Dans le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, actuellement débattu à l’Assemblée nationale, l’un des volets du texte concerne les soins palliatifs et, notamment, les conditions de déploiement des maisons d’accompagnement. Pensées comme un intermédiaire entre l’hôpital et le domicile, ces structures visent à proposer une prise en charge pluridisciplinaire aux personnes en fin de vie. À l’origine de ces maisons, Laure Hubidos, la présidente du Collectif national des maisons de vie. Elle a fondé la première maison de vie – appellation qu’elle préférait à celle retenue de « maison d’accompagnement » – en 2011, à Besançon, au terme de vingt ans d’une combattivité sans faille. Entretien avec Laure Hubidos.
Comment est né ce projet de maison de vie ?
Laure Hubidos – L’idée remonte à une vingtaine d’années. À l’époque, j’étais bénévole en soins palliatifs, au CHU de Besançon, mais aussi à domicile, où j’ai notamment accompagné durant trois années un homme qui était atteint de la maladie de Charcot.[1] Et assez rapidement, je me suis rendue compte que les personnes faisaient beaucoup d’allers et retours entre le domicile et l’hôpital, pour des raisons qui ne nécessitaient pas forcément une médicalisation, et cela faute de structures alternatives. Je me disais que ce serait merveilleux d’avoir une petite maison où l’on s’occuperait des personnes comme je le faisais avec cet homme qui a été déterminant dans la maturation de ce rêve.
En quoi le contact avec cette personne touchée par la maladie de Charcot vous a amenée à imaginer un accueil et un accompagnement différents ?
Laure Hubidos – En fait, ce n’est pas parce qu’on est gravement malade, ou même en situation de soins palliatifs, que l’on va mourir demain ou que l’on n’a plus de besoins ni de désirs. Si l’on excepte les derniers jours de la fin de vie, les personnes peuvent profiter des petites choses de la vie quotidienne, comme aller au cinéma, boire un café en terrasse, etc., sauf qu’à l’hôpital, c’est compliqué, voire impossible, et à la maison, ça peut l’être aussi, avec des aidants souvent épuisés et stressés. C’est pourquoi j’ai imaginé un lieu ouvert où on « chouchouterait » ces personnes, où on leur permettrait de vivre ce qu’elles ont à vivre jusqu’au bout, tout en étant pleinement dans la société.
D’autant que la fin de vie peut être d’une durée indéterminée…
Laure Hubidos – De mon expérience, les personnes, y compris atteintes de la maladie de Charcot, n’attendent pas la mort. On cite souvent cette pathologie neurodégénérative dans les médias parce qu’elle est très lourde et très invalidante. Dans la maison de vie de Besançon, nous avons accompagné notamment une jeune femme qui souffrait de cette maladie : elle effectuait de manière régulière des séjours de répit, en alternance avec son domicile. Elle ne parlait plus, était sous assistance respiratoire, et pourtant elle impulsait une force de vie pour l’ensemble de la maison, les résidents et l’équipe, et on l’emmenait se balader, au cinéma… On peut mettre de la vie dans la maladie.
Vous ne venez pas du milieu sanitaire ou médico-social. Cela a-t-il constitué un handicap ?
Laure Hubidos – Au début, c’est vrai, ma démarche a surpris. En fait, elle se veut avant tout humaine. À titre personnel, la maladie et la mort ont fait partie très tôt de mon environnement, qu’il s’agisse de mes proches ou de moi-même. Quand j’étais jeune, j’ai failli mourir. Alors que j’étais en soins intensifs, une aide-soignante s’est assise sur mon lit, m’a pris la main et m’a parlé. De ma vie, je n’oublierai cette femme. J’ai pensé ma démarche en me positionnant comme potentielle résidente, en me demandant comment j’aimerais être accompagnée, comment j’aimerais que mes journées se déroulent, etc. J’ai voulu une maison qui ressemble davantage à une « maison d’hôtes » qu’à une structure sanitaire ou médico-sociale, avec un jardin pour déjeuner dehors et un salon commun pour la douzaine de résidents. Seuls les lits étaient médicalisés. En outre, on a développé le bénévolat d’activité. Chaque semaine, la responsable des bénévoles faisaient le tour des résidents et leur demandait de quoi ils avaient envie.
Le patient est au cœur du dispositif, ce qui change probablement l’approche de la fin de vie…
Laure Hubidos – Le fait que je ne sois pas soignante a permis ce changement. On me demande souvent quelle est la différence entre les maisons de vie, ou d’accompagnement, et les unités de soins palliatifs. En fait, ces deux approches n’ont rien à voir. Dans la maison de vie, tout ce qui se rapporte au médical est mis à l’arrière-plan, ce qui n’est évidemment possible qu’à la condition que ce champ-là soit méticuleusement cadré, en aval, et encore plus sécurisé que dans un établissement de santé.
Cette organisation a-t-elle été difficile à mettre en place ?
