Journée Mondiale de l’Hémophilie en ce 17 avril. En France, quelque 15 000 personnes sont touchées par l’hémophilie et autres déficits constitutionnels de protéines de la coagulation. Pour cette JMH 2024, la thématique retenue est « L’accès équitable pour tous les troubles de la coagulation ». L’occasion de mettre le cap sur les départements d’outre-mer, et en particulier La Réunion, où bénéficier d’une prise en charge adéquate relève du parcours du combattant. Témoignages.
Isabelle Mouraman est la présidente de l’Association française des hémophiles (AFH) Réunion. Elle est aussi la maman d’un adolescent, aujourd’hui âgé de 19 ans, atteint d’un trouble plaquettaire qui pourrait s’apparenter à la maladie de pool vide – une thrombopathie rare, principalement héréditaire, définie par un déficit en granules denses intraplaquettaires, induisant des hémorragies d’intensité généralement modérée. « Pourrait », car depuis l’apparition des premiers signes en 2006, le diagnostic n’est toujours pas définitivement arrêté.
« Nous avons traversé une longue et difficile phase d’errance diagnostique, raconte Isabelle Mouraman. En 2008, les médecins de l’hôpital de Saint-Denis ont évoqué la maladie de Willebrand, une des formes les plus fréquentes du groupe des maladies hémorragiques constitutionnelles rares (MEHMO). Quatre ans plus tard, ce premier diagnostic a été annulé, et pendant ce temps, mon fils a été régulièrement hospitalisé pour des saignements. Nous sommes allés consultés différents médecins dans l’Hexagone, au CHU de Lyon, Nancy, Lille et maintenant Marseille où nous sommes désormais suivis ».
Soigné à Marseille
Entre Saint-Denis de la Réunion et Marseille, 10 786 km. C’est le prix à payer pour un suivi adapté, même si les examens biologiques sont toujours en cours pour déterminer si la piste de la maladie de pool vide est bien la bonne. En attendant, reprend la présidente d’AFH Réunion, « nous menons une vie au jour le jour, avec des moments plus ou moins compliqués ». Et tous les six mois, direction Marseille pour une semaine de soins et d’examens – avec cette difficulté supplémentaire que le jeune homme a développé une spondylarthrite ankylosante. Ces allers-retours en avion ont un coût, tout comme l’hébergement – préférable cependant à une hospitalisation, qui serait plus onéreuse, précise Isabelle Mouraman. « Il y a une participation de notre mutuelle, mais pour le reste, c’est notre argent. »
Ce cas particulier est loin d’être unique, pour ce qui est du moins de la prise en charge sur l’île de l’océan Indien. A l’occasion de la JMH 2024, la présidente d’AFH Réunion a recueilli plusieurs témoignages de patients qui ont été confrontés à des prises en charge aux urgences indignes et préjudiciables. Nous vous en livrons deux, celui de Frédéric, adulte hémophile, et celui de Joselito, père de deux enfants hémophiles, mineurs.
«J’ai eu l’impression qu’ils ne voulaient pas me prendre en charge»
Suite à une intervention chirurgicale qui a eu lieu le 28 mars dernier, j’ai fait une infection post-opératoire, ce qui m’a conduit à me rendre aux urgences, dès le lendemain. Ils m’ont prescrit des antibiotiques et renvoyé chez moi sans me faire ni injection, ni prise de sang, contrairement à ce que je réclamais. Le surlendemain, ma situation ne s’étant pas améliorée, je suis retourné aux urgences. Je pouvais à peine marcher, j’avais des douleurs importantes. Un médecin m’a donné de la morphine pour les apaiser. J’ai à nouveau réclamé une prise de sang, en vain. A peine étais-je rentré chez moi que je recevais un appel de la coordinatrice hospitalière pour m’informer que, suite à l’intervention, un hématome s’était formé. Je suis donc immédiatement retourné aux urgences pour prendre le traitement indiqué. Une fois arrivé, les médecins des urgences me font savoir qu’ils ne sont pas au courant. J’ai eu l’impression qu’ils ne voulaient pas me prendre en charge. Je leur ai donné le numéro de téléphone de la coordinatrice. Suite à cet appel, ils m’ont enfin fait une injection et une prise de sang. Il aura fallu 3 passages aux urgences, sans parler de la souffrance, à cause d’une défaillance au niveau de la coordination (préparation des instructions, etc.) et de l’obstination des médecins aux urgences.
«Notre fils a gardé des séquelles suite à une mauvaise prise en charge»
Depuis des années, je dénonce la mauvaise prise en charge des personnes hémophiles au service des urgences de Saint-Pierre. Vous avez beau expliquer la situation, montrer la carte d’hémophile, les médecins ne sont pas à l’écoute et vous répondent que cette carte n’a aucune valeur. A l’âge de 9 ans, mon fils a fait une hémorragie au niveau du psoas, un muscle placé sur les vertèbres lombaires. Il n’a pas été pris en charge correctement, malgré le fait que son état empirait. Il a subi du coup une cruralgie et dû être hospitalisé pendant 11 jours avec un traitement intensif. Il est resté paralysé pendant plus de 7 mois au niveau de sa jambe droite. Six ans après, il garde des séquelles, car la zone de cicatrisation du psoas reste fragile. Depuis quasi un an, il est sous prophylaxie, à raison de deux soins par semaine, alors qu’il est mineur. Mais c’était la seule solution pour qu’il puisse reprendre une activité sportive au lycée sans conséquence néfaste sur le psoas. Car, outre cette fragilité, il a manqué l'école pendant 6 semaines et cette situation l’a atteint psychologiquement. Il a dû beaucoup se limiter dans ses activités, et pendant toute la phase où il était privé de l'usage des muscles de sa jambe, il s'est un peu renfermé. Enfin, cette situation a évidemment entrainé beaucoup de stress pour nous parents, alors que cela aurait pu être évité. A chaque fois qu'il ressent une petite gène, cela fait ressurgir le souvenir des mauvaises périodes qu'on a traversées. J’espère que ce témoignage sera utile et permettra une meilleure prise en charge des personnes hémophiles au service des urgences de Saint-Pierre, et qu’un protocole sera rapidement mis en place.
En Martinique, un après-midi dédié à l’hémophilie
L’AFH Martinique organise ce mercredi une conférence-débat autour de l’hémophilie. Plusieurs invités, dont un représentant de l’AFH Guadeloupe, sont conviés pour évoquer les difficultés locales d’accès aux soins, notamment à l’occasion de la projection d’un documentaire intitulé Le Radeau de la chance. Rendez-vous à l’amphithéâtre Julius de l’université des Antilles, à Fort-de-France, à partir de 14 heures pour trois heures d’échanges. Sera également présente la coordinatrice régionale de France Assos Santé Martinique.
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