Déplacements pour raisons de santé : quand débrouille et solidarité s’en mêlent

Comment se rendre à une consultation ou à un examen médical quand on est fragile, malade, qu’on ne dispose pas d’un véhicule personnel et que le trajet n’est pas pris en charge par lAssurance maladie ? Beaucoup de patients ont recours au système D, et notamment aux transports solidaires.

A Monnières, en Loire-Atlantique, petite commune de 2 000 âmes, Nicole, 90 ans, veuve et sans enfant, se sent un peu isolée. Le bourg le plus proche, où se trouvent pharmacie et médecin traitant, est à 4 km, et pour les soins plus lourds, comme la petite chirurgie qu’elle a dû subir l’an dernier, hôpital et cliniques sont à Nantes, à plus de 20 km. Impossible de s’y rendre par ses propres moyens, elle ne conduit plus depuis des années. Quant au taxi, si on ajoute au trajet le temps d’attente chez le praticien, la facture serait bien trop salée pour sa petite retraite.

Heureusement, les « Roues d’Secours du Vignoble » sont là ! Fondée en 2018, cette association de transport solidaire aide les habitants de sa communauté de communes qui n’ont pas de moyen de locomotion à se déplacer pour des démarches essentielles comme les courses ou les visites médicales. Les chauffeurs, en général jeunes retraités, sont tous bénévoles, et la plupart des bénéficiaires, des personnes âgées aux revenus modestes. Une petite contribution (35 à 45 centimes par kilomètre) leur est demandée pour participer aux frais d’essence : « Un aller/retour à Nantes leur revient à une vingtaine d’euros, rien à voir avec le coût d’un taxi », insiste le président de l’association Jean-Marc Peignen, qui reconnait que les rendez-vous médicaux constituent l’essentiel des déplacements demandés. « La population vieillit, les personnes âgées ont régulièrement besoin d’aller voir leurs médecins, généralistes ou spécialistes, et les proches, quand il y en a, ne sont pas forcément disponibles. La demande ne cesse de croître », précise-t-il. Nicole est pleine de gratitude. « Sans eux, dit-elle, je ne sais pas comment je ferais… en plus, c’est agréable, car les bénévoles qui nous accompagnent sont très sympas ! »

« Les roues d’Secours du Vignoble » font partie de l’Udams 44, Union Départementale d’Accompagnement à la Mobilité Solidaire qui fédère les associations de transport solidaire en Loire-Atlantique. Elles sont une cinquantaine, et constituent sans doute en la matière le maillage départemental le plus serré, en France. En 2023, leurs 1 800 bénévoles ont parcouru plus d’un million de kilomètres, pour des raisons médicales dans les deux tiers des cas, avec un trajet moyen d’environ 25 kilomètres aller-retour.

Les médecins font moins de tournées à domicile

« Notre mission devient d’autant plus essentielle que les territoires ruraux ont de moins en moins de services de proximité et que les médecins n’ont plus – ou en tout cas beaucoup moins – le temps de se déplacer chez le patient, il faut de plus en plus aller jusqu’à eux », déclare Christian Busnel qui a créé en mai 2024 l’association « Déplacements solidaires Couesnon Marches de Bretagne », en Ille et Vilaine.

Des initiatives comme celles-ci, il y en a des centaines en France, souvent soutenues voire portées par des fédérations comme Familles Rurales, mais aussi par la Mutualité Sociale Agricole, l‘Assurance Maladie et les départements. Dans le Loir et Cher, le dispositif Transport Solidarité Santé permet ainsi aux assurés aux ressources modestes, isolés géographiquement et dans l’impossibilité de se déplacer, de recourir à un taxi pris en charge par le Conseil général et les caisses d’Assurance maladie pour se rendre à des consultations, des soins ou encore des dépistages.

Outils de prévention, d’accès aux soins, et de soutien aux plus fragiles et aux plus isolés, ces solutions de mobilité solidaire n’ont pas l’ambition d’entrer en concurrence avec les missions spécifiques des transports dits « sanitaires », qui sont, eux, remboursés sur prescription médicale.

Sous certaines conditions, en effet, l’Assurance maladie assume tout ou partie des frais de transport des assurés qui doivent se rendre à un examen, suivre un traitement particulier ou rentrer à domicile après une hospitalisation. Les transports se font dans ce cas par taxi conventionné, véhicule sanitaire léger (VSL) ou ambulance, en fonction de l’état du patient.

