Vacances et handicap visuel : carte postale de personnes mal-voyantes

L’été venu, nous sommes nombreux à n’avoir plus qu’une envie : filer en vacances. Cette fièvre estivale est pourtant loin d’être partagée. De fortes inégalités demeurent face aux congés – un droit pourtant. Si le renoncement est le plus souvent lié à la précarité, ce n’est pas le seul motif. Le handicap constitue aussi un facteur limitant. C’est le cas notamment pour les 2 millions de personnes déficientes visuelles. Pour elles, partir s’apparente bien souvent à une course d’obstacles. Une personne mal voyante sur deux aurait déjà renoncé à se mettre au vert. Or, pour elles aussi, les vacances sont précieuses et répondent à un besoin.

Du 2 au 9 juin dernier, Jean-Claude et Solange Bœglin, âgés respectivement de 77 et 76 ans, étaient du côté de Vannes, dans le Morbihan, à la découverte du golfe du même nom. Sept jours « entre terre et mer », selon l’intitulé de la semaine découverte proposée par l’équipe des séjours vacances de l’association Valentin Haüy (AVH). Cela fait près de quinze ans que ce couple de Strasbourgeois non-voyants visite la France avec les bénévoles de l’AVH. « Quand le catalogue des séjours vacances arrive, en janvier ou février, on se jette dessus », raconte Jean-Claude. Pas de temps à perdre. « Il faut s’engager vite », précise-t-il. Avec son épouse, ils optent en général pour deux escapades. La seconde les mènera, au début du mois de septembre, en Charente maritime, à la station balnéaire de Ronces-les-Bains. « On est assez attachés à l’aspect culturel, et puis, avec l’âge, on a davantage envie de choses plus cool », complète l’ex-professeur de français.

De multiples freins

L’un comme l’autre ont vu, plus ou moins bien, durant un moment de leur vie. « Tant que nous voyions un peu, on voyageait seuls, y compris à l’étranger. On a même fait du camping, mais c’était parfois chaud, se souvient Jean-Claude. On mettait en place des stratégies particulières : sur les sites touristiques, on suivait des groupes ou on rencontrait des gens qui nous aidaient. C’était toute une aventure, et parfois un peu compliqué.» Pascal Roger, 55 ans, préside l’association Les Joyeux Mirauds. Il a perdu la vue à l’âge de 14 ans. Lui aussi a tenté « l’aventure », en partant 2 ou 3 fois en voyages organisés classiques, autrement dit avec des personnes voyantes. « J’ai vite mesuré mes limites : on doit tout le temps demander à être guidé et à ce que l’on nous décrive les paysages ou les monuments. C’est contraignant pour les autres voyageurs et notre présence représente assez vite un poids pour le groupe, déclare-t-il. On a beau tout faire pour être le plus autonome possible, il y a toujours un moment où on a besoin d’être aidé. »
Loin d’être de tout repos, les vacances sont un condensé des difficultés que rencontrent les personnes aveugles ou mal-voyantes, tant en termes d’accessibilité que de mobilité. Dix-huit ans après la loi Handicap du 11 février 2005, planifier des vacances relève encore du parcours du combattant. « Le site de la SNCF, par exemple, n’est pas totalement accessible et la ligne téléphonique dédiée aux personnes en situation de handicap, Accès Plus, au 3635, ne gère que les trains TGV et Intercités, pas les TER, rapporte Sylvain Nivard, 62 ans, président de l’association Valentin Haüy. Les guides touristiques ne sont pas davantage conçus pour un public comme le nôtre. Toute la logistique repose sur ma femme. Comme elle est valide, elle se charge de réserver les billets, chercher les hôtels, etc. Or s’il y a aujourd’hui de moins en moins de jeunes déficients visuels, grâce aux progrès de la médecine, 60 % des personnes mal-voyantes, voire non-voyantes, ont plus de 60 ans, et avec l’âge, on n’est pas toujours très à l’aise avec les technologies, et d’autant moins à l’aise qu’on est en train de perdre la vue. Et par ailleurs, c’est évidemment très compliqué d’arriver dans une ville qu’on ne connaît pas, où l’on n’a pas ses repères, son circuit. » Quand les vacances commencent comme ça, l’envie de plier bagages perd fatalement de son attrait. « Pour beaucoup, c’est une épreuve insurmontable », confirme Pascal Roger.

