Autisme : le défi des adultes

Ce 2 avril se tient la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Elle marque le coup d’envoi du mois dédié aux troubles du spectre de l’autisme (TSA). Selon les estimations, ils affecteraient environ 1,5 % de la population. D’importantes avancées ont été enregistrées au cours des dernières années, en particulier en termes de prise en charge. Une nouvelle stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement 2023-2027 est attendue. Elle devrait prolonger la démarche entamée en 2005 avec le premier plan autisme et faire du sujet des adultes avec TSA une priorité. « Et après ? », c’est précisément le fil rouge de cette 15e journée de mobilisation en France. Paroles d’experts et témoignages d’aidants pour tenter de répondre à cette préoccupation légitime.   

Ce 27 mars, François a fêté ses 27 ans. Le jeune homme est atteint d’un autisme sévère associé à une déficience intellectuelle. A 61 ans, Maryvonne Lebreton, sa mère, est, selon ses mots, « non-stop avec lui ». « François n’est pas propre, il faut tout lui faire, l’habiller, lui laver les dents, lui couper les ongles, etc. Il fait près d’1m90 et il bouge tout le temps. » Les parents de François s’escriment à trouver dans leur département, l’Indre-et-Loire, une structure adaptée qui pourrait le recevoir. Foyers de vie pour adultes handicapés, foyers d’accueil médicalisés ou maisons d’accueil spécialisée, partout la même réponse : complet.

En attendant, le quotidien de François est à géométrie variable. Faute d’avoir trouvé un lieu accordé à ses besoins, il est toujours à l’institut médico-éducatif (IME) qu’il fréquente depuis l’enfance et qu’il aurait dû quitter à ses 20 ans, n’était cette tolérance accordée aux personnes handicapées sans solution, inscrite dans la loi sous le nom d’amendement Creton. Les lundis et mardis, il y séjourne comme interne, le mercredi, il rend les clés de la chambre pour que d’autres personnes puissent à leur tour en profiter et passe les trois derniers jours de la semaine comme externe. Enfin, deux week-ends par mois, il rejoint un lieu d’accueil temporaire pour permettre à ses parents de souffler. « Il n’a plus sa place dans un IME, il a besoin d’être dans un foyer, où il aurait sa chambre et la possibilité de rejoindre des espaces de convivialité. L’habitat inclusif tel qu’il est préconisé n’est pas envisageable pour toutes les personnes autistes. Donc, oui, et après ? », interroge Maryvonne Lebreton.

Un chantier énorme  

Virginie Tournier travaille au sein de l’association départementale pour adultes et jeunes handicapées du Tarn (APAJH 81). Elle est la cheffe de service de l’IME et de l’Unité d’Enseignement Maternelle Autisme (UEMA), au sein du pôle Enfance Scolarité et Expertise Autisme de Castres. L’institut compte aussi des jeunes de 23 et 24 ans en attente d’une place plus appropriée. « On mesure pleinement les difficultés quand arrive le moment d’orienter ces jeunes vers le secteur adulte, constate-t-elle. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, dont la réévaluation en cours des dossiers de personnes adultes pour lesquelles le diagnostic qui avait été initialement posé était faux et le retard dans la formation des professionnels du secteur adulte. Or, aujourd’hui, on est sur une logique de parcours de vie en lien avec une société inclusive, et non plus une logique de place ou d’institutionnalisation. Mais on ne demande pas à une personne non-voyante de se promener dans la rue sans sa canne blanche. Donc si vous retirez aux personnes avec TSA, qui fonctionnent, pour 80 % d’entre elles, sur la modalité visuelle, les outils spécifiques dont elles ont besoin, la démarche d’autodétermination est vouée à l’échec. » En clair, comment se débrouiller sans la continuité d’un accompagnement de qualité ? Là est la question. « On a oublié que la majorité des personnes autistes étaient des adultes. La formation des professionnels médicaux et paramédicaux aux troubles du spectre de l’autisme est très longtemps restée circonscrite au champ de la pédopsychiatrie », renchérit le Pr Frédérique Bonnet-Brilhaut, chef du service de pédopsychiatrie du CHU de Tours et médecin coordonnatrice du Centre d’Excellence Exact-t Autisme de la région Centre-Val de Loire.

« Si beaucoup reste à faire, notamment en matière d’évaluation et d’anticipation des besoins des personnes concernées et de routinisation des filières et parcours, d’ores et déjà, des changements ont été amorcés », assure la professeure de physiologie. Depuis 2010, par exemple, le centre de Tours a deux sections, l’une pour les enfants, l’autre pour les adultes, et les équipes commencent à travailler sur la problématique du vieillissement. Le pôle handicap psychique du Centre-Val de Loire, qui propose des services d’accompagnement médico-social personnalisés, a ouvert une section autisme en 2015. « Aujourd’hui, le sujet de l’adulte est devenu une réalité et un enjeu majeur, reprend le Pr Bonnet-Brilhaut. Mais le chantier est tellement énorme et le retard pris important que cela ne se résoudra pas en quatre ou cinq ans. Pour autant, ça bouge, et c’est ce que je voudrais dire aux familles, même si ce n’est pas à la hauteur des besoins. »

