Après s’être beaucoup intéressé à la dopamine, cette molécule souvent associée au plaisir et stimulée par le circuit de la récompense, le Dr Denis Obert, médecin en médecine physique et de réadaptation travaille actuellement sur une molécule jouant sur nos liens sociaux : l’ocytocine. Particulièrement impliquée dans les troubles autistiques, anxiodépressifs ou les maladies neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer, l’ocytocine jouerait également un rôle protecteur sur certaines pathologies métaboliques. Qu’est-ce que les copains viennent faire là-dedans ? Ils participent tout simplement à la libération de cette molécule par notre organisme puisqu’elle est secrétée à l’occasion de liens sociaux sécurisants, diversifiés et qualitatifs.
Valoriser ces interactions sociales est d’ailleurs l’un des enjeux mis en avant à la Maison du Thil que nous présenterons par la suite. Ce modèle d’hébergement à responsabilité partagée, conçu à Beauvais pour 7 colocataires touchés par la maladie d’Alzheimer et porté notamment par Les Petits Frères des Pauvres, encourage les échanges, les activités pour ses résidents qui ont tendance à voir retardés les symptômes de la maladie.
INTERVIEW DU DR DENIS OBERT, MÉDECIN EN MÉDECINE PHYSIQUE ET DE RÉADAPTATION
66 Millions d’IMpatients : En quoi l’ocytocine est-elle liée aux interactions sociales ?
Dr Obert : Cette molécule, surtout connue pour augmenter les contractions lors de l’accouchement, a d’autres vertus extraordinaires. Le cerveau la secrète naturellement, principalement dès lors que l’on détecte ses propres congénères. L’ocytocine a été particulièrement étudiée dans le champ de l’autisme et des pathologies neuropsychiatriques car elle fait défaut chez ces personnes or c’est une molécule qui permet de rentrer en contact avec les autres et intervient notamment dans le fonctionnement de la communication non verbale. Elle est ce que l’on appelle « pro-tribale » et renforce l’effet « intra-inter-groupe ». Ce faisant, elle va nous pousser vers les personnes qui nous ressemblent, qui partagent les mêmes idées, les mêmes réflexes que nous.
66 Millions d’IMpatients : Un apport d’ocytocine peut-il améliorer nos rapports aux autres, être bénéfique pour les personnes qui souffrent d’autisme par exemple ?
Dr Obert : Le fonctionnement de l’ocytocine n’est pas binaire. Ainsi les études menées jusqu’à ce jour sur des patients autistes ont montré que le simple apport d’ocytocine n’était pas concluant pour améliorer chez eux les interactions sociales. En effet, l’ocytocine est en réalité davantage un amplificateur des perceptions que l’on ressent qu’un simple stimulateur de nos relations sociales. Ainsi si l’on se sent en insécurité, l’ocytocine va aggraver la sensation de danger et si l’on administre de l’ocytocine à une personne anxieuse, cela va augmenter sa sensation d’angoisse. Le sujet va alors avoir tendance à percevoir l’autre comme un danger, à se replier sur lui-même. Un cercle vicieux se met en place : réduisant ses interactions sociales, la personne réduit implicitement la possibilité de secréter de l’ocytocine qui pourtant, dans le même temps, sur la durée, est apaisante et s’avère même être l’un des meilleurs anxiolytiques.
66 Millions d’IMpatients : En dehors de cet effet anxiolytique, l’ocytocine a-t-elle d’autres propriétés positives sur la santé ?
Dr Obert : On sait qu’elle agit sur la régulation du système du stress et générerait des effets de neuroprotection qui pourraient avoir un impact chez les anxiodépressifs ou sur des maladies neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer.
Enfin, les dernières études révèlent que l’ocytocine a également des actions positives sur le métabolisme, par exemple chez les personnes diabétiques ou sur le système digestif, osseux ou immunitaires. Ainsi, si l’on enferme quelqu’un, qu’on le coupe du monde, son système immunitaire va s’affaiblir. Nous avons donc indubitablement besoin d’être en contact avec l’autre pour être en bonne santé.