Les sens en alerte

L’alternative, ce sont les séjours adaptés, d’une à deux semaines, en France ou dans des pays voisins, comme l’Italie. A l’instar des Joyeux Mirauds et d’AVH, la plupart des associations qui s’adressent aux personnes déficientes visuelles ont une activité de voyages. « C’est une goutte d’eau, par rapport aux deux millions de personnes concernées, mais c’est mieux que rien », souligne Sylvain Nivard. Pour les participants, cette offre est l’assurance de profiter de vraies vacances, appropriées, en confiance, sans l’ombre d’un souci. « Ces séjours organisés leur permettent également de ne plus se sentir redevables de leur famille, parents, conjoints, sœur ou frère, etc. C’est capital pour eux d’avoir des vacances comme tout le monde », complète Ghislaine Grosset, 65 ans, organisatrice bénévole de séjours été-hiver au sein d’AVH. Son dada : les randonnées, en chaussures de montagne ou en raquettes, selon la saison. Quand on la joint au téléphone, elle est en Isère, à quelques encablures du monastère de la Grande Chartreuse, situé à 850 m d’altitude, non loin du massif de Belledonne, avec un groupe de sept personnes déficientes visuelles, six accompagnateurs et un guide local. « La règle, c’est 1 pour 1, c’est-à-dire un accompagnateur pour un vacancier, sinon, ce n’est pas possible. Entre les pierres, les racines, les cailloux, etc., les obstacles sont très nombreux », décrit-elle. Randos, mais aussi balnéothérapie, stage de chant, découverte d’une ville, activités de loisirs (paddle, kayak, pédalo…) ou encore croisière fluviale : il y en a pour tous les goûts.
Toutefois, la composante culturelle est très importante et bien souvent multisensorielle. « Nous avons une manière différente de vivre les vacances, développe Sylvain Nivard. Comme on ne va pas admirer les paysages, on apprécie la cuisine, les conversations avec les locaux, on est très sensible aussi à l’atmosphère des lieux, à leur histoire, aux ambiances. » Sur les sentiers, par exemple, une grande attention est portée aux essences, aux parfums et au toucher. « On marche bien sûr, mais on s’arrête aussi pour sentir et toucher les fleurs, les écorces ou les roches, et écouter les oiseaux, tout en expliquant leur présence dans la région, illustre Ghislaine Grosset. Lors des séjours d’hiver, que j’organise autour de Bessans, en Haute-Maurienne, la structure qui a l’habitude de nous recevoir leur permet de toucher des queues de renard, de loup ou d’écureuil, des cornes de bouquetins, etc. » Dans les musées, l’autorisation de toucher certaines pièces est souvent accordée, après démarchage, mais ce n’est pas systématique. Moins qu’il y a une quarantaine d’années, où c’était plus simple, regrette Sylvain Nivard.