Le bon diagnostic à 34 ans

L’institut médico-éducatif de Castres s’est également adapté, en mettant en place des visites et/ou initiant des échanges plus resserrés avec toutes les parties concernées, à commencer par les professionnels du secteur adulte conviés à des formations mutualisées pour harmoniser les pratiques, etc. « L’objectif est de faciliter l’orientation de la personne, en lien avec son parcours de vie, explique Virginie Tournier. On commence dès l’âge de 15-16 ans à travailler sur les orientations envisageables et à en parler avec les parents. En fait, c’est un travail de co-construction, dans le respect des aspirations du jeune. » L’établissement souhaiterait aussi proposer des places d’internat 365 j/365 pour faire face à la configuration actuelle. Il faut en effet tenir compte de la très grande hétérogénéité des TSA, avec des expressions qui vont de légères à très sévères, associées ou non à d’autres troubles et/ou comorbidités, dont l’épilepsie présente dans un tiers des cas. « Cela pose la question très importante du répit pour les aidants en attente d’une place dans une unité de vie résidentielle pour adultes autistes en situation complexe, poursuit Virginie Tournier. Dans notre IME, nous avons une place réservée au répit. Elle a un taux d’occupation de 100 %. »

Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, s’estime plutôt chanceuse. Fabien, son fils âgé de 38 ans, est relativement autonome. Il est à mi-temps dans un établissement et service d’aide par le travail (Esat) et a son propre deux-pièces depuis juin 2022. « Il vit seul, dans le cadre d’un programme de logements accompagnés, que j’ai monté avec un bailleur social, précise Danièle Langloys. Cela m’a pris deux années pour finaliser le projet. Fabien bénéficie d’un environnement médico-social, en lien avec un PCPE (Pôle de compétences et de prestations externalisées). Concrètement, des infirmiers, neuropsychologues, éducateurs, etc., se relaient en permanence pour faire en sorte que tout se passe au mieux (accès aux soins, travail, entretien du logement, etc.). J’étais un peu inquiète au début, mais il se débrouille bien. C’est un soulagement, car je n’aurais pas fait plus que les trente-huit ans où je l’ai porté à bout de bras. »

Comme de nombreux autres adultes, Fabien a finalement été diagnostiqué, il y a quatre ans, au Centre Ressources Autisme de la région (CRA) Auvergne-Rhône-Alpes, près de trente ans après que ces troubles eurent été mis sur le compte d’une psychose infantile, comme c’était souvent le cas avant que l’autisme soit défini comme un trouble du neurodéveloppement. A cet égard, la récente élection du Pr Catherine Barthélémy, grande figure de l’autisme, à la tête de l’Académie nationale de médecine, qu’elle présidera en 2024, si elle vaut reconnaissance pour son travail et son engagement, permet aussi de mesurer les progrès réalisés depuis une trentaine d’années pour sortir l’autisme d’une forme d’obscurantisme. Même si beaucoup encore reste à faire.

En savoir plus

www.autisme-france.fr

https://handicap.gouv.fr/la-strategie-nationale-autisme-et-troubles-du-neuro-developpement

Recommandations de la HAS : www.has-sante.fr/jcms/c_2829216/fr/autisme-travaux-de-la-has

Prévalence des troubles du spectre de l’autisme : http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/6-7/index.html

« On est parents, pas éducateurs »

Josiane Scicard, 78 ans, mère de Nicolas, 32 ans, et trésorière de l’Association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations (Arapi).

« Nicolas est resté dans un institut médico-éducatif jusqu’à ses 27 ans. L’amendement Creton évite d’interrompre brutalement les prises en charge, ce qui est fondamental, mais c’est très culpabilisant parce que cela prive forcément un enfant d’une place dans une structure faite pour lui. Dans le même temps, on est parents, pas éducateurs. On a fini par trouvé un foyer de vie spécialisé où il séjourne du lundi soir au vendredi midi. Le reste du temps, il est avec nous. Tant que je suis vivante, je me dis qu’il faut qu’il profite de l’environnement familial. Il a son programme : une éducatrice passe avec laquelle il apprend à compter, il fait également de la musique, rien de grandiose, mais comme il est doué pour imiter, il réussit à reproduire des sons, et on fait des balades ensemble. L’essentiel, c’est qu’il soit stimulé et prenne du plaisir. Et d’ailleurs, à 32 ans, il continue à progresser. Il ne sait pas lire, mais il arrive maintenant à reconnaître des lettres. Je note aussi qu’après des années d’automutilation, il est plutôt bien aujourd’hui. Le problème, c’est qu’on vieillit. C’est la terreur de tous les parents qui ont un enfant en situation de handicap. L’angoisse ne me quitte jamais. Il n’y a pas assez de moyens ni de personnels formés. Or le parcours d’une personne autiste, c’est du cousu main. Sur mon lit de mort, je dirai encore : et après ? »

https://site.arapi-autisme.fr

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