Journée mondiale de prévention du suicide : c’est nous, c’est vous, c’est ensemble et partout

Si le nombre de suicides baisse depuis une trentaine d’années, la part de la mortalité attribuable au suicide chez les moins de 35 ans est en augmentation. Pour encourager les jeunes et les moins jeunes en souffrance à demander de l’aide, osons parler du suicide. La Journée mondiale de prévention du suicide, ce 10 septembre, est l’occasion de s’engager, chacun à sa mesure, pour prendre part à la prévention partagée de ce fléau.

Le suicide représente encore près de 9 000 décès et 200 000 tentatives de suicide par an, soit près de 25 décès par jour. Le taux de suicide reste en France l’un des plus élevés d’Europe avec 13,4 suicides pour 100 000 habitants, pour une moyenne européenne de 10,2.

Les adolescentes et les jeunes adultes de plus en plus vulnérables

Les hommes se suicident davantage que les femmes (6 748 hommes pour 2 154 femmes en 2021) et le taux de suicide par habitant augmente avec l’âge. Ils sont particulièrement hauts chez les hommes de plus de 65 ans, qui représentent la catégorie de la population se suicidant le plus.

Mais chaque année le suicide est responsable de la mort de plus de 400 adolescents en France, ce qui en fait la deuxième cause de mortalité pour cette tranche d’âge. « On constate une augmentation de la part de la mortalité attribuable au suicide pour les moins de 25 ans entre 2017 et 2021, davantage marquée chez les jeunes femmes et filles que chez les hommes. Cela pourrait être lié à une amélioration des remontées statistiques à partir de 2018 mais également à un véritable phénomène sociologique qu’il faudra surveiller ces prochaines années », rapporte Jean-Baptiste Hazo, chargé d’études en Santé mentale à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).

Le nombre d’hospitalisations pour des gestes auto-infligées (tentatives de suicide et automutilations non suicidaires, comme les scarifications ou les brûlures de cigarette) est un autre indicateur de la dégradation de la santé mentale constatée chez les jeunes femmes et les adolescentes en particulier. Le nombre de patientes de moins de 25 ans hospitalisées chaque année pour ce type de geste est passé d’environ 14 000 entre 2012 et 2019 à plus de 20 000 sur la période 2021-2023, où il continue de progresser.

« Les gestes auto-infligés sont extrêmement à la hausse chez les adolescentes et jeunes femmes. Ce phénomène a commencé à affecter la jeunesse de différents pays d’Occident au début des années 2010. Certains observateurs font le lien avec la généralisation de l’accès aux réseaux sociaux via un smartphone. Il est vrai qu’il existe une corrélation entre une forte exposition aux réseaux sociaux et aux écrans et une santé mentale dégradée. C’est une corrélation qui ne permet pas à ce stade d’affirmer que les réseaux sociaux nuisent à la santé mentale. Une mauvaise santé mentale peut également conduire à consommer davantage d’écrans. Cependant, de plus en plus de travaux scientifique viennent étayer cette hypothèse pour expliquer, au moins en partie, la dégradation de la santé mentale d’une forte minorité de jeunes femmes à partir des années 2010 », souligne Jean-Baptiste Hazo.

En lien avec la généralisation des smartphones, l’accès complètement libre des jeunes à la pornographie pourrait également avoir un effet délétère sur la santé mentale des adolescentes. « On sait que le fait d’être objectifié sexuellement, d’avoir des rapports sexuels subis plutôt que consentis, créent du mal-être. Quand on regarde les chiffres sur les gestes auto-infligés, le pic chez les jeunes filles se situe à 15 ans, qui est également l’âge moyen d’entrée dans la sexualité. Une minorité de jeunes filles ne serait-elle affectée par de nouveaux comportements sexuels ? C’est également une hypothèse », poursuit Jean-Baptiste Hazo.

Par ailleurs, dans le rapport de l’Observatoire Nationale du suicide de septembre 2022, Claire Scodellaro indique que « le lien entre violence sexuelle subie et problème de santé mentale est bien établi par les enquêtes quantitatives en population générale. En particulier, le fait d’avoir été victime de violence sexuelle et celui d’avoir effectué une tentative de suicide sont corrélés. […] Ainsi, quasiment un tiers des femmes adultes exposées à un viol ou à une tentative de viol ont également tenté de se suicider ».

Un sentiment de solitude croissant chez les jeunes

L’isolement social croissant est aussi un facteur de risque pour la santé mentale. La proportion de gens vivant en France avec un faible soutien social augmente en population générale. « Les jeunes sont les plus protégés sur cette thématique mais la part de ceux avec un faible soutien social a doublé entre 2019 et 2021, passant de 8 à 16 % », confirme Jean-Baptiste Hazo.

