Violences sexuelles : L’escrime, un médiateur thérapeutique

Se reconstruire grâce à l’escrime : c’est la proposition d’ATP Escrime, une association qui organise des ateliers à visée thérapeutique pour des personnes victimes de violences sexuelles. L’escrime est conçue comme un soutien de plus dans un parcours de soins pluridisciplinaires. Objectif de cette approche corporelle : aider les victimes à aller de l’avant.           

Patricia, 41 ans, se souvient qu’elle était totalement flippée, quand elle est entrée pour la première fois dans la salle d’armes Armand-Massard, située dans le quartier Montparnasse, à Paris. Nous sommes alors en septembre 2020 et la jeune femme s’apprête à prendre part à la première séance d’un cycle annuel de dix ateliers d’escrime thérapeutique, élaborés pour aider les victimes de violences sexuelles qui cherchent à se reconstruire. Nausée, mal de ventre, trouille : le tableau n’est pas brillant. « Dans le même temps, cela m’a fait du bien d’être avec d’autres femmes », ajoute-t-elle. Une dizaine de femmes pareillement tiraillées entre l’envie d’être là et l’appréhension de la suite. Pour beaucoup, voire toutes, cela fait des années qu’elles se débattent avec des cauchemars, des terreurs, de l’anxiété, des troubles psychosomatiques, qui les empêchent de vivre.

Une rage qui dévore

Née dans une famille marquée par la maltraitance, Patricia a été victime d’inceste, quand elle avait 7 ans, ce qui a induit une amnésie traumatique. Ses premiers flash-back, par bribes, remontent à ses 15 ans. Elle croit devenir folle. De ce moment, elle n’a pour ainsi dire plus jamais cessé de consulter des psychiatres et/ou psychothérapeutes. Avec plus ou moins de succès. Peu de praticiens sont formés au stress post-traumatique. « Il y avait une rage qui moisissait en moi et me dévorait de l’intérieur », décrit-elle. Comment se débarrasser de cette nuisance tapie en soi ?

Une esquisse de réponse surgit en 2019 quand elle découvre Touchées, une bande dessinée de Quentin Zuttion (éditions Payot, 2019), récit de la réparation par l’escrime de trois jeunes femmes violentées. Elle a l’intuition qu’à un moment, la parole ne suffit plus : « J’ai pensé que l’escrime pourrait être une bonne manière de canaliser toute cette violence qui, parfois, me submergeait comme un raz de marée ». Un an plus tard, elle descend les marches du 66 boulevard Montparnasse pour rejoindre la salle Armand-Massard. Elle n’avait jamais imaginé qu’elle se servirait un jour d’un sabre.

Se réapproprier son corps

L’association Active Ton Potentiel par l’escrime (ATP Escrime) organise depuis plusieurs années des ateliers qui mêlent escrime et accompagnement thérapeutique individuel pour des femmes et des hommes qui ont subi du harcèlement, des agressions sexuelles ou des viols. Deux maîtres d’armes, deux psychothérapeutes et un ostéopathe assistent à chacune des séances. Les deux premiers sur les pistes d’escrime, les trois autres, sur les côtés, disponibles et prêts à intervenir si nécessaire. « L’escrime est utilisée comme un booster thérapeutique, explique Olivier Serwar, maître d’armes et créateur de la méthodologie de reconstruction par l’escrime. Le but de ces ateliers est de permettre aux participants de se reconnecter à leurs émotions, à leur corps, en travaillant sur les traumatismes dont il a conservé la mémoire. » En ravivant cette mémoire enfouie, les blocages pourront être dépassés.

« C’est un travail de remise en conscience, complète Esther Barale-Cherpreau, thérapeute psychocorporelle au sein d’ATP Escrime. Le corps s’est figé, il faut le défiger. Ce n’est pas parce qu’il ne parle plus qu’il n’a pas besoin d’être entendu. La majorité des personnes qu’on accueille présente d’importantes problématiques de santé. » Trouble du comportement alimentaire, état de stress permanent, difficultés relationnelles, « le rapport à mon corps a toujours été au mieux inexistant, au pire maltraitant, témoigne Patricia. J’étais très dissociée. »

Un long cri primal   

Art de la bonne distance, l’escrime a quelque chose de rassurant, voire de facilitant. « Il n’y a pas de contact de type corps à corps, on se touche avec une arme, détaille Olivier Serwar. La tenue blanche procure une certaine neutralité tandis que le masque protège et anonymise. Chacun peut disparaître ou se réinventer, devenir celui ou celle qu’il ou elle aurait voulu être. Et le fait que le partenaire porte un masque permet également à la personne d’imaginer qu’elle a en face d’elle son agresseur, ses parents, etc. C’est ce transfert qui permet de se connecter à son énergie meurtrière. » L’équipe présente est particulièrement attentive à ces sorties d’énergie ou remontées d’amnésie, qui peuvent être extrêmement impressionnantes.

