Vivre avec un enfant qui fait la loi à la maison n’est pas si rare selon le Dr Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier, qui reçoit chaque jour au moins un appel de familles totalement désemparées face à une telle situation.
Il s’agit de familles où la hiérarchie s’est inversée au fur et à mesure des années, dans un contexte où les parents ont cherché à surprotéger un enfant anxieux, hypersensible ou hyperémotif. Ils cherchent alors à éviter toutes réactions négatives de l’enfant, au point que tout s’organise autour de lui et qu’il finisse par prendre le contrôle à la maison. N’ayant finalement pas eu l’occasion d’apprivoiser leurs angoisses ou frustrations, dès que ces enfants sont contrariés, des « crises » ont lieu, s’accentuant avec le temps, jusqu’à générer souvent une grande violence envers leurs parents, leurs frères ou leurs sœurs.
La détresse des parents qui vivent une telle situation est d’autant plus forte que souvent les enfants à comportement tyrannique parviennent à donner le change à l’extérieur. Ainsi l’entourage ne sait pas forcément ce qui se joue à la maison. Les familles ont honte d’en parler et ne sont parfois pas entendues quand elles cherchent un soutien.
Qu’est-ce qui définit le comportement tyrannique de l’enfant, quel est le quotidien des familles, quelles sont les prises en charge thérapeutiques ? Autant de points que le Dr Nathalie Franc, pédopsychiatre au CHU de Montpellier et deux mamans nous exposent.
Qu’est-ce qui définit un enfant à comportement tyrannique ?
Dr Franc : Parler de comportement tyrannique ne relève pas d’un « diagnostic médical » et aucun marqueur biologique n’existe. Il s’agit de la description du comportement de certains enfants et adolescents, qui est sous-tendu par un ou plusieurs diagnostics psychiatriques avérés. C’est un profil de comportement que l’on décrit probablement de plus en plus mais qui reste cependant tabou car les parents concernés ont du mal à en parler. Ainsi, nous ne connaissons pas vraiment le nombre de familles concernées en France. Il y a donc un véritable enjeu à communiquer sur le sujet afin de permettre aux familles qui en ont besoin de se reconnaître et de trouver plus facilement de l’aide pour une prise en charge adaptée.
Par ailleurs, on a remarqué que les enfants à comportement tyrannique ont souvent un TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) et d’autres troubles associés. Il s’agit majoritairement d’enfants qui ont toujours présenté certaines « particularités » depuis la petite enfance, avec des profils nerveux, irritables, colériques, des difficultés à réguler leurs émotions. Lorsque des enfants sont « difficiles » dès le plus jeune âge, certains parents vont finalement s’adapter à ces comportements particuliers et malheureusement parfois, cela peut se retourner contre eux. Peu à peu, ces enfants deviennent de plus en plus intolérants aux frustrations, aux changements et c’est ainsi que l’enfant peut glisser vers un comportement tyrannique. A la base, l’intention des parents est louable puisqu’ils veulent avant tout créer un cadre sécurisant pour leur enfant mais il n’est pas rare que les parents d’enfants à comportement tyrannique aient instauré une dynamique de surprotection.
Pour finir, il n’y a pas vraiment d’âge charnière chez les enfants qui développent un comportement tyrannique. Les groupes de parents que nous accompagnons au CHU de Montpellier ont des enfants de 7 ou 8 ans et jusque tard dans l’adolescence.
Pouvez-vous illustrer, avec un exemple, la mécanique de développement d’un comportement tyrannique chez un enfant ?
Dr Franc : Prenons l’exemple d’un enfant très angoissé par la cantine et dont les parents trouvent des solutions pour qu’il n’y aille pas. Plus on met ainsi en place de stratégies de sur-adaptation et moins l’enfant aura l’occasion de progresser par rapport à ses appréhensions ou ses angoisses. L’enfant peut avoir ensuite du mal à s’autonomiser. Faire marche arrière pour les parents, en essayant de reprendre la cantine après quelques mois, devient souvent impossible avec une accentuation des « crises ». Les parents se rendent compte trop tard qu’ils ont perdu le contrôle et la hiérarchie s’inverse dans la famille. Bien entendu, c’est facile à dire après coup, car la frontière entre la stratégie d’adaptation et la protection naturelle que l’on doit à ses enfants n’est pas toujours facile à dessiner. Une alerte peut être envisagée si l’anxiété ne passe pas dans le cadre d’une situation stressante, et au contraire augmente malgré des attentions protectrices.
