Insertion professionnelle des personnes en situation de handicap : des progrès, mais doit mieux faire

Ce jeudi 21 novembre se tient la 7ème édition du DuoDay. Cette journée qui consiste à proposer à une personne en situation de handicap de composer un binôme avec un collaborateur d’une entreprise pour une immersion dans le monde du travail, s’inscrit dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (18-24 novembre). Le handicap est-il toujours un obstacle à l’insertion professionnelle ? On fait le point.

Sur près de 3,1 millions de personnes ayant une reconnaissance administrative de handicap en France (7,5 % du total des 15-64 ans), près de 1,2 million étaient en emploi en 2023, selon l’Association d’aide à l’emploi des personnes en situation de handicap (Agefiph), ce qui représente 4,3 % de l’ensemble des personnes qui ont un travail. Le taux de chômage s’élevait lui à 12 %, soit près du double de celui de la population totale, un niveau stable par rapport à 2022. A noter aussi une légère progression des taux d’activité et d’emploi des personnes handicapées qui atteignent respectivement 45 % et 39 %.

Des chiffres contrastés

« Si le taux de chômage a baissé de près de 5 points depuis 2019, cette diminution est à relativiser, estime Carole Saleres, conseillère nationale emploi, ressources, formation chez APF France handicap. Les sorties des données ne correspondent pas toujours à une reprise d’emploi. D’après une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) publiée en 2023, confirmée par d’autres observations, une partie des personnes sans emploi renoncent à s’inscrire à France Travail, ou ont un défaut d’actualisation. On parle de chômeurs découragés. »

C’est particulièrement prégnant dans le monde du handicap, avec des personnes dont les trajectoires sont souvent difficiles. Et Carole Saleres de citer l’exemple de l’expérimentation « Territoires zéro chômeurs de longue durée », qui s’adresse plus spécifiquement à des personnes exclues de l’emploi. « Un quart des personnes concernées sont en situation de handicap. C’est frappant », commente-t-elle.

L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés pas respectée

Pour favoriser le développement de l’emploi des personnes handicapées, la loi oblige, depuis 1987, toute entreprise ayant au moins 20 salariés à employer des salariés en situation de handicap dans une proportion de 6 % de son effectif total. « L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) n’est toujours pas respectée. Elle atteint seulement 3,5 % dans le privé et 5,5 % dans la fonction publique, des données qui n’ont quasiment pas bougé depuis la mise en place de cette règle. Cela pose question ! », souligne Carole Saleres. En revanche, reconnaît notre interlocutrice, nombre d’entreprises ont mis en place de vraies politiques sur le handicap, à l’instar du référent handicap. « Le sujet est beaucoup plus visible aujourd’hui, on ne peut pas le nier, reprend-elle. Depuis 2016, de plus en plus de dispositifs ont vu le jour, comme l’emploi accompagné. La prise en compte de cette problématique progresse, mais cela ne se traduit pas forcément dans les chiffres. C’est un paradoxe. » Lequel est peut-être à mettre en lien avec l’extrême hétérogénéité des situations.

« Les handicaps, de naissance ou acquis, sont nombreux et différents. Et ils peuvent se rajouter à des difficultés pouvant toucher tout le monde comme l’âge, le genre, le niveau de formation. En ce qui concerne les entreprises, les moyens sont très variables, en fonction de leur taille (politique RH très structurée ou non, référent handicap ou non, etc.). A cet égard, les PME ne sont pas forcément outillées même si elles sont nombreuses à employer des personnes en situation de handicap », développe Carole Saleres.

Des préjugés encore nombreux

Dernier paramètre, et pas le moindre, le regard, voire les préjugés sur ces personnes. Ils sont nombreux, divers, mais certains plus récurrents que d’autres. « Le plus répandu est la présomption de difficultés liées au fait de recruter quelqu’un qui aura une moins bonne performance, car il sera fatigué plus facilement, plus souvent absent, etc. Le coût, en particulier pour l’aménagement du poste, revient fréquemment aussi, tout comme les problèmes d’intégration dans le collectif. Et pour le handicap psychique et mental, en particulier, ce sont encore et toujours des préjugés associés à des sentiments de crainte, voire de peur », énumère-t-elle un peu résignée.

