Don d’organes : et si on en parlait ?

Les chiffres sont têtus. Le don d’organes reste désespérément stable en France, avec un taux d’opposition inchangé de 33 % en 2022, selon l’Agence de la biomédecine. En 2021, il était de 33,7 %. En résumé, un donneur potentiel sur trois n’est pas prélevé alors qu’environ 1 000 personnes décèdent chaque année faute d’avoir pu bénéficier d’une greffe. L’Agence de la biomédecine invite à en parler à ses proches. Comment rendre ce sujet visible et abordable ? Tour d’horizon avec les acteurs de terrain.  

André Le-Tutour vit depuis plus de trente ans avec le foie d’un donneur. « J’avais 40 ans quand on m’a découvert une maladie auto-immune, cette personne m’a sauvé la vie », témoigne-t-il. Originaire du Morbihan, il est alors le 52e patient greffé du foie au CHU de Rennes : « Je ne connaissais pas de personnes greffées, c’était l’inconnu complet pour moi ». C’est ce qui l’amène à fonder en 1991 l’association Transhépate Bretagne Ouest. « Lors de visites aux patients, je raconte mon parcours de vie, mon vécu avec la greffe et réponds aux interrogations des personnes malades et de leurs proches. Les réponses du corps médical ne suffisent pas toujours. Et quand je précise que je suis greffé depuis trente-trois ans, ça les rassure tout de suite. Et incidemment, ça facilite aussi le travail des personnels soignants », souligne-t-il.

Ruban vert et villes ambassadrices

En tant que représentant des usagers au sein du Centre hospitalier de Vannes, centre préleveur, et de sa proximité avec le réseau des coordinations des prélèvements d’organes et de tissus de Bretagne, André Le Tutour le sait bien : « Il y a encore des efforts à faire pour réaliser davantage de prélèvements et de greffes ». En 2022, 5 494 greffes ont pu être réalisées, dont 533 à partir de donneurs vivants. Ces données sont à mettre en regard avec les 10 810 patients en liste d’attente active (c’est-à-dire immédiatement éligibles à une greffe d’organe), recensés le 1er janvier dernier. Si le président de Transhépate déplore l’absence d’un vrai partenariat avec l’Agence de la biomédecine, regrettant en particulier que les associations de patients ne soient pas suffisamment associées aux campagnes de sensibilisation en faveur du don d’organes et de tissus, ces dernières sont depuis longtemps mobilisées. « Les petits soldats sur le terrain, ce sont les associations. En octobre 2021, neuf d’entre elles, dont Transhépate, France Rein, France Adot ou encore Vaincre la Mucoviscidose, se sont réunies au sein du collectif Greffes+ et ont proposé un manifeste intitulé Plus de prélèvements pour plus de greffes dans le but d’alimenter le plan 2022-2026 pour le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus. Depuis, nous menons ensemble des actions pour donner davantage de visibilité au don d’organes. L’objectif étant de faire en sorte que ce sujet ne soit plus tabou », expose le septuagénaire.

Aujourd’hui, le don d’organes a son ruban, vert, la couleur de l’espoir et la cause un symbole facilement identifiable, à l’instar du ruban rouge pour le sida. Quelques 135 villes ont par ailleurs accepté d’être des ambassadrices du don d’organes, ce qui passe par l’installation d’un panneau d’1 m de long et 25 cm de hauteur à l’entrée de la localité et/ou la plantation d’un arbre, prétexte à des animations médiatisées, en présence des bénévoles des associations locales. Exemple à Etrembières, près d’Annemasse, en Haute-Savoie, où réside Jan-Marc Charrel, 75 ans, président de l’association France Rein, et lui-même greffé d’un rein depuis quatorze ans. « Le 22 juin dernier, à l’occasion de la Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe et d’hommage aux donneurs, la façade de la mairie a été illuminée en vert, le spot vidéo de Greffes+ a été projeté les panneaux lumineux de la commune et des annonces ont été faites lors du concert de la fête de la Musique, précise-t-il. Ça fait avancer la cause. »  Le collectif espère atteindre le nombre de 1 000 villes ambassadrices dans les trois ans. « Il faut créer les conditions de l’échange autour de ce sujet. Le don d’organes sauve des vies », renchérit André le Tutour.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Ces initiatives ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En parallèle, le collectif Greffes+ agit pour que les moyens alloués aux coordinations hospitalières de prélèvement d’organes et de tissus soient à la hauteur des enjeux, tant en termes de personnels infirmiers que de formation de toute la filière, médecins des urgences compris. « Quand on interroge les Français, on se rend compte que non seulement, ils sont majoritairement favorables au don d’organes, mais qu’en plus, ils connaissent le principe du consentement présumé, sauf avis contraire exprimé, qui régit la loi sur le don d’organes. Le problème, c’est que dans la pratique, la coordination hospitalière s’applique à recueillir la non opposition de la famille », indique André Le Tutour. Résultat, bien souvent, devant l’hésitation d’un proche, les infirmiers ne prélèvent pas pour ne pas ajouter de la douleur à une situation déjà difficile. Certes, il faut communiquer sur le fait d’en parler en famille, mais il convient également de travailler à lever ce blocage, en s’en tenant simplement à la loi, condition sine qua non pour faire baisser le taux d’opposition qui tourne, depuis des années, autour de 30-33 %. « Le nombre total de patients en attente d’une greffe est de 27 000, soit l’équivalent d’une ville comme Béthune. Et ce sont 3 personnes qui meurent chaque jour, en France, faute de greffe, s’agace Jan-Marc Charrel. Nous sommes bientôt à mi-parcours du plan 2022-2026 et rien n’a vraiment progressé. Les associations, par exemple, n’ont quasiment aucun contact avec les agences régionales de santé (ARS), désignées pour piloter le plan, à l’exception de deux agences ». 