Quels sont les signes chez un enfant qui développe un comportement tyrannique ?
Dr Franc : Les réactions de l’enfant ne sont pas le seul critère à prendre en compte. Il s’agit d’une dynamique familiale où les parents finissent par prendre chaque décision et organiser leur vie en fonction de leur enfant tant ils craignent ses réactions. Ces réactions sont décrites comme des crises explosives qui se manifestent souvent par de la violence verbale, physique ou psychologique tournée vers eux-mêmes, vers leurs parents ou les frères et sœurs. La peur grandit chez les parents et la fratrie, qui « marchent sur des œufs » en permanence.
Un autre point qui décrit les enfants à comportement tyrannique est qu’ils sont souvent exemplaires en dehors du cadre familial. L’entourage les voit comme des enfants bien élevés, parfois un peu anxieux, mais sans plus. La contrepartie est que parfois, certains enfants se contrôlent tellement à l’extérieur, qu’ils compensent par des crises sévères à la maison, pour relâcher la pression. Ces enfants vont souvent chercher à vivre le moins d’interactions sociales, à arrêter l’école notamment, car cela leur demande beaucoup trop d’efforts de contrôler leurs émotions, leurs frustrations. Il n’est pas rare que ces enfants soient ainsi déscolarisés ou suivent les cours à distance. Cette différence de comportement entre la maison et l’extérieur est telle, que souvent, les parents ne sont pas entendus, et sont taxés d’exagérer lorsqu’ils demandent une aide psychologique.
Comment aider ces familles sur le plan thérapeutique ?
Dr Franc : La prise en charge thérapeutique consiste, dans un premier temps, à initier un travail avec les parents. L’idée est de permettre aux parents de sortir de cet engrenage, de parvenir à s’affranchir de leur besoin de protéger leur enfant anxieux ou hypersensible et d’espérer que cela motivera l’enfant, par la suite, à accepter une aide, grâce à une psychothérapie ou des médicaments, puisque l’on peut parfois constater un apaisement grâce à certains traitements médicamenteux, comme ceux proposés pour le TDAH. Il faut bien comprendre cependant, que les enfants à comportement tyrannique sont rarement en demande d’une prise en charge psychologique ou d’un soutien médicamenteux pour eux-mêmes. La situation leur convient puisqu’ils ont le contrôle sur toute la famille.
Au CHU de Montpellier, nous avons mis en place des groupes de parents pour les accompagner à développer une approche de stratégies de résistance non violente adaptée au comportement tyrannique d’un enfant. Nous apprenons aux parents à gérer la violence, à ne jamais réagir à chaud, à mieux se positionner. Il ne faut pas nier que dans certaines familles, la surenchère de violence existe car les parents ne parviennent pas toujours à rester calmes. Nous les accompagnons aussi à travailler sur cet aspect quand il se présente. Nous encourageons également les parents à mettre en place un réseau de proches qui soient à l’écoute, et les aident, qu’ils puissent appeler en urgence par exemple, en cas de crises. Les parents peuvent demander à ce que certains proches soient légitimes à intervenir dans la relation et à reprendre, réprimander l’enfant si besoin. Sortir du secret, parvenir à en parler et être soutenu par l’entourage, que l’entourage fasse remarquer à l’enfant qu’il sait ce qui se passe, et exprime sa désapprobation, a tendance à déstabiliser l’enfant car il est alors soumis au regard social, dont il était protégé jusque-là. L’idée de toutes ces stratégies est de générer un certain inconfort chez l’enfant puisque d’ordinaire tout le monde lui obéit au doigt à l’œil. Parfois, quand les parents sont à bout et ne veulent même plus voir leur enfant, il arrive de conseiller, en dernier recours, de prévoir un éloignement temporaire. Cela peut paraître brutal, mais il peut s’agir parfois de protéger chaque membre de la famille et l’idée est surtout que l’enfant comprenne que ses parents ne peuvent plus vivre ainsi et qu’il ne peut pas les violenter en toute impunité. Il est essentiel de confronter les enfants aux conséquences négatives que peut générer leur comportement.
A qui les parents concernés peuvent-ils s’adresser ?
