SECPA : la santé participative en phase d’expérimentation

Elles sont 26 structures d’exercice coordonné participatives (SECPA), partout en France, à tester depuis deux à trois ans un dispositif qui sort du paiement à l’acte pour valoriser des actions de santé communautaire, dite « participative ». Quelle est l’origine de ce projet, en quoi consiste la santé participative, que finance-t-on exactement ? Un répertoire de la démarche participative en santé vient justement de sortir et recense les activités mises en œuvre par les SECPA, activités que 66 Millions d’Impatients propose de découvrir via 4 structures incluses dans ce dispositif participatif.

L’expérimentation a commencé en août 2021 avec 6 structures d’exercice coordonné (SEC), dont 5 centres de santé (CDS) et 1 maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). Ensemble, elles ont formalisé un cahier des charges, sur la base duquel est lancé un appel à candidatures. En mars 2022, 20 autres SEC intègrent l’expérimentation. Principalement porté par la Délégation interministérielle de la prévention et de la lutte contre la pauvreté (DIPLP), en co-pilotage avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), le projet prévoit d’intégrer, à terme, 60 structures au minimum, dans une démarche dite « participative », terme retenu pour parler en réalité de « santé communautaire ».

En effet, l’ADN du projet consiste avant tout à mettre en pratique de façon ambitieuse l’approche de la santé communautaire, telle que la définit l’Organisation mondiale de la santé : « Le processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités ». Le Dr Didier Ménard, fondateur d’une des six premières SECPA et défenseur de la santé communautaire s’en réjouit : « C’est la première fois en France que nous avons un vrai écho sur la santé communautaire. Probablement, la crise COVID a-t-elle participé à cette prise de conscience et a-t-elle permis de faire émerger un tel dispositif, sans aucun doute le meilleur outil pour lutter contre les inégalités territoriales de santé. ».

Un compromis sémantique

Le terme « participative », qui recouvre en réalité le concept de « santé communautaire », a été retenu pour l’expérimentation comme une forme de compromis, afin d’éviter toute confusion avec la notion de communautarisme. L’enjeu sur le risque d’amalgame est d’autant plus fort que les 26 SECPA expérimentales sont situées dans ou à proximité de quartiers prioritaires. Or, il n’est pas question pour les militants en santé communautaire de la voir réservée aux seuls publics précaires ou à des communautés comme les gens du voyage ou les LGBTQI+. « La santé communautaire porte une dimension démocratique qui s’adresse à tous. Même dans les quartiers bourgeois, il y a des femmes battues ou des problèmes de conduites addictives », précise le Dr Ménard.

Un mode de financement innovant

L’expérimentation se formalise dans le cadre juridique de l’article 51 de la loi de financement 2018 de la sécurité sociale, qui permet de déroger au droit commun, en l’occurrence au financement à l’acte. Juliette Parnot, conseillère en charge des politiques de santé, des inégalités dès l’enfance et de la condition des femmes à la DIPLP, explique que les 26 SEC retenues faisaient déjà toutes, à différentes échelles, de la santé communautaire, certaines sans le savoir et sans l’avoir formalisé dans leur projet de santé. « Beaucoup d’actions et de temps consacrés à la démarche participative dans les SEC, et surtout dans les MSP, relève du bénévolat et sont portés par quelques professionnels de santé sensibilisés au sujet, parfois accompagnés par des usagers impliqués. », complète-t-elle, avant d’ajouter que la santé participative dans ces structures n’est pas suffisamment financée, avec des enveloppes très diversifiées. Il était donc question à la fois de pérenniser ces financements et d’encourager également tous les professionnels de santé de ces structures à s’engager collectivement dans une démarche participative.

Avec l’expérimentation, c’est un budget de 30 millions d’euros qui est accordé aux 26 SECPA, répartis pour chaque structure en 4 dotations. Ces dernières ont vocation à financer uniquement du temps humain, pas de matériel, ni de foncier, même si les recrutements rendus possibles grâce à l’expérimentation ont parfois posé problème en termes de place disponible dans les locaux.

Les 4 dotations concernent le financement :

  • Des activités « participatives » réalisées par des professionnels autres que de santé, tels que des travailleurs sociaux, des médiateurs en santé, des agents d’accueil spécialisé, des coordonnateurs, des éducateurs sportifs, etc. ;
  • De la démarche participative opérée par des professionnels de santé dédiés et du temps qu’ils consacrent à la prise en charge d’une patientèle précaire, en parallèle de leur activité strictement de soin ;
  • De l’interprétariat professionnel, indispensable pour être dans un lien participatif qualitatif avec les habitants et les patients dans des quartiers où beaucoup sont issus de l’immigration ;
  • Des psychologues pour répondre à l’enjeu important en santé mentale qui existe dans ces quartiers prioritaires.

Qu’entend-on par démarche participative ?