« On n’est rien tout seul »

« C’est compliqué de faire comprendre que nous pouvons tous un jour avoir besoin d’être greffé », constate Jan-Marc Charrel. A cet égard, l’enthousiasme affiché par les municipalités approchées pour endosser le rôle d’ambassadrices du don d’organes et de tissu est encourageant. « Certains maires voient dans cette cause un moyen de rassembler les gens, à un moment où, estiment-ils, on a besoin de solidarité et d’humanité », rapporte André Le Tutour. C’est précisément le sens du message de l’auteure, compositrice et interprète, Thérèse Sayarath, présente à la conférence du 20 juin dernier. « On n’est rien tout seul. Et on peut tous être sauvés ou sauveurs », a déclaré la trentenaire, récemment greffée du foie, suite à la découverte d’une maladie héréditaire, la polykystose hépatorénale, dont sa mère a, elle-même, eu à souffrir. Et si vous profitiez de la Journée mondiale de sensibilisation au don d’organes et de tissus, le 17 octobre prochain, pour aborder le sujet avec vos proches ?

 

En savoir plus

Transhépate : www.transhepate.org

France Rein : www.francerein.org

France Adot : www.france-adot.org

Renaloo : https://renaloo.com

Agence de la Biomédecine : www.agence-biomedecine.fr

Un tour de France pour faire vivre le don d’organes   

Gilbert Guillerm se l’était promis depuis longtemps. Pour fêter la fin de sa carrière professionnelle, il effectuerait un tour de France, sur un tricycle couché, soit quelque 6 000 km. Pari tenu, cet adepte du cyclotourisme, âgé de 62 ans, s’est élancé le 2 avril dernier de Pénestin, dans le Morbihan, son lieu de résidence, pour réaliser la grande boucle. Sauf qu’à l’approche de l’échéance, il a eu envie de placer ce périple libératoire, sous le signe de l’utilité, selon ses mots. Le choix s’impose en trente secondes : il roulera pour le don d’organes. Une manière probablement de faire revivre aussi la mémoire de son fils, décédé accidentellement en 2014, à l’âge de 25 ans. Sans hésiter, la famille de Maxime a alors décidé de faire don de ses organes. « Nous n’avions jamais abordé ce sujet, mais au vu de sa manière d’être vis-à-vis des autres et de ses engagements – il donnait son sang –, il nous a paru évident que s’il s’était prononcé, il aurait dit oui », se souvient son père. Avant de prendre la route, il contacte les associations du cru. Il rencontre François Guyonvarc’h, trésorier de France Adot56, et André Le Tutour, autre local, qui lui fournissent le kit et les informations nécessaires pour pouvoir communiquer en sachant de quoi il parle. Gilbert Guillerm est un novice : en dix ans, il n’a jamais milité ni promu le don d’organes. Bientôt son voyage, qu’il avait conçu comme une randonnée improvisée, est redessiné pour que chacune de ses étapes donnent lieu à des rencontres, des débats, des échanges consacrés au don d’organes. Et le soir, il est assez souvent accueilli par des familles de receveurs ou de donneurs, qui lui offrent le gîte. « Ces trois mois ont été pour moi l’occasion de découvrir un monde inconnu, de comprendre l’enjeu du don d’organes. C’est durant ce tour de France que j’ai réalisé que le don d’organe sauvait des vies. Pour moi, ça a été une aventure extraordinaire. »

« Porter le message jusqu’au bout »

Rapidement, il prend conscience qu’il doit impérativement boucler son tour : « Avec mon ruban vert fiché à l’arrière de mon attelage, je me suis vite considéré comme un messager. Dès lors, je n’avais plus qu’un seul but : porter le message jusqu’au bout ». Il a même tenu un blog, donné des interviews, apprenant à jongler avec les contraintes de la presse quotidienne régionale, discuté avec des médecins, comme au CHU de Lille, dont certains de leurs patients sont en attente d’une greffe, des équipes de la coordination hospitalière de prélèvement, et été reçu par des maires engagés qui ont fait de leur municipalité des ambassadrices du don d’organes. Après son retour dans son village de Bretagne sud, le 24 juin, il a fait un break. Trop, de visages, d’histoires, d’émotions. Des liens indéfectibles se sont noués. Il ne souhaite pas faire de la promotion du don d’organes son quotidien, mais s’est engagé avec l’Adot56 et l’équipe de coordination pour témoigner et sensibiliser à cette cause. S’il a fait connaître à son entourage son choix, vis-à-vis du don d’organes, le sujet reste difficile à aborder en famille.

https://cycladot56.wixsite.com/website/blog

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