Dr Franc : Les parents concernés se sentent coupables, jugés, dépassés et, ces comportements sont peu connus, même au sein du corps médical. Il n’est pas rare qu’on fasse des reproches aux parents plutôt que de leur proposer un soutien. Les pédopsychiatres sont régulièrement confrontés à des situations de comportement tyrannique mais ils ne savent pas toujours comment les prendre en charge. Par ailleurs, il est assez peu connu chez les travailleurs sociaux qui n’ont pas toujours les outils adaptés lorsqu’ils interviennent dans les familles. Il y a désormais l’association REACT qui essaye d’identifier les professionnels sensibilisés à la question, partout en France. Si les parents se reconnaissent dans cette situation, je leur conseille de se rapprocher de l’association REACT. Cela peut s’avérer contre-productif d’aller voir un professionnel de santé au hasard, s’il n’est pas sensibilisé à cela.
Témoignages
Naomi, bénévole chez SuperHypers TDAH FRANCE, adhérente à l’association REACT et maman d’un adolescent à comportement tyrannique
J’ai un grand garçon de 16 ans, diagnostiqué avec un TDAH (Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) en CE1, avec beaucoup d’hyperactivité. Après quelques réticences, j’ai accepté pour lui un traitement médicamenteux qui a très bien fonctionné mais causaient des effets secondaires, comme une perte d’appétit et un changement d’humeur. Il est alors devenu très calme avec un tempérament plus négatif qu’avant. Son père dont j’étais alors séparée, le trouvait même triste, apathique, dépressif. Cependant sans le médicament, j’étais régulièrement convoquée à l’école pour des problèmes de comportement. En plus de l’hyperactivité, déjà très jeune, mon fils s’opposait à tout. Vers l’âge de 8 ou 9 ans, il devenu de plus en plus insolent. Un second diagnostic de « Trouble Oppositionnel avec Provocation» est donc venu compléter celui du TDAH. La prise des médicaments est devenu compliquée, et nous avons transigé qu’il ne les prenne que les jours d’école. Mon fils a été malheureusement de plus en plus ingérable au fur et à mesure des années. Entre temps, j’ai entendu parler du programme Barkley qui s’adresse aux parents d’enfants souffrant de déficit de l’attention et plus particulièrement. Comme j’étais déjà soignante, j’ai pu me former à cette méthode pour devenir animatrice de groupes de parents et j’ai bien entendu fait mon possible pour l’appliquer à la maison. Cela nous a beaucoup aidé jusqu’à ce que je tombe enceinte d’un second enfant, puisque alors que mon fils avait 12 ans. Cela se mêlait aussi avec le début de l’adolescence. Puis le confinement a encore envenimé la situation. Les insolences et provocations se sont amplifiées et nous avons perdu le contrôle. Par ailleurs, son père n’ayant jamais accepté le diagnostic remettait beaucoup en cause les traitements, ce qui ne facilitait pas les choses. Peu à peu mon fils a été également convaincu qu’il n’avait aucun trouble et aucun besoin traitement. Durant les 3 premiers mois de confinement, il a refusé de prendre ses médicaments. Le ton est beaucoup monté entre nous. Je me suis littéralement sentie être au bord du gouffre. J’ai eu le sentiment de ne plus aimer mon enfant et j’ai hésité à ne plus assurer mon rôle de parent. Je ne savais plus quoi faire. La reprise de l’école et des médicaments, ainsi que l’aide d’une éducatrice ont fait émerger une accalmie. Malheureusement, il y a quelques mois, une altercation physique a eu lieu entre mon compagnon et mon fils qui vit depuis, exclusivement, chez son père. Désormais il nous menace de mort et pour le moment, je ne peux pas le laisser revenir à la maison et j’ai renoncé à sa garde. Avec le recul, je me rends compte que j’ai tout adapté dans la vie de mon fils pour lui faciliter les choses, éviter les colères voire les représailles. En m’adaptant à toutes ses volontés et en demandant à mon compagnon d’en faire autant, j’ai ouvert la porte au comportement tyrannique de mon fils.
