Villes libres sans tabac : Utopie ou réalité ?

Imaginez une ville libérée du tabac, où personne ne fume, non seulement dans les bâtiments mais aussi dans la plupart des lieux extérieurs, une ville où les enfants seraient préservés de la banalisation du tabac, où les buralistes ne vendraient plus aux mineurs, où l’on informerait et où l’on aiderait concrètement toutes les personnes qui souhaitent arrêter de fumer, où celles qui y sont parvenues ne sont pas tentées de replonger à chaque coin de rue, où chacun se s’engage pour stopper le tabagisme qui est la première cause de mortalité prématurée évitable en France avec 75 000 décès estimés par an.

Cette ville n’est peut-être plus une utopie, elle se dessine sous l’impulsion d’un projet pilote baptisé « Ville Libre Sans Tabac », porté par l’association Grand Est Sans Tabac (GEST) avec son partenaire le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT), un soutien financier de l’ARS Grand Est et de  la Mission Interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). En cours de déploiement depuis 2019, dans 3 villes de la région Grand-Est, Joinville (3 000 habitants), Thionville (40 000 habitants) et Nancy (100 000 habitants), les premiers jalons commencent à porter leurs fruits et laissent entrevoir de belles perspectives pour la santé de tous et une vie de plus grande qualité.

Une première phase en 2019/2020 autour d’une co-construction, avec les villes, du programme local de lutte contre le tabac

Ce n’est pas un hasard si le Grand-Est a été retenu pour ce projet expérimental, soutenu par la volonté politique de l’Agence Régionale de Santé Grand Est. En effet, il y a dans cette région davantage de fumeurs avec des consommations quotidiennes supérieures, par rapport à la moyenne nationale. La proximité de la frontière avec 4 pays, au-delà de laquelle le prix du tabac est beaucoup moins chers, n’y est pas pour rien.

Le contenu du programme local a été co-écrit avec chacune des villes en fonction de leurs besoins spécifiques qui étaient évidemment assez différents du fait des variabilités locales, en premier lieu concernant leur nombre d’habitants.

Puis a suivi la mise en œuvre de la première mesure phare qui était, dans un souci d’exemplarité notamment, de lancer « Mairie Libre Sans Tabac » dans les 3 villes pilotes. Il s’agit de faire en sorte qu’au sein de la mairie l’interdiction de fumer soit respectée conformément à la réglementation en vigueur, (malheureusement il y avait encore quelques rares résistants), mais également de rendre les abords de la mairie « sans tabac », par arrêté municipal. Cette première étape du dispositif était importante dans la mesure où la mairie est à la fois un lieu de travail, un lieu d’accueil du public et un lieu emblématique pour la ville. L’idée est que la mairie ne soit pas un endroit vecteur de tabagisme, ni pour les agents qui y travaillent, ni pour les publics qui y sont reçus. A aucun moment, les personnes ne doivent être « tentées » de fumer. Des espaces extérieurs abrités ont cependant été mis en place pour recevoir les fumeurs, mais ils sont éloignés des lieux de passage et un affichage les sensibilise sur la possibilité de se faire accompagner au sevrage tabagique. Ce rappel sur un accompagnement local possible au sevrage tabagique et sur l’existence de Tabac Info Service est d’ailleurs un fil rouge dans toutes les actions du dispositif. Il était en effet important, pour les mairies, d’accompagner leurs agents dans l’amélioration de leurs conditions de travail et dans leur souhait d’arrêt du tabac. Selon les mairies, des ateliers spécifiques ont été proposés, ainsi que la possibilité d’aller consulter des professionnels de santé spécifiquement formés durant leur temps de travail.

En ce qui concerne l’interdiction de fumer dans des zones extérieures, les villes sont encore dans une phase de sensibilisation et de médiation et si besoin les manquements seront par la suite sanctionnés.

Le processus de cette première phase est toujours en cours aujourd’hui.

Une deuxième phase entre 2021 et 2023 pour appliquer les autres mesures du programme local de lutte contre le tabac

