Eau du robinet ou en bouteille ? D’aucuns se tournent plus volontiers vers les secondes, persuadés qu’elles offrent davantage de garanties de qualité. Une conviction assez éloignée de la réalité. On fait le point.
Les agences sanitaires le répètent inlassablement depuis des décennies : un adulte doit boire au minimum entre 1,5 et 2 litres d’eau quotidiennement. Reste à savoir vers quelle eau se tourner. Certains ne jurent que par les eaux en bouteille, d’autres sont entièrement satisfaits par ce que leur robinet délivre. « Il faut se garder de toute généralisation, encourage Yves Levi, professeur émérite de santé publique et membre des académies de médecine, pharmacie et technologies. Il existe autant de qualités d’eaux du robinet qu’il y a de communes. Au sein d’une même ville, les eaux sont parfois différentes selon les quartiers. Idem pour l’eau en bouteille : elles varient considérablement selon les marques et les sources. »
Deux types d’eau embouteillée
Qu’elles soient minérales naturelles ou de source, les eaux en bouteille sont toutes issues de nappes souterraines, théoriquement protégées naturellement des rejets polluants liés à l’activité humaine. La réglementation leur interdit presque tout traitement chimique ou microbiologique. Seules quelques interventions (filtration, décantation et aération) sont autorisées pour séparer les éléments instables naturels de type fer, manganèse ou soufre. Les eaux minérales naturelles se caractérisent par leur composition stable dans le temps et par la présence plus ou moins importante de minéraux (calcium, magnésium, fluor…), leur permettant de revendiquer des allégations thérapeutiques. Les eaux de source peuvent voir leur composition varier. Certaines eaux d’une même marque, comme Cristalline, sont par exemple puisées dans plusieurs sources réparties à travers l’Hexagone. On retrouve alors, sous la même étiquette, des eaux dont la composition diffère. En termes de contraintes de qualité, les eaux de sources sont soumises aux mêmes exigences physicochimiques que celles imposées à l’eau du robinet.
De source ou minérales naturelles, les eaux en bouteille font l’objet d’un contrôle sanitaire orchestré par les agences régionales de santé (ARS) via plusieurs prélèvements d’échantillons sur les lieux de captage, pendant le processus de production et lors du conditionnement. Des analyses sur plusieurs dizaines de paramètres garantissent ensuite que les consommateurs disposent d’eaux parfaitement saines. Doit-on en conclure que les eaux en bouteilles constituent le nec plus ultra ? Pas si sûr. D’abord car se pose la question du contenant : comme l’a souligné, en janvier dernier, une énième publication sur le sujet, les bouteilles en plastique peuvent contaminer l’eau qu’elles contiennent. Publiée dans la revue scientifique PNAS, l’étude américaine démontre la présence de quelque 240 000 nanofragments de plastique par litre dans des eaux de consommation de grandes marques. Autre raison de ne pas idéaliser les eaux en bouteilles : les ressources dont elles proviennent ne sont pas aussi irréprochables qu’elles devraient l’être. C’est ce qu’a révélé, en début d’année, une enquête de la radio France Info et du journal Le Monde à propos des eaux du groupe Nestlé. Comme l’a depuis reconnu le géant de l’agroalimentaire, des traitements interdits de filtration sur charbon et de désinfection aux ultraviolets ont été mis en œuvre sur les eaux des marques Perrier, Vittel, Hépar et Contrex pour maintenir leurs sécurité alimentaire. Si ces traitements en tant que tels n’ont aucune conséquence sur la santé humaine – ils sont d’ailleurs utilisés pour le traitement de l’eau du robinet –, leur utilisation illustre le fait que les ressources même très profondes, considérées comme protégées, présentent désormais, pour certaines, les mêmes risques de pollution que les ressources utilisées pour produire l’eau de distribution. En, témoigne le rapport que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a remis au ministère de la Santé en 2023, dans lequel l’agence fait part de la présence de plusieurs contaminants dans des eaux de Nestlé, dont des traces de PFAS, aussi appelés polluants éternels, et conclut à « un niveau de confiance insuffisant concernant l’évaluation des ressources ».