Patricia est passée par là. Elle a traversé cette envie de meurtre, une épreuve dont elle a gardé un souvenir précis. « Lors d’un exercice, alors que je bloquais, Olivier m’a pressé de questions sur ce que je ressentais dans mon corps. Du chaud, du froid, du lourd, du léger, quelle couleur ? Il me ramenait sans cesse à mes sensations. A un moment, il m’a demandé de frapper plus fort sur son sabre. Je me suis mise à taper, pleurer, crier. J’étais épuisée, on était en fin de séance. Il m’a dit que mes cris devaient venir de plus bas, du ventre. Et soudain, j’ai poussé un long cri primal, bestial. La rage en moi était sortie, j’étais par terre. Je me suis relevée et, tout d’un coup, il y avait un vide, une légèreté, dans mon corps. »

Des outils pour revenir à la vie

Quand ce type de réaction se produit, la personne est extraite du groupe et prise en charge individuellement, d’abord par un des maîtres d’armes, puis par les collègues thérapeutes. « Notre rôle est de l’accompagner, de recréer du lien, du sens, de lui demander ce qui se joue à cet instant-là pour elle », précise Esther Barale-Cherpreau. Toutefois, la finalité pour les participants n’est pas de se décharger à tout prix de cette énergie meurtrière qui ne leur appartient pas. Cette remontée traumatique reste imprévisible : chaque histoire est unique et les personnes qui ont intégré le groupe sont à des moments différents de leur cheminement. L’idée des ateliers est aussi de proposer une boîte à outils pour « apprendre à ces personnes à mieux se protéger et leur permettre de revenir à la vie », souligne Esther Barale-Cherpreau.

Le programme est bâti autour de dix thématiques. « Les cinq premières participent à la déconstruction des mécanismes qui, s’ils ont permis aux victimes de tenir jusqu’à présent, les épuisent ou les écartent de la vraie vie. Les cinq autres s’inscrivent dans une dynamique de reconstruction qui doit les amener à décider de ce qui est bien pour elles », inventorie Olivier Serwar. Entre chaque atelier, elles sont invitées, à partir des thématiques abordées, à esquisser des changements dans leur vie de tous les jours, familiale, amicale, personnelle, professionnelle, etc., pour repartir autrement. « L’objet est d’être capable de mobiliser nos propres ressources, synthétise Patricia. En ce qui me concerne, j’identifie plus rapidement des situations et/ou des propos violents. J’ai retrouvé l’écoute corporelle que j’avais perdue, c’est extrêmement libérateur. » Les participants doivent être suivis par un psychothérapeute en inter-atelier. « Ce dernier est informé du travail qui est fait, c’est important eu égard à tout ce qui peut se passer », prévient Esther Barale-Cherpreau.

De la confrontation à la réconciliation

Dans ce genre d’approche, le groupe joue également un rôle déterminant. Outre l’effet miroir, le fait d’être ensemble donne force et dynamisme. « Plus le groupe est soudé, plus les personnes avancent », constate Olivier Serwar. Patricia est restée en contact avec trois des femmes qu’elle a côtoyées durant les ateliers, entre septembre 2020 et juin 2021 : « Il y a des choses que je n’avais jamais partagé avec des amis de vingt ans et que j’ai réussi à dire à ces femmes. C’était précieux d’avoir cet espace où l’on a montré la part la plus abominable de ce qui était en nous, de par notre vécu. Et ça n’empêchait pas les moments joyeux, en raison probablement de la cohésion du groupe ».

Aujourd’hui, son quotidien n’est pas forcément au beau fixe. Toutefois, les bas sont moins bas, observe-t-elle. « Avant j’étais en permanence dans la confrontation. Ce n’est plus le cas, du coup la violence que je peux exprimer quand je suis en colère est au bon endroit. Je suis audible quand je dis à quelqu’un que les limites ont été franchies. Et comme ça ne bouillonne plus en moi, je vis des moments de calme, ce que je n’avais pas connu depuis mes 15 ans. »  Et si le parcours escrime a changé sa vie, c’est aussi dans son rapport au masculin. Le fait que les deux maîtres d’armes et l’ostéopathe soient des hommes a compté dans sa décision de participer à ces ateliers : « Pour la première fois de ma vie, des hommes se sont montrés bienveillants, attentifs, aidants, sans contrepartie ».

Avant d’entamer le programme, les participants doivent formuler par écrit des vœux sur leurs attentes, qu’ils glissent ensuite dans une enveloppe cachetée. Ils ne la rouvriront qu’à la fin des ateliers. Quand ce moment est arrivé, Patricia n’a pas reconnu son écriture. « Là, je me suis dit que j’avais fait du chemin ! »

En savoir plus

www.atpescrime.com

Le numéro de la ligne téléphonique Violence femme info est le 3919. Anonyme et gratuite, cette ligne est disponible 24h/24 et 7j/7. www.solidaritefemmes.org/appeler-le-3919

Les violences sexuelles en chiffres

  • 94 000 : c’est le nombre (moyen) de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol. Il s’agit d’une estimation basse.
  • Dans 91% des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits.
  • Seules 12 % des victimes portent plainte, suite aux viols ou tentatives de viol qu’elles ont subi – qu’elles aient ensuite maintenu ou retiré cette plainte.

(Source : site Arrêtons les violences : https://arretonslesviolences.gouv.fr)

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