66 Millions d’IMpatients : Comment peut-on augmenter sa propre production d’ocytocine ?
Dr Obert : Si l’on considère cette question dans le cadre de personnes qui ont déjà des problèmes de santé, je dirais que les associations de patients ont un rôle essentiel à jouer puisqu’elles permettent de créer des ouvertures vers l’extérieur, du lien à l’autre, le tout dans un climat de sécurité. C’est idéal dans un premier temps pour reprendre confiance. Cependant, par la suite, il sera important de créer d’autres types de liens sociaux, d’aller à la découverte d’autres « tribus » de confiance. En effet, il faut quand même se méfier de ne pas s’enfermer dans un groupe unique en dehors duquel on se sent très rapidement en danger, car cela serait finalement contre-productif. C’est un piège dans lequel on peut facilement tomber puisque l’ocytocine a tendance à renforcer notre sentiment d’appartenance à un groupe. Il est donc très important d’avoir toujours une ouverture vers plusieurs personnes ou petites « tribus » différentes auprès desquelles on se sent en sécurité, pour augmenter la production d’ocytocine et qu’elle remplisse au mieux sa fonction protectrice.
En outre, des études ont montré que l’on en produisait encore davantage lorsque l’on faisait une activité en synchronisation avec les autres, comme jouer de la musique dans un groupe, chanter dans une chorale, danser avec un partenaire ou au sein d’une troupe. Plus la connexion avec les autres est forte, plus on secrète d’ocytocine. Par exemple, jouer une scène de théâtre où chacun récite son texte est déjà très intéressante pour la libération d’ocytocine, mais faire de l’improvisation théâtrale, qui oblige davantage à s’adapter à l’autre, est encore plus efficace !
L’association « La Vie Douss » organise une conférence sur le thème : « Parkinson : je me bouge avec les copains ! – Intérêt de l’activité physique et du lien social dans la maladie de Parkinson ». Cette conférence se déroulera le 25 novembre 2023 de 16h00 à 18h00 au Ciné Théâtre de Doussard en Haute-Savoie avec la collaboration du Dr Denis Obert, médecin spécialiste en rééducation.
L’HEUREUX MODÈLE DE LA MAISON DU THIL À BEAUVAIS
Une colocation innovante, à responsabilité partagée, pour accueillir des malades d’Alzheimer et où les interactions sociales sont fortement favorisées
Le projet de la Maison du Thil, ouverte en 2016 et initiée dès 2007 par deux femmes dont les maris ont souffert d’un Alzheimer précoce, est inspiré du modèle canadien de l’association Carpe Diem, largement repris en Allemagne. La Fondation Bersabée (abritée par la Fondation des Petits Frères des Pauvres) en est propriétaire et le projet est conjointement porté par France Alzheimer Oise, le réseau Aloïs et l’association Monsieur Vincent.
La maison de 2500m2 accueille actuellement 6 co-locataires et sa capacité est de 7 personnes puisqu’il y a une chambre double qui permet d’héberger un couple. La maison n’est pas médicalisée mais elle est animée par 5 bénévoles et une salariée des Petits Frères des Pauvres ainsi que par un service extérieur d’aide à domicile, payé directement par les familles. Une présence est ainsi assurée 24 heures sur 24.
Le premier pré-requis pour intégrer la Maison du Thill est de ne pas être en perte d’autonomie au-delà du Gir 3. Il est également indispensable que les familles soient très présentes. Gwendoline Bourelle, chargée de projet « Habitat inclusif » chez Les Petits Frères des Pauvres et responsable de la Maison du Thil précise : « L’ambiance est très familiale. Nous organisons beaucoup d’activités : activité physique adaptée, socio-esthétique pour des massages et des moments de bien-être, médiation animale, art visuel, activités cognitives (souvent en lien avec la musique qui sont toujours très appréciées, jeux de mémoire), sorties au zoo, au musée, etc. Nous avons remarqué que la stimulation par les interactions sociales pouvait retarder le glissement vers une aggravation de la maladie, même si bien sûr, cela n’empêche pas cette pathologie d’être évolutive. Les familles nouvellement arrivées nous font souvent remarquer, après quelques semaines à la Maison du Thil, de la résurgence de moments de lucidité que les malades n’avaient plus lorsqu’ils étaient chez eux. Bien sûr, il est plus facile dans notre contexte de colocation à taille humaine de créer des interactions sociales qualitatives et de motiver tous les résidents. D’ailleurs, les colocataires ne sont quasiment jamais dans leur chambre dans la journée. Même pour la sieste, ils restent plus volontiers en bas dans un bon fauteuil. ».
Grande Qualité de l echange avec Dr Obert. On apprend plein de choses comme à chacune des ses interventions. 👍