Les causes du sentiment de solitude et de l’isolement sont multiples et varient selon les territoires. Dans son rapport Solitudes paru en janvier 2024, la Fondation de France pointe, entre autres, l’impact délétère chez les jeunes de l’érosion du tissu relationnel dans les campagnes et, dans les quartiers populaires, le taux de pauvreté, de chômage, la surpopulation dans les logements et la délinquance qui freinent l’entretien de relations sociales denses et diversifiées et minent les perspectives d’avenir des jeunes. Il souligne également la surexposition aux risques de la rue des jeunes ayant un parcours en protection de l’enfance.

« L’exercice du lien social, à ses différents niveaux, de l’intime à l’institutionnel, est trop souvent ignoré, négligé, à notre époque où la focalisation est largement et très excessivement axée sur l’individu, lui imposant une charge mentale excessive, de réussite, d’excellence dont on connaît trop l’effet délétère et potentiellement suicidogène, notamment chez les élèves, voire chez les étudiants », déclarait Marc Fillatre, psychiatre, praticien hospitalier au CHRU de Tours et président de l’Union Nationale de Prévention du Suicide (UNPS) lors du colloque « Lien social et prévention partagée : comprendre, entretenir, recréer » qui s’est tenu le 9 février dernier à Paris.

Marc Fillatre rappelait également que « les personnes qui passent à l’acte sont toujours au croisement de deux situations : il y a à la fois la conviction d’être en dehors du groupe social, un sentiment d’isolement inscrit profondément, et par ailleurs la certitude de faire face à quelque chose de non modifiable, qui ne peut plus se résoudre autrement que dans le passage à l’acte ».

Nous ne sommes jamais seuls

En cause aussi, un certain nombre de clichés autour du suicide. Pour Jean-Baptiste Hazo, « on parle encore beaucoup du suicide comme un acte de courage, une prise de décision mais ce type de suicide dit « rationnel » correspond à très peu de passages à l’acte. Cette vision du suicide ne correspond pas du tout à ce que les professionnels de santé et les personnes qui sont passées par là décrivent. La plupart des suicides sont des actes de désespoir. La souffrance psychique est telle que la personne ne trouve pas d’autre issue que celle-là ».

C’est la raison pour laquelle les psychiatres estiment que le suicide correspond à une rupture dans le développement, quel que soit l’âge, et doit faire l’objet d’une proposition d’accompagnement. Nous ne sommes pas ici dans le champ de l’aide active à mourir. Les différents intervenants professionnels et bénévoles sont ainsi très engagés pour montrer que des solutions existent. « Quand on est aidé, on peut s’en sortir. Les personnes qui ont tenté de se suicider, une fois rétablies, peuvent être de très bons acteurs de prévention en suicide, parce qu’ils ont vécu dans leur chair ce moment de détresse intense », déclare Jean-Baptiste Hazo.

Une autre idée fausse sur le suicide conduit à penser que « parler du suicide incite à le faire ». La conférence de consensus qui s’est tenue les 19 et 20 octobre 2000 à Paris, a défini la crise suicidaire comme « une trajectoire qui va du sentiment péjoratif d’être en situation d’échec à l’impossibilité d’échapper à cette impasse, avec élaboration d’idées suicidaires de plus en plus prégnantes et envahissantes jusqu’à l’éventuel passage à l’acte ». Cette période peut être brève mais elle dure souvent plusieurs semaines.

« Quand quelqu’un verbalise des pensées suicidaires, ce n’est jamais pour rien. Il faut être en capacité de rebondir et de lui dire qu’on est là et qu’on peut l’aider à contacter des professionnels de santé. Entendre quelqu’un dire « demain je vais me tuer » est extrêmement difficile, d’où l’importance de savoir repérer ces signaux et en discuter en étant ouvert à la souffrance de la personne, pour la conduire à se faire aider », rebondit Marie‑Jeanne Richard, Présidente de l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM).

Parfois le signe d’alerte est non verbal, notamment chez les jeunes. Ne plus voir personne, se scarifier, boire de l’alcool jusqu’au coma éthylique : ces conduites à risque sont aussi des appels à l’aide. Le site internet « Dites je suis là » permet de s’informer sur les signes d’alerte du suicide. Et quand on a des idées suicidaires, ou que l’on est inquiet pour un proche, le bon réflexe, c’est le 3114, le numéro national de prévention du suicide pour tous.

Soutenir et prévenir la répétition

Le 3114 est une ligne téléphonique fonctionnant 24h/24 et 7j/7. Elle est confidentielle, gratuite et accessible en tout point du territoire. Ses répondants sont infirmiers ou psychologues, et sont supervisés par un psychiatre coordonnateur.