Laure Hubidos – Pour la maison de vie de Besançon, on a tout inventé. Il a fallu un peu de temps, car le mode de fonctionnement bousculait les habitudes. Dans cette configuration hors les murs, on est tout seul : il n’y a pas la macrostructure pour encadrer l’organisation. On a mis en place des protocoles spécifiques de sécurisation pour le plan de soins et le suivi des médicament. Il en a été de même pour les modalités de prise en charge pour les personnes en fin de vie, qui étaient évaluées au jour le jour, voire heure par heure. Une commission d’admission était chargée d’évaluer comment la personne serait accueillie. On avait trouvé en ville des médecins généralistes formés aux soins palliatifs ou qui avaient une appétence pour ce type de prise en charge, le relais était donc assuré avec le médecin traitant, en lien avec le médecin coordinateur de la maison.
Vous dites que cela bouscule les habitudes. Qu’en a-t-il été des soignants ?
Laure Hubidos – Les professionnels de santé étaient heureux de travailler comme ils l’avaient toujours rêvé. Pour eux, cette maison était une sorte de lieu idéal pour les personnes en fin de vie. Beaucoup ont témoigné en ce sens. Ils pouvaient enfin prendre le temps. Je pense à l’une de nos résidentes qui avait la maladie de Charcot. Pour la lever et lui faire sa toilette, il fallait compter 2 heures. Nous prenions chaque jour ce temps pour elle.
Vous rappelez qu’à la maison de vie de Besançon, les équipes priorisaient l’être au faire…
Laure Hubidos – J’irais plus loin : ces maisons sont dans l’essence même du « care », autrement dit « le prendre soins ». Il y a de gestes techniques à réaliser, bien entendu, mais le fait d’être dans le prendre soin permet qu’il y ait une interaction avec le résident et le soignant. J’ai donné des formations à des infirmières et même des médecins. Ils ne savent pas toujours appréhender la fin de vie, dans sa dimension humaine et même psychologique. Je les invitais à laisser parler leur cœur, à prendre la main des patients, à leur parler ou à rester à leurs côtés dans le silence… encore faut-il en avoir le temps.
Grâce à cette attention, certains de vos résidents ont réussi à prolonger leur fin de vie, contre toute attente…
Laure Hubidos – Je me souviens d’une patiente arrivée à la maison pour un accompagnement de toute fin de vie, selon ses médecins. Elle souffrait d’une tumeur cérébrale métastasée et était dans un état comateux. On l’a chouchoutée et au fil des jours, elle s’est comme réveillée. Au bout de quelques mois, elle partait se balader. Ce retour à la vie lui a permis de retisser des liens avec sa fille et d’aller vers un apaisement. À partir du moment où on accorde de l’amour et de l’attention à quelqu’un et qu’on lui permet de vivre ces petites choses qu’il a envie de vivre, il se passe des choses exceptionnelles qui nous dépassent.
Une raison suffisante pour rester mobilisée…
Laure Hubidos – Effectivement, et c’est pourquoi, avec le collectif, nous nous sommes tout particulièrement mobilisés l’an passé au moment où la Convention citoyenne sur la fin de vie a été installée. L’expérimentation menée à Besançon, durant trois ans, avec le soutien de l’ARS Bourgogne-Franche-Comté et le conseil départemental du Doubs, avait fait ses preuves, le moment était venu d’interpeller les pouvoirs publics. C’est une question de bon sens, au niveau sociétal, sanitaire, économique et humanitaire. Ces maisons apportent une solution d’aval, en sortie d’hôpital pour du répit ou des séjour longs.
La création de ces maisons d’accompagnement ne risque-t-elle pas d’empêcher le développement des unités de soins palliatifs ? Rappelons qu’une vingtaine de départements n’en ont pas…
Laure Hubidos – Les maisons de vie s’inscrivent en totale complémentarité et non pas en opposition avec l’existant. Et d’ailleurs, la majorité des porteurs de projets de maisons d’accompagnement au sein du Collectif national des maisons de vie sont des soignants spécialisés en soins palliatifs. Elles contribuent au renforcement du maillage territorial en matière d’accès aux soins palliatifs. Enfin, à Besançon, nous avons toujours travaillé en étroite collaboration avec l’unité de soins palliatifs du CHU et avec les équipes mobiles de soins palliatifs.
Au cours des vingt ans écoulés, vous vous êtes heurtée à pas mal d’obstacles, le projet de loi sur la fin de vie va régler ces questions. Cet aboutissement signe-t-il la fin de votre engagement ?
Laure Hubidos – Je peux me dire, pour une part, mission accomplie. Mais je vais quand même veiller à ce que tout se passe bien, que l’esprit de ces maisons soit pérennisée. Eviter toute espèce de dérive est une responsabilité de notre société.
[1] La maladie de Charcot, ou sclérose latérale amyotrophique (SLA), est une maladie neurodégénérative qui se caractérise par une perte progressive des neurones moteurs du cerveau et de la moelle. Son incidence en France est de 2,7 nouveaux cas pour 100 000 habitants. La survie, très variable, est généralement de 3-4 ans après le début des symptômes.
Laisser un commentaire public