Virginie, maman d’un enfant de 10 ans, à comportement tyrannique
Mon fils a 10 ans et dès sa naissance j’ai senti que c’était un enfant particulier. L’école maternelle s’est très mal passée. Il y allait peu et faisait beaucoup de « crises ». Il ne communiquait pas et restait beaucoup dans son monde. Il était très « électron libre » en classe, n’écoutait pas, était distrait. Il a vécu sa classe de CP en grande partie pendant le confinement. Je n’ai pas réussi à le faire travailler à la maison car il détruisait tout et me tapait. Il y a toujours eu chez lui des manifestations de colère physique. A la maison, il arrache les poignées de porte, frappe les murs au point d’y faire des trous. Après le confinement, même si l’école le rendait anxieux, il a cependant réussi à raccrocher les wagons en CE1. Alors qu’il est suivi, notamment au CMP depuis l’âge de 3 ans, il n’a été officiellement diagnostiqué avec un TDAH qu’en novembre 2022. On lui a aussi trouvé un TDDE (Trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle), une anxiété généralisée, un état dépressif important avec une faible estime de lui et un comportement tyrannique. Cela m’a beaucoup soulagée que le corps médical mette des termes précis sur ce que nous vivions depuis des années. Jusqu’ici, on ne m’avait rien dit. Notre généraliste avait toujours simplement conclu qu’il s’agissait d’un enfant capricieux. Finalement, c’est l’école qui m’a beaucoup aidée, m’a orientée vers des professionnels de santé spécialistes.
Depuis la rentrée scolaire 2022, son anxiété s’est accentuée, marquée par des maux de ventre, des pleurs quand il s’agit d’aller en classe. Peu à peu il a commencé à manquer l’école, et désormais, quand il y va 2 jours par semaine, c’est déjà une petite victoire. Depuis cette période, mon fils s’est mis à nous insulter violemment, à nous frapper, et dernièrement il m’a attaquée au couteau. Je suis obligée de me cacher. Il détruit la maison à coups de marteau, s’en prend à sa grande sœur de 15 ans. Elle aussi un a TDAH et une phobie scolaire et sociale mais sa violence se retourne plutôt contre elle-même puisqu’elle se scarifie et a des idées suicidaires. Les deux présentent également un « TOP » (Trouble Oppositionnel avec Provocation). Étrangement, en dehors de ces crises, qui sont cependant quotidiennes et durent entre 20 minutes et 2 heures, mon fils a des élans de grande tendresse. Cependant, il prend désormais le dessus sur tout. Je vais par exemple de moins en moins au travail pour m’occuper de lui et l’automne dernier j’ai fait un burn-out familial. Je n’arrivais plus à rentrer chez moi et j’en arrivais à vomir à l’idée de retrouver mes enfants, tant ils me faisaient souffrir. Je ne m’occupais plus d’eux. C’est alors que l’école m’a proposé un rdv avec un neuropsychologue qui a posé les diagnostics. Cela nous a resoudé, j’ose dire que cela a sauvé la famille même si nous sommes tous les 4 en état dépressif. Les diagnostics ont également rassuré ma fille qui ne comprenait pas pourquoi elle avait tant besoin d’être seule, pourquoi elle a tellement de mal à s’intéresser aux autres. En revanche, mon fils joue un peu de l’annonce de ces diagnostics pour être encore un peu plus tyrannique. J’ai compris qu’il était nécessaire que je leur accorde du temps, que je les accompagne dans un parcours de soins adapté. J’ai cependant beaucoup de mal à trouver des rendez-vous avec des spécialistes autour de chez nous, or je crains vraiment que mon fils ne finisse en prison avant ses 18 ans si on ne l’aide à s’apaiser.
Évidemment, la scolarité des deux enfants est très perturbée. La maitresse de mon fils s’adapte et lui envoie des devoirs mais il a désormais beaucoup de mal à écrire. Cela lui demande trop d’efforts. Je ne m’inquiète pas si mes enfants prennent du retard et je leur dis de ne pas s’inquiéter. Le principal est qu’ils aillent bien, que nous allions tous bien.
Depuis peu, je suis accompagnée dans le cadre de l’association HyperSupers TDAH FRANCE, grâce à un groupe de parole avec d’autres parents concernés. Cela nous permet d’échanger sur des problèmes que nous avons tous en commun, de nous sentir moins isolés. Je me suis aussi inscrite récemment à l’association REACT. J’ai conscience que les changements ne peuvent pas venir uniquement des enfants, c’est tout le système familial qui est à travailler.
Bonjour,
effectivement votre conclusion est la bonne : c’est tout le système familial qu’il faut repenser .
En général il s’agit d’un problème d’environnement ., au sens de la compréhension de l’épigénétique. Même si ce mot vous parait barbare ce n’est pas difficile de l’appréhender avec quelques efforts de réflexions . Pour vous familiariser :wwwsantephysiquepsychique.fr