De manière concrète, chaque ville bénéficie d’un ensemble de mesures incontournables et communes à toutes les villes engagées dans le dispositif et de mesures complémentaires, spécifiques à chacune des villes et adaptées aux caractéristiques du territoire. Dans l’ensemble, elles ont déployé de nouveaux espaces sans tabac, principalement aux abords des établissements scolaires, en partenariat notamment avec la Ligue contre le cancer. Des opérations d’informations et de sensibilisation auprès des habitants concernant toutes sortes de facettes du tabagisme, ses conséquences et les avantages d’une vie sans tabac sont déployées. En outre, des actions de sensibilisation en présentiel auprès des professionnels de santé du territoire ont eu lieu abordant leur rôle de conseils dans l’arrêt du tabac. Dans ce cadre le projet est abordé dans sa globalité ainsi que la façon dont ces professionnels peuvent y participer. Parallèlement, des campagnes de communication ont été diffusées auprès des habitants sur les bénéfices de se faire accompagner par un professionnel de santé pour arrêter de fumer. Cette campagne a été déclinée sous la forme d’affiches, flyers distribués au sein du réseau municipal et chez les professionnels de santé, page dédiée du site de la ville, répertoriant les professionnels. Des mini-vidéos ont également été réalisées. Elles sont, relayées sur les réseaux sociaux et le site internet des villes. Elles mettent en scène 4 professionnels de santé dans un échange avec un patient avec une présentation de messages autour du conseil d’arrêt du tabac et des conséquences du tabagisme sur la santé.

Pour 2023, l’idée est de poursuivre le déploiement d’espaces sans tabac. A Joinville par exemple, en plus des écoles élémentaires et primaires, les abords du collège et du lycée sont également sans tabac, par arrêté municipal. A ce jour, la mise en œuvre de telles dispositions ne pose pas particulièrement de problème. L’objectif est non seulement de protéger la population à l’égard du tabagisme passif mais aussi est de « dénormaliser » ou « débanaliser » le tabac. Si cela peut sembler difficile, rappelons-nous que lorsqu’il a été interdit de fumer dans l’enceinte des lycées, la mesure a été finalement bien acceptée. Il en a été de même lorsque cela a été interdit dans les restaurants et les bars. Aujourd’hui même les fumeurs apprécient ces mesures.

Le projet comporte de nombreux volets de prévention et également un volet d’application des dispositions pour que l’on ne reste pas dans les déclarations d’intention. Dans cette perspective, une formation, assurée en partenariat avec le CNCT est assurée auprès des agents de la police municipale concernant l’application des interdits protecteurs dans le domaine du tabac : respect de l’interdiction de vente des produits du tabac aux mineurs par les buralistes, respects des interdictions de fumer, lutte contre le jet des mégots, déchets particulièrement toxique, respect de l’interdiction de la publicité en faveur du tabac, notamment sur les lieux de vente. Ce volet relève, là aussi, des directives données par le maire de chaque ville.

Les premiers enseignements du projet

En premier lieu, le projet répond à un besoin et les actions menées au niveau local confortent et sont complémentaires des dispositions adoptées à l’échelle nationale, comme le développement des lieux extérieurs sans tabac. De même, à l’échelle nationale, il existe des campagnes de communication sur le sevrage tabagique, celle déployée dans les villes viennent en complémentarité pour ancrer le message à un niveau local avec une implication des professionnels de santé. Les actions de rencontres avec les professionnels de santé locaux et la mise à disposition d’une liste de professionnels de santé « ressources » pour arrêter le tabac sont essentielles car il est prouvé scientifiquement que les interventions même brèves des professionnels de santé auprès de leurs patients fumeurs pour les inciter et les accompagner dans l’arrêt du tabac sont efficaces. En outre, un sevrage tabagique a beaucoup plus de chances de réussir si la personne est suivie par un professionnel de santé.

Secondairement, le projet est pertinent car il répond à une demande des responsables politiques et des acteurs locaux qui ne savent pas toujours comment agir sur cette question du tabagisme. Le dispositif leur apporte des solutions, des actions concrètes, « clé en main », à mettre en place.

Enfin, le projet présente des points forts qui intéressent les collectivités car, tout en leur laissant une grande liberté d’initiatives, il est :

  • Co-construit avec la mairie sur la mise en place d’actions adaptées à leurs problématiques, leurs ressources (financières, humaines, etc.), leurs spécificités
  • Facile à s’approprier grâce aux outils transmis, qui leur sont destinés
  • Pensé pour améliorer le cadre et la qualité de vie de leurs dministrés
  • Pensé pour faire travailler des personnes ensemble, pour le bien commun, promouvant un objectif de santé publique, trop souvent méconnu des collectivités

Il est important de préciser que ce n’est en aucun cas un projet clivant qui opposerait fumeurs et non-fumeurs. Les habitants des villes « tests » ont d’ailleurs été interrogés en 2020, et le sondage révélait par exemple que 94% des habitants de Joinville soutenaient la transformation de la mairie en lieu sans tabac. 9 fumeurs sur 10 y étaient également favorables. A Thionville, près de 9 habitants sur 10 soutenaient la mise en œuvre d’un programme local de lutte contre le tabagisme, qu’ils soient fumeurs ou non-fumeurs.

