Hémophilie : l’atout de la prophylaxie

Ce 17 avril est la Journée Mondiale de l’Hémophilie (JMH 2023). « Accès pour tous : la prévention des saignements comme référence mondiale de soins » est le thème de cette nouvelle édition dédiée aux maladies hémorragiques constitutionnelles rares. En France, quelque 15 000 personnes sont atteintes de troubles de la coagulation. De la prévention à l’inclusion, l’enjeu pour ces patients est de mener une vie la plus normale possible.

Nicolas Giraud, 52 ans, est né dans une famille touchée par la maladie de Willebrand, une des formes les plus fréquentes du groupe des maladies hémorragiques constitutionnelles rares (MHEMO), avec l’hémophilie et les pathologies plaquettaires. D’origine génétique, elle se caractérise par un déficit ou une défaillance d’une des protéines de la coagulation du sang (hémostase). La maladie de Willebrand se distingue par une expression hémorragique qui concerne surtout les muqueuses au niveau de la sphère ORL et/ou gynécologique. « Côté paternel, ils étaient 7 frères et sœurs, tous atteints, ce qui se manifestait par des saignements de nez prolongés, par exemple. Mais personne ne s’en est jamais vraiment occupé. On se contentait de remarquer que c’était une famille qui saignait », raconte le président de l’Association française des hémophiles (AFH), qui a hérité d’une forme modérée de la maladie, diagnostiquée au début des années 1970, à la demande d’un médecin généraliste un peu plus perspicace que ses prédécesseurs.

L’histoire familiale a connu des drames probablement tous imputables à ce défaut hémostatique héréditaire. « J’ai eu la chance que mes parents qui ont toujours vécu normalement ne m’aient jamais imposé aucune restriction », estime pourtant le natif de l’arrière-pays aixois. Certes, reconnaît-il, s’il avait eu une forme sévère, avec des saignements spontanés répétés au niveau des articulations, sa condition physique ne serait sans doute pas la même aujourd’hui. Mais justement, en un demi-siècle, l’évolution des traitements et des connaissances permet désormais à tout patient, quels que soient le type de maladie hémorragique constitutionnelle et son degré de gravité – léger, modéré ou sévère – de mener, sous conditions, une vie inclusive. L’une d’elles, et c’est l’enjeu de cette JMH 2023, repose sur la prévention des saignements.

Préserver ses articulations   

Cette disposition passe par la prise de traitements prophylactiques, notamment dans les formes les plus sévères. « Cela consiste à s’injecter la protéine déficitaire pour réguler la coagulation et éviter les saignements spontanés, explique Nicolas Giraud. En ne les prenant pas régulièrement, le patient s’expose à un risque de détérioration de ses articulations (hémarthrose), par accumulation de sang sur la zone touchée, et d’intenses douleurs dues à la pression exercée par le sang sous la peau. Au final, sa motricité et son autonomie peuvent être mises en danger. » Chez les personnes touchées par l’hémophilie de type A, il s’agit d’injections du facteur VIII, aussi appelé facteur antihémophilique A, chez celles atteintes d’hémophilie de type B, du facteur IX, etc. La périodicité entre les injections varie en fonction de la gravité du trouble de la coagulation, du profil du patient et du type de facteur déficient ou manquant. « Dans le cas de l’hémophilie de type A, la récente mise sur le marché d’un médicament à demi-vie longue a permis d’espacer les injections en intraveineuse qui sont passées de trois par semaine à une tous les trois ou cinq jours, et, pour ce qui est de l’hémophilie de type B, à une injection du facteur IX tous les dix, voire quatorze jours, chez les enfants de plus de 12 ans », décrit Stéphanie Ringenbach, chef de projet de la filière MHEMO hébergée au sein du Centre de Référence Hémophilie et autres déficits constitutionnels en protéines de la coagulation des Hospices civils de Lyon. « Mais ce n’est pas parce que les injections sont moins fréquentes qu’il faut totalement oublier la maladie. »