Le concept, reconnaît Didier Ménard reconnaît, a des définitions assez diverses, selon le point de vue où l’on se place. Juliette Parnot précise d’ailleurs que le champ d’action de l’expérimentation était volontairement souple afin que chacun mette en œuvre des projets répondant spécifiquement aux besoins de leurs patients et aux attentes propres à leur territoire. Une formation sur la démarche participative, portée par des membres des 6 SECPA initiales, dont Didier Ménard, a cependant été dispensée aux coordinateurs des 20 autres SECPA, à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Résultat ? Pour le Dr Ménard, il s’agit d’aller au-delà de la représentation et de la participation, plus ou moins bien organisées, des habitants et usagers. Le premier acte des soignants en santé participative est d’accorder les normes de l’exercice professionnel aux normes spécifiques des usagers. Cela oblige notamment à vérifier la faisabilité thérapeutique d’une prise en charge proposée à un patient – ce qui peut faire apparaître des problématiques qui ne sont pas toujours du domaine de compétence du soignant, tels que des problèmes sociaux, professionnels, culturels, linguistiques, etc. Il peut être difficile d’y répondre dans le cadre d’un exercice solitaire de la médecine, mais des solutions peuvent plus facilement émerger grâce à la pluriprofessionnalité propre aux structures d’exercice coordonné, qui pourra également être enrichie des ressources de la communauté, apportées par les habitants eux-mêmes. La participation est un changement de culture, où l’on pense différemment et où les patients sont une ressource pour améliorer la pratique des soignants. Dès lors, les professionnels de santé doivent s’ouvrir, participer à des actions citoyennes, pour apprendre de leur territoire, de son histoire, de ses ressources, de ses réseaux associatifs, politiques, de son fonctionnement, etc. « L’expérimentation est un succès à une échelle où l’on n’a pas forcément l’habitude de travailler : le lieu de vie, au plus proche des besoins des habitants. Ces structures d’exercice coordonné participatives, sont finalement très modernes dans leur vision puisqu’elles utilisent des outils, comme la prévention et la participation citoyenne, et des modes d’organisation en équipes qui intègrent la notion du bien-être, selon la définition de l’Organisation Mondiale de la santé. En cela ce sont des projets ambitieux qui créent du lien avec la population d’un territoire donné », se félicite Alexis Vervialle, chargé de mission offre de soins à France Assos Santé.

Concrètement, quelle forme peut prendre la santé communautaire ? Citons le cas du centre de santé de l’association santé bien-être à Saint-Denis, intégré à l’expérimentation, où tous les lundis matins ont lieu des petits-déjeuners avec les habitants. On y discute de tout et de rien et souvent des problématiques du quartier afin de trouver comment faire alliance pour les résoudre. La santé communautaire peut alors consister, pour les structures de santé, à s’associer avec les habitants, notamment pour obliger les bailleurs à améliorer des habitats insalubres. Il ne s’agit plus pour les médecins d’être des techniciens du soin mais de la santé dans sa globalité. La boucle est d’ailleurs bouclée avec l’initiative de Poitiers, où un centre de santé a été directement créé et porté par les habitant du quartier des 3 Cités.

Le récent rapport d’évaluation finale montre que les SECPA accordent par nature une place plus importante au patient-usager au sein de la structure. Environ 1/3 des SECPA en ont fait une orientation prioritaire. La participation des usagers peut se réaliser de manière formelle avec la mise en place de cafés-santé, la co-construction d’ateliers collectifs, voire la possibilité parfois de s’investir dans la gouvernance de la structure. Par ailleurs, les SECPA ont activé deux leviers indirects qui contribuent à la démocratie en santé : d’une part elles s’intègrent fortement dans le tissu social et jouent souvent un rôle d’interface entre les institutions et la population; d’autre part elles font le choix de modalités de prises en charge faisant du médecin l’expert de la pathologie et le patient l’expert de sa maladie, le rendant acteur de sa santé et lui donnant ainsi les clés et les outils vers une plus grande autonomie.

L’avenir des SECPA tourné vers la généralisation

Initialement prévue jusqu’en décembre 2023, l’expérimentation a été prolongée jusqu’en avril 2025, car les SECPA, notamment les MSP qui reposent sur une organisation d’exercice libéral, ont mis plus de temps à s’emparer du dispositif, à réfléchir à leurs priorités, à ce que représentait la santé communautaire, aux besoins de leur territoire, à recruter du personnel et à réorganiser leur fonctionnement. Le terme « expérimentation » n’est d’ailleurs pas tout à fait adapté. Il s’agit plutôt d’une première phase du projet, puisque dès le départ, il était entendu que le dispositif SECPA entrerait dans le droit commun et serait généralisé.  Certaines structures interrogées craignent néanmoins qu’après la phase d’expérimentation, les budgets soient réduits, que les récents recrutements ne puissent pas être maintenus. Juliette Parnot à la DIPLP se veut rassurante sur ce point étant donné que la première évaluation est plutôt positive même si le dispositif nécessite des ajustements. Le mot de la fin au Dr Ménard : « Il s’agit de rester vigilant : rien n’est jamais acquis. Il faut s’attendre à devoir défendre le dispositif face aux professionnels de santé libéraux qui soutiennent le paiement à l’acte. A ce jour, démonstration est faite, mais reste à approfondir, que la santé communautaire soigne mieux les publics précaires, qui souffrent plus souvent de maladies chroniques, et que son financement est donc rentable à terme pour l’Assurance maladie. ».

Laisser un commentaire public

Votre commentaire sera visible par tous. Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Logo Santé Info Droits

Partager sur

Copier le lien

Copier