Une autre enquête aura lieu à l’issue des 3 ans de cette phase d’expérimentation et les habitants seront à nouveau consultés par rapport à la perception du tabac dans leur ville, pour savoir s’ils ont entendu parler du dispositif, si oui, comment, ce qu’ils en pensent, etc.

L’avenir de cette expérimentation est de pouvoir transférer le projet à d’autres villes après les résultats de l’évaluation qui est en cours.

C’est un projet qui demande un véritable engagement politique de la part des élus mais aussi des acteurs du territoire, comme les acteurs de santé, associatifs, sociaux, etc. puisque c’est un projet qui a une dimension globale dans la lutte contre le tabac. La finalité est enfin de mettre en place un label pour les futures villes libres sans tabac.

Témoignage de Jean-Christophe HAMELIN-BOYER, assesseur délégué à la santé au sein de la communauté d’agglomération de Porte de France-Thionville

« L’ARS Grand Est et l’association Grand Est Sans Tabac nous ont contactés pour faire partie des villes « tests » du projet expérimental Ville Libre Sans Tabac. Nous étions très motivés d’autant que notre maire est médecin, moi-même pharmacien, et que Thionville est très proche de la frontière, au-delà de laquelle le paquet de cigarettes coûte 2 fois moins cher que chez nous. En outre, nous avions pris du retard dans la lutte contre le tabagisme, surtout chez les jeunes, puisque dans notre ville, 30% d’entre eux sont concernés. Pour autant, malgré notre motivation à dénormaliser et lutter contre le tabac à Thionville, il n’est pas non plus question d’ostraciser les fumeurs, puisqu’en tant que professionnels de santé, nous savons à quel point il peut être difficile de s’en sortir.

Le projet dans sa globalité nous a plu, d’autant que nous étions accompagnés par des institutions expertes de la question, qui proposaient des méthodes expérimentées et dont on connaît l’efficacité, avec une mise en place à grande échelle assez rapide et également la mise à disposition d’outils adaptés. Grâce au dispositif, nous avons gagné beaucoup de temps.

De prime abord, les freins ont été de nous reprocher de vouloir « interdire » aux habitants de fumer en extérieur, alors qu’il s’agit simplement de dénormaliser le fait de fumer. Mais lorsque l’on explique que, par souci d’exemplarité, il est intéressant, par exemple, de faire en sorte que les parents ne fument pas devant les écoles élémentaires et primaires en venant déposer ou chercher leurs enfants, ils comprennent. Aujourd’hui, c’est eux les premiers qui font passer le message de ne pas fumer sur le trottoir de l’école. Dans notre ville aujourd’hui, les parcs, les alentours de la mairie et des bâtiments de la communauté d’agglomération, ainsi que le trottoir devant les écoles élémentaires et primaires sont devenus « non-fumeur ».

Les prochaines étapes seraient d’élargir la zone autour des écoles des petits, d’étendre le projet aux collèges et lycées, voire au stade, mais sur ce dernier point cela s’avère plus difficile, notamment lors des matchs. On aimerait également beaucoup rendre les alentours de l’hôpital et des cliniques sans tabac.

Il faut avouer que nous avons eu un peu de mal à fédérer les professionnels de santé autour du projet, même si tous individuellement sont évidemment convaincus de l’intérêt de la lutte contre le tabac. Nous avons mis en place des soirées de formation pour leur rappeler notamment quels sont les dispositifs à proposer à leurs patients pour arrêter de fumer, comme la prise en charge par l’Assurance maladie des substituts nicotiniques. Il n’était pas non plus évident de mobiliser les agents de la communauté d’agglomération, d’autant que certains fument évidemment. Cependant le fait que nous leur proposions de les aider à arrêter de fumer, avec la mise en place d’entretiens motivationnels et d’ateliers sportifs notamment, permet de lever les résistances et les retours des agents qui en bénéficient sont très positifs.

Finalement tout le monde se joint au mouvement, comme l’adjointe à l’environnement qui désire travailler sur la pollution aux mégots. Tout semble désormais bien parti pour que la ville se libère peu à peu de l’emprise du tabac. »

1 commentaires

  • Sans tabac dit :

    Bravo pour vos initiatives.
    Quand on veut on peut : Chicago, 3eme ville des Etats-Unis, 2,7 millions d’habitants. Ville quasi sans tabac.
    On n’y croise quasiment aucun fumeur et aucun megot. Rien n’empeche d’acheter des cigarettes pour ceux qui le souhaitent (sur presentation d’une piece d’identite – 21 ans minimum, et ca ne pose aucun probleme). Il s’agit desormais de maitriser l’essor des e-cigarettes.
    A noter : la vente de cannabis est legale dans l’Illinois depuis janvier 2020 pour une consommation dans un cadre prive uniquement.

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