Être dans la vie

« Lors de notre séjour dans le golfe du Morbihan, on a ressenti l’atmosphère marine, les embruns et les mouvements du bateau que nous avons pris pour nous rendre à l’île aux moines. Il y a des tas d’expériences que l’on peut faire en l’absence de vision, témoigne Jean-Claude Bœglin. Et même les accompagnateurs nous font partager leurs perceptions face à ce qu’ils voient. C’est un peu comme au théâtre avec l’audiodescription. » Ce qui, soit dit en passant, exige un certain effort. Les accompagnateurs sont d’ailleurs bien plus que de simples guides. « Nous avons un cercle de fidèles, déclare Pascal Roger. Ils viennent bien sûr pour nous donner un coup de main, mais surtout pour passer des vacances entre amis. » Les Joyeux Mirauds n’ayant pas les moyens de financer l’intégralité de leur séjour, les accompagnateurs s’acquittent d’une petite participation, condition sine qua non pour continuer à proposer des tarifs accessibles. C’est clairement un autre état d’esprit. « On doit régulièrement recruter de nouveaux bénévoles pour pouvoir monter des séjours, constate Ghislaine Grosset. En termes d’organisation, c’est sans doute la partie la plus compliquée du travail. » Mais l’enjeu est de taille : permettre à des personnes en situation de handicap de sortir de chez elles.
Car ces séjours représentent plus qu’un bol d’air pour elles. « C’est une rupture avec la solitude », estime Ghislaine Grosset. De fait, ce sont souvent des personnes isolées. « Partir en groupe permet de recréer du lien social », renchérit Pascal Roger. Le plaisir que procurent l’échange et la découverte contribue à leur équilibre, selon Sylvain Nivard : « Les vacances mettent en sourdine les ruminations négatives et permettent de retrouver du positif, de réaliser que la vie continue. Ces instants partagés peuvent agir comme un déclic à même de réinscrire la personne dans un cercle vertueux ». Dans le même temps, des amitiés peuvent se nouer. « Il y a parfois des prolongements, atteste Jean-Claude Bœglin. Il arrive aussi qu’on se retrouve d’une année sur l’autre. Le contact avec d’autres personnes mal-voyantes, avec des expériences différentes, est toujours intéressant. Ces échanges sont une manière d’être dans la vie. »

Avec l’APAJH, des vacances inclusives pour les enfants et ados

Vacances nature pour les enfants et adolescents qui partent cet été avec l’Association pour adultes et jeunes handicapés (APAJH). Cap sur les Monts du Cantal, en Auvergne : c’est au domaine de Volzac, situé à Saint-Flour, que les plus jeunes se posent pour profiter des espaces verts environnants. Un peu de liberté en somme, et même de mixité, puisque ce centre de vacances accueille une colonie de vacances classique et le groupe de l’APAJH qui bénéficie bien sûr d’une prise en charge particulière. « Ils vivent en collectivité avec tous les autres groupes, rapporte Ouafa Saad, responsable du service accompagnement-loisirs de l’APAJH. C’est vraiment de l’inclusion : ils se retrouvent pour les repas et peuvent initier des activités communes entre groupes, fêtes comprises. » Chacun des groupes de l’association compte 15 enfants, tout handicap confondu – la majorité d’entre eux présente des troubles mentaux associés ou non à d’autres déficiences, comme la malvoyance parfois –, pour un séjour d’une durée moyenne de deux semaines, au mois d’août. Les journées s’organisent en fonction des envies, des besoins et des capacités de chacun. « De manière générale, on essaie de favoriser l’autodétermination », souligne Ouafa Saad. L’encadrement se fait sur la base d’un accompagnateur pour un ou deux enfants, et d’une importante préparation en amont, avec les parents, notamment. Piscine, balade à dos d’âne – ou brossage, si l’enfant ne peut pas grimper sur l’animal – dessins, peinture, jeux, etc. : « Ces vacances apportent un réel bien-être. Et d’ailleurs, il est fréquent que les établissements où évoluent ces enfants le reste de l’année nous fassent part, à leur retour, de progrès. Certains par exemple qui avaient des tocs n’en ont plus. De même, outre le fait que le contexte est différent, le groupe peut avoir un effet positif, en amenant des enfants à consentir à faire des activités qu’ils n’aimaient pas ». A la fin du séjour, il n’est pas rare que les larmes coulent. « Environ deux tiers des enfants reviennent d’une année sur l’autre », constate la responsable du service accompagnement-loisirs. Et bonne nouvelle, en 2024, un deuxième lieu de séjours devrait rouvrir ses portes, sur les quatre en activité avant la crise du Covid. Au lendemain de la pandémie, seul le domaine de Volzac s’est maintenu. Mais la demande est repartie à la hausse. Et impossible de laisser des enfants sur des listes d’attente alors que, dans le même temps, rappelle Ouafa Saad, « dans les structures classiques, le nombre de places qui leur sont attribuées sont restreintes et le personnel encadrant insuffisant ».

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