque reprise, les personnes sont mieux armées pour la tentative suivante », assure Olivier Smadja.
Ressources
• Le 39 89, numéro d’aide à distance de Tabac info service, accessible aux personnes sourdes ou malentendantes via la plateforme Acceo.
• Le site internet tabac-info-service.fr propose de nombreux contenus d’aide et outils d’accompagnement (mise en contact avec un tabacologue, témoignages, questions/réponses…).
• L’application Tabac info service propose un programme complet pour optimiser ses chances d’arrêt définitif du tabac. Elle permet notamment aux personnes qui ont choisi d’arrêter de fumer progressivement, d’enregistrer et de suivre au quotidien la diminution de leur consommation. Cette application est conçue pour accompagner les 30 premiers jours de sevrage. En effet, les symptômes du manque liés à l’arrêt du tabac diminuent considérablement au cours de cette période. Parvenir à ne pas fumer pendant ce laps de temps multiplie par cinq les chances d’arrêter définitivement.
• Pour les thérapies cognitives et comportementales (TCC), les Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) et les consultations hospitalières sont à privilégier afin d’être pris en charge par l’Assurance maladie. Les coordonnées des 385 CSAPA sont accessibles notamment sur drogues-info-service.fr
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