Médicaments antidouleurs : la double peine

En ce 16 octobre, Journée Mondiale de la douleur, coup de projecteur sur une enquête réalisée par l’Association Francophone pour Vaincre les Douleurs (AFVD).

Objet de l’étude : évaluer l’impact des médicaments antidouleurs sur la qualité de vie. Il est sévère et ses conséquences potentiellement délétères. Eclairage sur ce questionnaire baptisé EIQOL.  

D’après la Société d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFEDT), plus de 20 % de la population souffre de douleur chronique. Ce qui représente 1 Français sur 5. En clair, il y a forcément une personne dans votre entourage qui est touchée. « La qualité des soins s’est significativement améliorée […]. Mais il reste d’importantes marges de progression », relève la SFEDT, dans son Guide des bonnes pratiques de 2019. Avec un cinquième de la population en proie à des douleurs chroniques, c’est peu dire que la prise en charge de ces personnes n’est pas complètement satisfaisante. La SFDT parle d’ailleurs, dans ce même document, d’un enjeu de santé publique.

Outre un accès difficile aux centres d’évaluation et de traitement de la douleur, une frange importante de patients interrompent leur traitement antidouleur, faute de les tolérer et/ou à cause du retentissement qu’ils entraînent sur leur quotidien. Alertée par ce phénomène fréquemment rapporté, l’Association Francophone pour Vaincre les Douleurs (AFVD) a décidé d’évaluer l’impact de ces médicaments sur la qualité de vie. « C’est à la fois notre première enquête et la première fois aussi qu’une association de patients se focalise sur cette problématique, explique Nathalie Deparis, présidente de l’AFVD. Nous avons voulu comprendre pourquoi l’approche pharmacologique n’est pas forcément la panacée. » Avec le concours d’un comité scientifique, où l’on retrouve des neurochirurgiens spécialistes de la douleur, comme le Pr Denys Fontaine du CHU de Nice et le Dr Marc Lévêque, l’association a construit un questionnaire comprenant un peu plus de 50 points. L’étude s’appelle EIQOL, pour Effets Indésirables Quality of Life. Elle cible les seuls patients souffrant de douleurs chroniques neuropathiques, c’est-à-dire qui résultent d’une lésion du système nerveux central (moelle épinière et cerveau) ou périphérique, comme après un accident vasculaire cérébral, un traumatisme chirurgical, un zona ou une fracture. Au final, 488 répondants et un bilan qui confirme la nécessité d’une approche thérapeutique plurielle.

Peu d’amélioration, beaucoup d’effets indésirables

Les trois-quarts des sondés (75,2 %) déclarent éprouver des effets indésirables, comme des nausées, des vomissements, des vertiges, des troubles de l’attention ou encore de la somnolence. Et pour la quasi-totalité de ces personnes (95,2 %), ces effets indésirables récurrents ont un impact sur leur qualité de vie, malgré les traitements antidouleurs qui, en réalité, ne soulagent que très partiellement une majorité de patients (score moyen, 4,6 sur 10). Le service rendu de ces médicaments, en termes d’amélioration, est si peu significatif comparé à leur retentissement sur la vie quotidienne que 65,2 % des personnes interrogées disent avoir déjà arrêté leur traitement. Deux exemples : 47,1 % témoignent d’effets indésirables qui ont des répercussions sur leur mobilité, en particulier en ce qui concerne les personnes qui prennent des médicaments de la classe des morphiniques, rangés parmi les opioïdes les plus forts, et 41,2 % d’effets altérant leur autonomie. Concrètement, toutes les relations, sociales, familiales, amicales, professionnelles, etc., se désagrègent progressivement. « Parmi les personnes interrogées, 36,7 % sont en arrêt de travail et 8 % au chômage, souligne Nathalie Deparis. Et beaucoup développent, au fil du temps, des maladies connexes ».

Le Pr Denys Fontaine, neurochirurgien au CHU de Nice et président de la Société Française de NeuroModulation (SFNM), n’est pas exactement surpris par les résultats de l’enquête : les effets secondaires de certains des médicaments antiépileptiques (gabapentine, prégabaline…) et antidépresseurs (essentiellement de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et des tricycliques) indiqués, en association souvent, dans la prise en charge des douleurs neuropathiques sont bien connus – tout comme leur efficacité modérée. « Quant aux antalgiques opioïdes, à l’instar du tramadol ou de la morphine, ils sont peu efficaces dans ce type de douleur, et ne doivent donc pas constituer une solution pérenne », signale-t-il. Surtout rapportés aux risques de mésusages, d’abus et de dépendance qu’ils induisent. Car même si le Pr Fontaine invite à relativiser les chiffres – après quelques années, distinguer ce qui relève des médicaments seuls ou de l’ensemble du parcours de la personne peut être compliqué – ils montrent bien la limite, dans certaines situations, des traitements pharmacologiques pour changer, en mieux, le quotidien des patients. Et l’escalade thérapeutique n’y change rien, sauf à prendre le risque de générer davantage encore d’effets indésirables.

« Vite penser à d’autres solutions »

« Souvent l’approche médicamenteuse est utile, mais pas suffisante, reprend le neurochirurgien. C’est pourquoi il faut assez vite penser, en cas d’échec des antalgiques classiques, à d’autres solutions, quand elles sont indiquées. L’une des alternatives peut être la stimulation électrique du système nerveux, qui est sans effet indésirable. » En soutien aux traitements médicamenteux ou à la neurostimulation, les thérapies complémentaires constituent un allié précieux pour appréhender la douleur chronique dans toutes ses dimensions. Du fait qu’elle persiste, elle peut en effet générer des croyances délétères, du stress, de l’anxiété, un sentiment d’injustice, un déconditionnement à l’effort, etc., dans tous les cas, devenir envahissante. Ces aspects somatiques et psychiques doivent être pris en compte. C’est l’objet de ces techniques psychocorporelles qui visent à apprendre aux patients à défocaliser. L’enquête EIQOL montre d’ailleurs que le recours aux traitements non médicamenteux (kinésithérapie, TENS, ostéopathie, suivi psychologique, hypnose, relaxation, activité physique adaptée…) procure une amélioration de la qualité de vie. « Ces thérapies complémentaires restent toutefois peu accessibles, tant du point de vue géographique que financier », regrette Nathalie Deparis.

Le Guide des bonnes pratiques de la SFEDT confirme : seuls 400 000 personnes sont prises en charge dans des centres d’évaluation et de traitement de la douleur, où cette approche globale, dite « biopsychosociale », est proposée, ce qui représente 3 % de l’ensemble des personnes vivant avec des douleurs chroniques. Environ 270 structures douleurs chroniques (SDC) existent. C’est trop peu pour absorber la demande. Les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous varie de trois à six mois, parfois plus. Pour aider les personnes avec des douleurs neuropathiques chroniques, l’AFVD proposera courant 2024 un programme d’accompagnement en ligne. « L’objectif de ce parcours douleur sera de donner aux patients les informations qui leur permettront de gagner en autonomie, précise Lucile Torregrossa, la directrice de l’association. Le succès de nos cafés zoom en ligne montrent bien que les personnes ont besoin de comprendre et d’échanger. C’est aussi une manière pour elles de prendre conscience qu’elles ne sont pas seules. » En France, 4 millions de personnes vivent avec des douleurs neuropathiques chroniques.

Pour en savoir plus

Libérons-nous de la douleur, Marc Lévêque, éd. Buchet-Chastel (2022)

Enquête EIQOL
Société française d’étude et de traitement de la douleur
Société Française de NeuroModulation

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