Sa mission est d’apporter une réponse à toute personne confrontée à des pensées suicidaires ou au suicide : les personnes en souffrance, mais aussi les personnes qui sont impactées ou endeuillées par un suicide, les professionnels engagés dans la prévention et les personnes inquiètes pour un proche. « Quand on s’inquiète pour quelqu’un, on se sent souvent démuni. En appelant le 3114, on discute et différentes solutions nous sont proposées : soit des solutions pour aborder le sujet de façon plus tranquille et savoir quoi faire, soit pour passer le relais auprès de la personne en souffrance », explique Thomas Delbarre, coordinateur du pôle communication du dispositif. Dans tous les cas, le risque suicidaire est évalué. L’objectif est de rompre l’isolement de la personne en détresse, de l’éloigner des moyens létaux et de l’accompagner dans des démarches de demande d’aide.

Lancé en 2021, le 3114 a reçu 200 000 appels la première année. « Depuis l’ouverture, on s’approche des 700 000 appels. Actuellement, nous recevons environ 750 appels par jour, dont pas mal d’appels de jeunes. Il y a un mal-être chez les jeunes, et nous les touchons plus facilement que d’autres populations parce qu’ils sont beaucoup sur les réseaux sociaux et que le 3114 y est très présent », précise Thomas Delbarre. Pour assurer la qualité des réponses et couvrir la grande diversité des appels, l’organisation du 3114 est régionalisée : les répondants s’appuient sur un répertoire large de ressources aux niveaux local et national.

La stratégie nationale de prévention du suicide intègre également le risque de répétition car la survenue d’une tentative de suicide multiplie par 20 le risque de nouvelle tentative dans l’année suivante, et par 4 le risque de suicide ultérieur – 75 % des réitérations ont lieu dans les six mois suivant une tentative de suicide. Lancé en 2015, le dispositif VigilanS a justement pour objectif de contribuer à faire baisser le nombre de suicides et le nombre de répétitions de tentative de suicide. Il consiste en un système de re-contact et de veille post-hospitalière. Il organise autour de la personne ayant fait une tentative de suicide un réseau de professionnels de santé qui garderont le contact avec elle sur une période allant de quelques jours à six mois après leur tentative de suicide. VigilanS est déployé dans 17 régions dont 4 de l’Outre-mer et dans 99 départements sur 101.

L’évaluation du dispositif VigilanS menée par Santé Publique France entre 2015 et 2017 a montré une diminution de 38 % du risque de réitération suicidaire dans les douze mois suivant leur tentative de suicide chez les patients VigilanS.

Papageno : un programme pour prévenir la transmission suicidaire

Quand quelqu’un se suicide dans une famille, un groupe de jeunes, une entreprise ou une institution cela provoque un véritable choc individuel et collectif qui peut entraîner d’autres suicides, par effet de mimétisme. Au niveau individuel, être exposé à un suicide multiplierait par 2 à 4 le risque de passage à l’acte. « La contagion suicidaire est un phénomène dont on parle peu, mais la manière dont on évoque le suicide a un impact », rapporte Marie-Jeanne Richard, Présidente de l’UNAFAM. « Pendant longtemps, le premier réflexe était de ne pas en parler. […] Or tous les spécialistes sont formels, le silence entrave toute possibilité de prévention en général, mais surtout de prévention de la contagion suicidaire. Pour toutes ces raisons, il est important de porter une attention particulière aux actions à mener après un tel événement », précise Monica Messina, chargée du programme postvention sur le site Internet du programme Papageno. Enfin, le programme Papageno livre des clés aux journalistes, contributeurs du web, auteurs de fiction ou membres d’entreprises ou d’institutions pour en parler avec justesse, afin de prévenir le suicide et promouvoir l’entraide et l’accès aux soins.

Ressources

1 commentaires

  • LEFRERE Marie-Claude dit :

    Il faut savoir que des mamans se sont mobilisées sur Facebook pour parler librement du suicide de leur enfant. Car le suicide est toujours un sujet tabou pour ces familles qui souffrent en silence. Actuellement le groupe « la perte de mon enfant par suicide » compte 2600 membres. C’est un groupe privé. Ce qui est frappant c’est la photo de tous ces jeunes partis trop tôt. C’est un véritable cri de désespoir où bien souvent chacune évoque le « on a rien vu » « on n’a pas pu les sauver ».
    Mon enfant Céline s’est suicidée en août 2005 par pendaison. Or je ne connais ce groupe que depuis cette année et il représente une lumière dans un horizon bien terne d’indifférence.

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