Romain lui affiche un large sourire, au volant de sa voiture sans permis, à chaque fois qu’il est sur le chemin du magasin Lidl de Corbie, dans la région d’Amiens (Somme), où il est employé en CDI depuis avril dernier. « Quand j’ai appris que j’étais embauché, ce fût un grand soulagement ! », raconte-t-il. À 33 ans, c’est son premier emploi dans le monde « ordinaire » du travail. Ce fan de foot souffre de troubles DYS. Sa précédente expérience l’avait conduit à intégrer en 2017 l’établissement d’aide par le travail (ESAT) APF France Handicap de Rivery, dans la Somme, et son atelier conditionnement, après avoir développé ses compétences dans un autre ESAT du bassin amiénois.

 « Ce travail m’apporte de l’autonomie »

« J’en avais un peu marre de l’ESAT, reconnaît-il, non pas que ce n’était pas bien, mais j’avais hâte de concrétiser mon projet professionnel. Depuis longtemps, je voulais travailler dans un magasin comme celui-ci. Un de mes amis m’avait raconté son expérience, j’ai toujours voulu faire ça. » Romain fait notamment de la mise en rayon. Il vient de passer de 20 heures à 25 heures par semaine. Il a décroché ce poste après avoir participé au DuoDay l’an passé dans une autre enseigne Lidl de la région, puis un stage de quatre semaines là où il est actuellement. « Au bout de deux semaines de stage, j’avais déjà des retours très positifs », explique fièrement Laurent Bouchend’homme, chargé d’insertion professionnelle à l’ESAT APF France Handicap de Rivery, qui accompagne toujours Romain dans cette nouvelle aventure. « Son insertion se passe très bien. Je n’avais aucun doute sur son implication, ni sur le fait que cela allait donner de belles choses », ajoute-t-il. « J’aime beaucoup mon travail. J’ai été très bien accueilli et tout de suite bien intégré. Les collègues sont sympas. Je suis de nature très réservé, pourtant là, cela allait tout seul. Ce travail m’apporte de l’autonomie. C’est un grand changement dans ma vie », confie Romain.

Une méconnaissance du monde du handicap

Selon, Carole Saleres, les principaux freins à l’intégration résident souvent dans une méconnaissance du monde du handicap : « La chaîne d’accessibilité vers l’emploi (mobilité, accès aux locaux, aménagement du poste, la manière d’organiser le travail…) n’est pas bien appréhendée même si cela progresse. De nombreux dispositifs existent mais ils sont souvent méconnus. Les politiques d’emplois sont complexes, car au fil des réformes, ils se sont surajoutés. Il y a tout un ensemble d’acteurs, d’outils qui se superposent, se sédimentent. Résultat, c’est très peu lisible pour les entreprises et les personnes ».

Pour autant, des axes d’amélioration existent. « Il faut soutenir et accroître tous ces dispositifs qui permettent de sécuriser le parcours vers l’emploi, et in fine de lever les freins évoqués. Il faut travailler sur l’accessibilité, lutter contre les discriminations. Comme nous le montrons dans un dossier que nous publions à l’occasion de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, elles sont encore trop nombreuses », illustre Carole Saleres.

Rappelons que le handicap est le premier motif de saisine du Défenseur des Droits depuis au moins six ans. Par ailleurs, handicapé ou malade chronique, les personnes dans cette situation ont 3 fois plus de risques d’être victime de discrimination au travail. C’est un autre paradoxe, eu égard à la hausse constante des maladies chroniques. nt en hausse. « Certaines personnes préfèrent ne pas s’exposer à la discrimination en cachant leur maladie ou handicap », constate Carole Saleres.

L’un des enjeux cruciaux concerne également la formation des recruteurs et plus largement de l’ensemble du monde du travail. Un coup d’accélérateur est indispensable, estime la conseillère nationale emploi, ressources, formation chez APF France handicap : « Si les préjugés sont inévitables, il est important de mettre en place des processus d’embauche qui les éviteront ». Enfin, les associations concernées réclament des sanctions plus fortes quand les obligations ne sont pas respectées.

Les associations du réseau, engagées dans la représentation et la défense des intérêts des personnes en situation de handicap, proposent de nombreux outils et informations pour favoriser une meilleure insertion professionnelle de leurs bénéficiaires. Ils sont destinés aux employeurs et aux personnes en recherche d’emploi. En voici une liste non exhaustive.

 

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