Parmi les évolutions qu’a connues le Programme National Nutrition Santé (PNNS), il y a la mise en garde concernant les aliments ultra-transformés (AUT). Depuis une dizaine d’années, de nombreuses études rapportent que la consommation de ces produits pourrait contribuer au développement de certaines maladies chroniques.
Les aliments ultra-transformés (AUT) sont apparus progressivement dans les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale, pour « exploser » dans les années 1980 et 1990. Les aliments sont considérés comme ultra-transformés dès lors qu’ils ont subi d’importantes transformations à travers divers procédés industriels, tels que le fractionnement des aliments, l’extrusion, le soufflage, les fritures industrielles, etc., et/ou qu’ils contiennent des additifs ou des ingrédients cosmétiques pour modifier goût, couleur, arôme et texture, uniquement utilisés dans le contexte industriel (huiles hydrogénées, émulsifiants, amidons modifiés, etc.), non essentiels à la santé.
A quand remontent les premières études sur l’impact des AUT ?
Pour aborder les effets de la transformation et de l’ultra-transformation des aliments sur notre métabolisme, il faut comprendre par exemple qu’une pomme cuite en compote (sans sucre ajouté) possède un index glycémique supérieur à une pomme crue, c’est-à-dire que la compote induit un pic de glycémie plus élevé que la pomme crue. La cuisson a, en effet, un impact sur ce que l’on appelle l’effet « matrice » des aliments. C’est un aspect particulièrement étudié par le docteur en nutrition humaine Anthony Fardet et son équipe. « Deux aliments ayant la même composition nutritionnelle mais pas la même structure n’ont pas forcément les mêmes effets métaboliques et l’explosion de la consommation des aliments dont la matrice est très dégradée, donc tout particulièrement les aliments ultra-transformés, sont probablement en partie responsables de l’accélération du nombre de maladies chroniques ces dernières années », explique-t-il.
C’est en 2018 que, pour la première fois, les liens entre consommation d’AUT et risque de maladies chroniques graves sont mis en évidence, grâce aux recherches de la docteure en nutrition Mathilde Touvier, qui dirige l’équipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle à l’Inserm / Université Sorbonne Paris Nord. Elle et son équipe publient une série d’études montrant que l’exposition régulière aux AUT serait associée à un risque accru de cancers, maladies cardio-vasculaires, mortalité, diabète de type 2, symptômes dépressifs, obésité et troubles fonctionnels digestifs. « Nous avons la chance de piloter la cohorte NutriNet-Santé, lancée en 2009 et forte de plus de 178 000 participants qui renseignent, avec un niveau de détail unique au monde, leurs habitudes alimentaires, incluant les marques des aliments industriels qu’ils consomment, ce qui nous permet de déterminer leurs expositions aux AUT et aux additifs alimentaires », détaille la chercheuse.
De son côté, sa consœur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Tasmine Akbaraly, a travaillé sur le lien entre alimentation et santé mentale au sein d’une cohorte britannique et révélé que les participants qui consommaient le plus d’AUT présentaient 30 % de risques supplémentaires de développer des épisodes de symptômes dépressifs récurrents, par rapport à ceux qui en mangeaient moins. En outre, au cours d’un essai clinique effectué auprès de patients dépressifs majeurs, il est ressorti que les patients dont on améliorait l’alimentation voyait la sévérité de leurs symptômes diminuer.
En quoi les aliments ultra-transformés sont-ils dangereux ?
En matière d’impact sur la santé, la dimension « nutritionnelle » a fait ses preuves. On sait aujourd’hui que la consommation excessive d’aliments riches en sucre, sel, graisses saturées (ou acides gras saturés) conjuguée à une carence en fibres est délétère pour la santé. Or en moyenne, les AUT ont un moins bon profil nutritionnel, précise Mathilde Touvier. Mais ce n’est pas tout. D’autres caractéristiques des AUT jouent probablement un rôle sur la santé, comme la dégradation des aliments et des matrices, accentuée par des procédés industriels particulièrement agressifs. Celle-ci impacte la manière dont les vitamines, minéraux et autres nutriments sont assimilés par l’organisme, ainsi que notre rapidité d’ingestion. Ces procédés de transformation peuvent aussi conduire à la création de contaminants néfastes (acrylamide, acroléine, acides gras trans, etc.).
Une autre caractéristique potentiellement problématique des AUT tient à la présence de certains additifs industriels. « Des expertises collectives ont par exemple conclu à une mise en cause du dioxyde de titane qui est désormais suspendu en France, des nitrites dont le caractère cancérigène a été reconnu ou de l’aspartame classé comme cancérigène possible par le Centre International de Recherche contre le Cancer de l’Organisation Mondiale de la santé. On commence même à observer des liens entre l’exposition à certains émulsifiants et le risque de maladies chroniques dans l’étude NutriNet-Santé », rapporte Mathilde Touvier qui pointe également le potentiel effet « cocktail » de tous ces additifs. Elle rappelle, notamment pour les enfants particulièrement exposés aux AUT, que la consommation de boissons sucrées et édulcorées, de friandises, céréales de petit déjeuner ou gâteaux industriels, devrait être limitée à des occasions exceptionnelles, comme des goûters d’anniversaire.
Les aliments ultra-transformés sont partout
Aujourd’hui, il est difficile d’échapper aux aliments ultra-transformés. Selon Anthony Fardet, ces produits représentent 70 % de l’offre en ce qui concerne l’alimentation conventionnelle industrielle. L’alimentation biologique industrielle n’est pas épargnée. Même si moins d’additifs y sont autorisés, 50 % des produits industriels biologiques se rangent dans la catégorie des AUT. Plus inquiétant encore, alors que la part des AUT chez les adultes représentent 30 à 35 % des calories consommées (voir cette étude de 2021), Anthony Fardet estime qu’en 2015, cette part monte à 46 % chez les moins de 18 ans. « Les AUT avancent à visage masqué », déplore le chercheur. Certains affichent un bon NutriScore, d’autres vantent leurs intérêts « santé » pour améliorer le transit, ou leur apport en omégas 3, mais la réalité est qu’ils sont tous des aliments fortement dégradés, modifiés, dénaturés. Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO), parle même d’une nouvelle tendance qui se fait jour aux Etats-Unis, où les industriels développent des aliments ultra-transformés soi-disant adaptés aux traitements anti-diabète et également prescrits pour lutter contre l’obésité, alors même qu’on sait que les AUT tendent à favoriser l’apparition de ces deux maladies.
Ainsi les procédés de l’industrie alimentaire, apparus comme un progrès à la fin du siècle dernier, en termes de rapidité, de facilité de préparation des aliments, en termes aussi de conservation, voire d’amélioration du goût ou d’apports nutritionnels, sont aujourd’hui, en partie, remis en question. Pour autant, selon Mathilde Touvier, il n’est pas question de revenir complétement en arrière. Elle compte sur l’ingéniosité des industriels pour valoriser ces progrès sans passer par l’ultra-transformation. « Lorsque le public a compris l’intérêt du Nutri-Score et qu’il l’a plébiscité – on le sait puisque les ventes des aliments notés D et E ont aujourd’hui reculé tandis que les ventes des produits marqués de la lettre A ont augmenté – la plupart des industriels se sont adaptés et ont joué le jeu malgré leur grande résistance des débuts. On peut espérer qu’ils feront de même avec les AUT si le grand public en comprend les enjeux et s’en éloigne », observe-t-elle.
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