De fait, les troubles de la coagulation, y compris mineurs, sont des maladies chroniques, avec lesquelles les patients devront composer toute leur vie. Comprendre la maladie dont on souffre, saisir l’intérêt des traitements, notamment prophylactiques, reconnaître les signes d’alerte et savoir prendre les bonnes décisions en cas d’accident, etc. : c’est l’objet de l’éducation thérapeutique du patient et/ou des aidants – souvent les parents, dans un premier temps, puis l’enfant dans un second, vers l’âge de 10-14 ans, avec l’apprentissage de l’auto-traitement. Comme pour la plupart des maladies chroniques qui débutent dans l’enfance, l’adolescence est une période de transition délicate. « L’adolescent a surtout envie de ressembler à ses pairs et de ne plus avoir à faire face aux contraintes auxquelles les autres ne sont pas soumis, observe Stéphanie Ringenbach. Ce ras le bol est compréhensible, mais il est important que le jeune lorsqu’il arrive à l’âge adulte ne soit pas en rupture thérapeutique, voire perdu de vue par le centre de suivi dont il dépend afin de lui éviter toute perte de chance pour plus tard ». La prévention des saignements y concourt, en limitant le risque de dégâts articulaires irréversibles et, à terme, la pose d’une prothèse (genou, coude, etc.).

Un public mal informé

Mais si la prophylaxie est respectée, elle permet surtout au patient de vivre « le plus normalement possible », selon les mots de la cheffe de projet de la filière MHEMO. Aujourd’hui, il n’y a plus lieu de surprotéger un enfant, comme c’était le cas il y a encore quelques années. « Au quotidien, l’enfant qui a un trouble de la coagulation même sévère peut s’intégrer et se développer comme les autres enfants, sans faire l’objet d’une attention particulière », assure Nicolas Giraud. Des histoires d’exclusion (classe verte, voyage scolaire, etc.) ou d’incompréhension, des difficultés d’accès à des activités physiques continuent pourtant d’être régulièrement rapportées à l’AFH. « Dès lors que le traitement prophylactique est suivi et que l’enfant est autonome, pourquoi devrait-il être stigmatisé ? Avec des traitements qui sont efficaces entre 7 et 14 jours, selon les situations, ça ne devrait plus être un sujet, déplore le président de l’AFH. Qui dit maladie hémorragique dit sang, et le sang fait peur. » D’où la nécessité de sensibiliser le public.

Un interrogatoire autour de soi suffit à s’en rendre compte : il subsiste encore pas mal d’approximations, voire de fausses croyances sur les maladies hémorragiques constitutionnelles, comme celle qui veut qu’une personne atteinte d’un trouble de la coagulation qui se coupe se videra de son sang. « Nous ne saignons pas plus vite, mais plus longtemps, car la coagulation nécessite un peu plus de temps, corrige Nicolas Giraud. De même, la majorité des saignements sont internes. On ne les voit pas, sinon sous la forme d’un hématome ou d’une hémarthrose. Dans ces cas-là, le patient doit savoir comment réagir. » Le patient qui peut tout aussi bien être une patiente, d’ailleurs. Car s’il est vrai que l’hémophilie concerne quasi exclusivement les hommes, la maladie de Willebrand affecte autant les hommes que les femmes – avec des menstruations abondantes qui peuvent durer entre deux et trois semaines parfois, et entraîner d’importantes difficultés sur le plan familial, professionnel et social.

Oui à l’activité physique 

Mais l’erreur la plus néfaste est probablement celle qui gravite encore autour de la pratique sportive. Combien d’enfants sont ainsi restés à l’écart dans la cour de récréation, par précaution, ou exemptés de cours d’éducation physique et sportive, par crainte du pire. Or l’activité physique permet d’obtenir des bénéfices spécifiques chez les patients qui souffrent d’un trouble de la coagulation. « La combinaison des traitements prophylactiques et de l’activité physique renforce les articulations et limite les saignements », précise Nicolas Giraud. En développant le capital musculaire, l’activité physique permet de limiter les traumatismes au niveau des articulations et contribue à augmenter la production de la synovie, responsable de la lubrification du cartilage. Amélioration du flux sanguin, de l’équilibre et des réflexes, réduction du risque de dégénérescence des articulations, etc., cette prévention contre les risques de chutes et d’entorses constitue une chance supplémentaire de prévenir les saignements.