L’eau du robinet étroitement surveillée
Ici ou là pointée du doigt pour une odeur ou un aspect peu ragoûtants, l’eau du robinet a néanmoins toujours la cote : 68 % des Français en consomment en effet tous les jours et 88 % lui font tout à fait confiance, selon les résultats d’une étude publiée en décembre 2023 par la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau. Une confiance justifiée ? Il n’est guère de ressource alimentaire qui soit plus surveillée que l’eau. « En France métropolitaine, le système de contrôle des eaux de distribution est très protecteur, assure le Pr Levi. Il repose sur un double niveau de surveillance mis en place à la fois par les responsables de la production et de la distribution – maires, présidents de collectivités territoriales, entreprises déléguées – et les agences régionales de santé. » L’enjeu est de déterminer si l’eau qui sort du robinet répond aux exigences de qualité édictées par la réglementation européenne et inscrites, en France, dans le code de la santé publique. Est ainsi passée au crible la présence de micro-organismes, nitrates, pesticides, plomb, etc. Pour évaluer chaque norme, « on calcule la dose la plus forte ne produisant aucun effet sur l’organisme le plus sensible, à laquelle on ajoute un facteur de sécurité pour être parfaitement protecteur », détaille Yves Levi.
La dernière synthèse consacrée à la qualité de l’eau du robinet en France, publiée en décembre 2023 par le ministère de la Santé, indique que 98,2 % de la population a été alimentée par de l’eau respectant en permanence les limites de qualité pour les paramètres microbiologiques au cours de l’année, 84,6 % pour les pesticides et 98,8 % pour les nitrates. Chaque Français dispose d’un droit d’information sur l’eau qui coule de son robinet. Les édiles sont ainsi tenus d’afficher en mairie les bulletins d’analyse du contrôle sanitaire. Une fois par an, la facture d’eau envoyée à chaque usager doit être accompagnée d’une synthèse relative à la qualité. Enfin, les résultats de chaque commune sont consultables en ligne sur le site ministériel eaupotable.sante.gouv.fr
Des normes qui doivent évoluer
De quoi être définitivement rassuré sur l’innocuité de l’eau du robinet ? Pas pour tout le monde. André Cicolella, qui préside le Réseau Environnement Santé, se veut plus mesuré : « Les systèmes normatifs reposent sur des conceptions du siècle dernier, essentiellement bactériologiques. Leur faiblesse : elles ne tiennent pas suffisamment compte de la pollution chimique, notamment des perturbateurs endocriniens qui remettent en cause le vieux paradigme, selon lequel la dose fait le poison. Même présents en très faible quantité, ils peuvent induire des effets importants sur la santé. L’exemple des pesticides est éloquent : la limite réglementaire est fixée à 0,1 µg/L, c’est-à-dire le seuil de la détection analytique des années 1970, ce qui n’a aujourd’hui plus aucun sens. D’une façon générale, l’ensemble du système de normes est totalement obsolète ». Réviser les normes en vigueur et en créer de nouvelles pour prendre en compte davantage de contaminants, une nécessité qui semble confirmée notamment par les résultats des analyses conduites par l’Anses sur la présence de composés émergents dans les eaux destinées à la consommation humaine, publiés en mars 2023. Parmi ses constats, l’agence sanitaire note que deux métabolites de pesticides ont été retrouvés dans plus de la moitié des prélèvements réalisés sur tout le territoire français.
« Les progrès de la chimie analytique au cours des quinze dernières années participent à l‘identification de nombreux polluants – métabolites de pesticides, molécules perfluorées… – dont il est pratiquement impossible de prédire les effets biologiques des mélanges, sans compter ceux apportés par l’air et les aliments, rebondit Yves Levi. A cet égard, il est important de rappeler la différence entre le risque et le danger. Il est difficile d’admettre que la présence de traces de polluants n’induit pas forcément un risque. » Paradoxalement, la découverte de traces de produits polluants dans l’eau est rassurante car elle montre que les scientifiques disposent de données et que les connaissances progressent, mais elle révèle aussi l’ampleur des expositions à ces produits et les risques associés qu’il faut absolument évaluer au plus vite. « Il faut donc augmenter et accélérer nos capacités à faire de l’évaluation quantitative des risques en s’appuyant sur l’expertise collective, notamment au niveau européen, et multiplier sans attendre les actions de prévention pour que notre environnement soit de plus en plus propre », ajoute le Pr en santé publique. Et pour ne pas s’inquiéter inutilement, il convient en outre de ne pas confondre la pollution des ressources et celle de l’eau de distribution, et de se souvenir que l’eau ne représente qu’une partie de l’exposition aux polluants.
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