Si nombre d’assurés y sont théoriquement éligibles, notamment les patients qui sont en affection de longue durée (ALD), à l’instar de l’insuffisance rénale, le diabète, le cancer, etc., le recours à ces transports sanitaires reste néanmoins compliqué.

Un accès aux transports sanitaires parfois difficile

D’abord parce qu’il est loin d’être systématique : « C’est faux de penser qu’une ALD enclenche automatiquement l’accès à ces transports remboursés, commente Camille Flavigny, directrice Droit et soutien des personnes à la Ligue contre le cancer. Depuis 2011, les conditions sont de plus en plus restrictives pour en bénéficier, et les démarches pour justifier le déplacement ou trouver les transporteurs agréés, compliquées, et donc épuisantes pour des patients déjà éprouvés par la maladie ».

Deuxième limite : les taxis conventionnés et ambulances sont très demandés, donc pas toujours accessibles. « Des personnes handicapées nous appellent parfois parce qu’elles ne trouvent pas de véhicule sanitaire léger disponible pour les conduire le jour du rendez-vous », illustre Audrey Schlesser, chargée du dispositif Mobilité solidaire pour Familles Rurales, en Moselle.

La qualité du service rendu n’est pas non plus toujours optimale. « Nous avons des problématiques spécifiques notamment aux outre-mer, avec un manque d’équipements et le non- respect de certaines prises en charge, reprend Camille Flavigny, mais aussi, plus classiquement, des difficultés de retards et de temps d’attente pour les patients ».

Autre reproche récurrent : les transports sanitaires refuseraient parfois le déplacement, comme l’attestent de nombreux témoignages. Nathalie, touchée par un cancer du sein il y a deux ans, raconte ainsi qu’elle a dû se résoudre à solliciter des amis pour se rendre à ses séances de chimiothérapie, voire à payer de sa poche des trajets en Uber. « Aucune société ne voulait venir chez moi car j’habite en centre-ville, pas loin de l’hôpital : comme elles sont payées au kilomètre et qu’elles risquaient des embouteillages, elles ne trouvaient pas ça assez rentable », témoigne-t-elle avec amertume.

Secrétaire générale de la Fédération nationales des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), Sophie Crabette déplore également cette situation. « Certains ne nos adhérents nous disent prendre exprès des rendez-vous chez des professionnels de santé loin de chez eux pour être sûrs qu’un transport sanitaire acceptera de les prendre en charge, car si c’est trop près, et que le déplacement est trop court, ils refusent. »

Les transports, une problématique croissante pour les patients

D’une façon générale, la FNATH fait le constat de « problèmes récurrents et même croissants » concernant les transports. « L’augmentation de la franchise sur les transports sanitaires, qui a doublé, en mars 2024, pour passer de 2 euros à 4 euros par trajet, soit 8 euros l’aller/retour, est une inquiétude de plus pour les patients », insiste Sophie Crabette.

Une inquiétude qui s’ajoute à l’éventualité d’une mutualisation de certains trajets sanitaires. Pour limiter les frais, l’Assurance maladie qui l’encourage déjà compte en effet contraindre certains patients, sous peine de pénalités financières, à accepter le covoiturage dans les taxis conventionnés. Pour faire des économies, le trajet serait partagé à plusieurs. La mesure, qui figure dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, attend toujours son décret d’application mais déjà, des patients craignent, avec cette nouvelle formule – certes plus économique – de la fatigue, une perte de temps, un impact psychologique douloureux et surtout de possibles transmissions virales dangereuses pour leur santé.

« Entre les déserts médicaux et la dégradation de la prise en charge des transports sanitaires, la famille, la solidarité – via le bénévolat ou l’action sociale – ou encore les services payants comme les taxis ou les Uber apparaissent de plus en plus comme indispensables à l’accès aux soins des patients », note Sophie Crabette.

Autant de frais « invisibles » dans les statistiques officielles, mais qui peuvent peser lourd, et générer des renoncements aux soins. « Soit on paie, soit on a de l’aide, soit on renonce à se déplacer », résume Camille Flavigny, de la Ligue contre le cancer.

« Dans mon département, les gens vont deux fois moins souvent chez le médecin que la moyenne nationale », relève Patrice Joly. Sénateur socialiste de la Nièvre, département rural, il plaide pour le remboursement des frais de transport de tous les patients qui vivent dans une zone sous-dotée et doivent faire des kilomètres pour se faire soigner. « La désertification médicale est une carence qui vient de l’Etat, c’est à l’Etat et pas au patient d’en assumer les conséquences financières en termes de transport », souligne l’élu. Sa proposition de loi, déposée en août 2023, n’a toujours pas été examinée.

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