Si la natation et le vélo sont tout particulièrement conseillés, la palette des activités possibles ne s’arrête pas là – à l’exclusion des sports de combat. « Les appréhensions que peuvent encore susciter les maladies hémorragiques constitutionnelles nuisent à l’intégration des enfants et à leur liberté de s’exprimer pleinement », arbitre le président de l’AFH.

En savoir plus

https://afh.asso.fr

« L’hémophilie n’est pas un obstacle pour faire du sport de haut niveau »

Mathieu Belloir, 23 ans, hémophile mineur de type A, membre de l’équipe de France Glace et porte-parole de l’AFH.

« Nous sommes trois frères, dont deux avec un trouble de la coagulation. A l’école, il y a eu quelques contraintes, en particulier dans les sports collectifs, comme le volley-ball. On me confiait le rôle d’arbitre ou de ramasseur de balles. Mais je ne l’ai pas mal vécu. Mes frères et moi avons eu la chance d’avoir des parents très ouverts d’esprit, positifs et bienveillants, qui ne nous ont jamais mis de barrières. Enfant, j’ai pu faire de l’escrime, du vélo, de l’athlétisme, du tennis et du roller de vitesse, une discipline qui est devenue ma passion. Chaque fois que je voyais le Dr Benoît Guillet, le médecin du CHU de Rennes qui me suit, je lui demandais si je pouvais faire de la compétition.

L’année de mes 12 ans, il m’a donné son feu vert, à la condition de bénéficier d’un accompagnement très strict. Au début, je ressemblais à Robocop : sous ma combinaison de roller, je portais de grosses coques de protection, similaires à celles des motards. Cela entravait mes mouvements, et surtout me faisait passer pour un bagarreur. En 2017, à l’occasion des championnats de France de Valence d’Agen, en juillet, la température sur la piste est montée à 45°. Avant la course, j’ai appelé le Dr Guillet qui m’a autorisé à retirer toutes mes protections, à l’exception du casque et des protège-poignets. J’ai gagné ma première médaille, et ne les plus jamais remises. Cette même année, je me suis également mis au patinage de vitesse, car c’est une discipline olympique. Je pratique le roller de mars à septembre, à Saint-Malo, et le patinage longue piste (long-track), durant les mois d’hiver, en Allemagne.

Je soigne tout particulièrement ma préparation physique avec un kiné pour éviter les hémarthroses et je suis très bien encadré sur l’ensemble de mes déplacements : mon entraîneur connaît les procédures à appliquer, en cas d’accident. Chaque voyage à l’étranger pour une coupe du monde, des championnats d’Europe, etc., est préparé, pour s’assurer qu’il peut y avoir une prise en charge sur place. En 2020, à la suite d’une coupure de lame au niveau de la cheville, j’ai dû être hospitalisé durant deux semaines en Allemagne. Mon médecin a aussitôt contacté son collègue allemand.

Je pense bien sûr à ma maladie : elle fait partie de moi. Mais c’est un petit tiroir bien rangé dans ma tête que je n’ouvre qu’en cas de besoin. Le reste du temps, je fais du sport et ce n’est pas un obstacle. Porter ce message de soutien est quelque chose qui me tient à cœur. C’est important pour un enfant d’avoir un entourage qui comprend ses besoins. En 2012, le Dr Guillet a probablement lu dans mes yeux que ce serait une délivrance pour moi de pouvoir pratiquer le roller à un haut niveau. Aujourd’hui, mon objectif, ce sont les Jeux olympiques de Milano-Cortina, en 2026. J’y pense chaque jour ! »

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